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The Love of the Poor and its Basis in the Christological Confession of St. Leo the Great

Or How to Give with Faith !

Laurent Pidolle
Now that the Year of Faith coincides in France with the initiative Diaconia 2013, this article shows the intrinsic link between charity and faith arising from the sermons of St. Leo the Great. He characterises almsgiving as divine charity towards man and a sacrifice of praise to the Father : it must be enlightened and motivated by faith in the Christ who is recognised in the poor. In fact, in his double forma, Dei and servi, Christ gives and receives in every poor person as in every servant of the divine Mercy.

La formule traditionnelle de l’acte de charité confesse : « Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur et plus que tout, parce que vous êtes infiniment bon, et j’aime mon prochain comme moi-même pour l’amour de vous ». Aimons-nous Dieu plus que tout ? Aimons-nous notre prochain, particulièrement les pauvres, pour l’amour de Dieu ? N’y a-t-il pas un risque d’isoler l’un des deux termes de la formule et de ne plus voir l’unité profonde du double commandement de l’amour ? N’est-on pas tenté d’oublier facilement la source et le