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P.-N. Mayaud : Le conflit entre l’AstronomieNouvelle et l’Écriture Sainte aux XVIe et XVIIe siècles1

À propos d’un ouvrage récent

Bernard Pottier s.j.

Le Père Jésuite Pierre-Noël Mayaud, Docteur ès Sciences dès 1955, s’inscrit dans une longue tradition d’ecclésiastiques et de jésuites en particulier, qui se sont intéressés à l’astronomie. En 1997, il publiait à Rome La condamnation des livres coperniciens et sa révocation. Il ne cessa de poursuivre ses recherches jusqu’à son décès, l’été 2006.

Dans les six volumes qu’il nous présente maintenant (en cinq tomes : 3416 pages !), tout tourne autour de la réception des idées d’héliocentrisme de Galilée (1564-1642), qui donnèrent lieu aux fameux « procès » de 1616 et 1633. En fait, ces idées étaient déjà clairement exprimées dans le De revolutionibus orbium coelestium de Copernic (1473-1543) publié quelques jours avant sa mort, qui ne faisait lui-même qu’approfondir les hypothèses de Pythagore et d’Aristarque émises avant l’ère chrétienne. Et les preuves supplémentaires que Galilée apportait n’étaient guère plus décisives que les autres, certaines étant même totalement fausses (notamment par les marées). Mais voilà… Galilée écrivait en langue italienne, et pour la première fois donc en langue vernaculaire, et divulguait cela même que son contemporain allemand et protestant Kepler (1571-1630), bien plus novateur que lui (découverte tout à fait décisive des orbites elliptiques et non pas circulaires ; expression de sa troisième loi liant dans une constante la distance soleil-planète et le temps de révolution autour du soleil : D3/T2), estimait et disait ne devoir exprimer qu’en latin pour n’atteindre que le public des esprits éminents.

De plus, Galilée était un grand de ce monde, connu des gouvernants ; Barberini, le futur pape Urbain VIII (1568-1644), en était un admirateur compétent. Mais après avoir joui d’un régime de faveurs, Galilée s’embrouilla dans les démarches, oubliant les promesses qu’il avait signées (le fameux precetto secret), refusant tel réviseur de son manuscrit, publiant ensuite avec deux imprimatur tous deux suspects. Urbain VIII lui ménagea un procès dans des conditions ‘trois étoiles’, mais cela ne régla pas le fond de l’affaire. En fait de procès d’ailleurs, il n’y eut en réalité en 1616 qu’un Décret de la Sacrée Congrégation de l’Index, visant« une doctrine fausse et tout à fait contraire à la divine Écriture », où le nom de Galilée n’était même pas mentionné, mais bien ceux de Pythagore, Copernic, Stunica et Foscarini, puis en 1633 l’imposition d’une abjuration, mesure purement disciplinaire et limitée sanctionnant la violation, par un catholique, d’un serment qu’il avait prêté, de manière contrainte il est vrai.

Le premier volume (440 pages) annonce les dossiers A et B de textes (voir volumes II, III et IV) sur lesquels s’appuiera la recherche, et s’achève sur un magnifique chapitre 10 : « Une histoire du géocentrisme et du passage à l’héliocentrisme » (p. 147-304), qui à lui seul mériterait un compte rendu d’envergure et une publication séparée. Le lecteur non initié aura droit à des explications pédagogiques et à des tableaux fort éclairants, et même à des définitions précises : « Digression technique : ce que sont les épicycles, les excentriques mobiles ou fixes, et les équants » (p. 158-161).

L’A. analyse ensuite plus de 500 documents d’époque [certains sont des traités complets] pour prendre connaissance de deux ensembles de textes, les uns exégétiques A (vol. II, 404 p., 105 textes, plus de 1100 versets différents de l’Écriture sont évoqués), les autres scientifiques B (vol. III, 1330 p., 320 textes) — le vol. IV de 574 p. comporte les notes des dossiers A et B des deux volumes précédents. La plupart des textes sont traduits du latin et une trentaine de l’anglais, par l’A. lui-même, avec l’aide de quelques amis.

1) Tout d’abord, il n’y a à l’époque aucune séparation des savoirs et la Bible constitue la grande autorité en tout, même si depuis longtemps on affirme qu’elle a pour but premier notre salut et non notre enrichissement scientifique. En attendant les preuves péremptoires et irréfutables, on s’accroche aux conceptions anciennes, d’autant qu’elles semblent soutenues par la Bible. Aux 13e et 14e siècles, seuls les ecclésiastiques travaillent au dossier astronomique. Aux 16e et 17e siècles, 43 % des auteurs dans le domaine sont encore des ecclésiastiques. Autant dire que l’instance qui jugeait Galilée ne pouvait être que l’Église. Et pourtant, depuis le premier conflit sur la sphéricité de la terre au début de l’ère chrétienne, il était admis qu’une proposition établie rationnellement pouvait s’écarter du sens littéral de l’Écriture.

2) Ensuite, même dans le monde le plus scientifique de l’Église ou d’ailleurs, les idées de Copernic n’étaient guère reçues : si l’on examine la littérature entre 1543 (le De revolutionibus de Copernic) et 1610, date du début de la campagne copernicienne de Galilée, quatre ouvrages à peine (dont ceux de Kepler) optent pour l’héliocentrisme et une dizaine y inclinent par mode de digression, contre une cinquantaine d’autres qui le rejettent. L’audace de Galilée n’était donc pas uniquement scientifique. S’il avait eu le tempérament de Kepler, l’affaire Galilée n’aurait jamais eu lieu : Kepler retira un chapitre de son Mysterium Cosmographicum de 1596 à la demande d’un théologien, en commentant pour son maître en astronomie Mästlin : « toute l’astronomie n’est pas d’un poids si grand que ne soit offensé un seul de ces tout-petits du Christ » (vol. I p. 233 ; allusion à Mt 18,6).

L’héliocentrisme aujourd’hui accepté ne pouvait s’imposer que moyennant tout un ensemble de connaissances complexes interconnectées, dont peu étaient établies alors, par manque d’instruments mathématiques adéquats autant que d’expérimentations suffisamment nombreuses et précises, qui ne commencèrent vraiment qu’avec Tycho Brahe (1546-1601). Ce danois observa et enregistra des dizaines de milliers de positions de planètes et d’étoiles, alors que Copernic n’en établit qu’une trentaine. Lorsque Bradley observa en 1728 la parallaxe annuelle de la terre, on tenait la validation expérimentale indiscutable de l’héliocentrisme. Dès 1757, le pape Benoît XIV révoqua le Décret de 1616. À côté de cette preuve expérimentale décisive, l’A. admire la preuve interne déjà donnée par Newton dès 1687, très discrètement, et qui intégrait la mesure exacte de la dimension du soleil établie en 1672.

En fait, c’est surtout cela qui manquait : une vraie physique, libérée d’Aristote, et capable d’associer des concepts qualitatifs, assortis de mesures fiables, à un calcul précis basé sur des principes théoriques solides, justifiant physiquement les lois découvertes par Kepler. Cette nouvelle physique permit même à Newton de soupçonner que le soleil lui-même n’était pas immobile, mais seulement le barycentre de tout le système solaire. La résistance à l’héliocentrisme était vaincue, mais elle était pratiquement inévitable dans l’état des connaissances de l’époque. — On entendra ici la voix, assez discrète somme toute dans cet ensemble, même si elle est décisive, des plus grands protagonistes de ce conflit : Copernic (3 pages), Kepler (28 p.) et Galilée (32 p.). L’A. laisse en effet la parole à tout le monde, sachant parfaitement ce que chacun pense parmi tous ces coperniciens, semi-coperniciens (la terre tourne mais reste au centre) ou non-coperniciens, catholiques ou protestants (la censure protestante ne fut pas moindre que la catholique).

Le volume V nous offre 259 pages d’index divers, assez complexes, dont le moindre n’est pas l’index thématique A et B très développé (p. 87-231), construit un peu à la manière de l’index systématique des dernières éditions du Denzinger. Disons à ce propos que cet ouvrage monumental est tricoté comme une tapisserie en multiples dimensions. Les six volumes renvoient sans cesse les uns aux autres par tout un système, subtil mais maîtrisable avec un peu de patience, de références internes croisées. Le volume VI propose « Une analyse du conflit » (tout comme le sous-titre indique « Un moment de l’histoire des idées » ; le scientifique a toujours conscience de la relativité de son savoir). Ces 409 pages examinent systématiquement les interprétations des versets bibliques impliqués, tant du côté des auteurs coperniciens que non-coperniciens, élaborent l’histoire de la réception de ces idées nouvelles à l’aide de bien des considérations épistémologiques, et s’achèvent sur « Les interventions de l’Eglise dans le conflit » (p. 339-383).

Terminons, pour n’évoquer qu’une des mille curiosités passionnantes que l’on découvre à chaque page, en citant un texte doublement paradoxal de Bérulle en 1623 (vol. III p. 605) : « Un excellent esprit de ce siècle — en marge, Bérulle ajouta Nicolaus Copernicus — a voulu maintenir que le soleil est au centre du monde, et non pas la terre, qu’il est immobile et que la terre, proportionnément à sa figure ronde, se meut au regard du soleil […]. Cette opinion nouvelle, peu suivie en la science des astres, est utile et doit être suivie en la science de salut. Car Jésus est le soleil immobile en sa grandeur et mouvant toutes choses. Jésus est semblable à son Père, et étant assis à sa dextre, il est immobile comme lui et donne mouvement à tout ». Voilà l’amorce de la révolution copernicienne de l’école française, ce théocentrisme comme dit Bremond, qui est tout à l’opposé de la révolution copernicienne anthropocentrique de Kant en philosophie.

Notes de bas de page

  • 1 Mayaud P.-N., Le conflit entre l’Astronomie Nouvelle et l’Écriture Sainte aux XVIe et XVIIe siècles. Un moment de l’histoire des idées. Autour de l’affaire Galilée, I. Présentation des dossiers restituant le conflit et arrière-plan historique (Bibliographie des ouvrages analysés et notices biographiques de leurs auteurs) ; II. Dossier A : Extraits d’ouvrages exégétiques ; III. Dossier B : Extraits d’ouvrages astronomiques, philosophiques et autres ; IV. Notes concernant les extraits des dossiers A et B et V. Index des citations scripturaires, des auteurs cités et des thèmes ; VI. Une analyse du conflit, coll. Bibliothèque littéraire de la Renaissance 55, Paris, H. Champion, 2005, 24x17, 440, 404, 1330, 574 et 259, 409 p., rel., 563 /.ISBN 7453-1126-3.

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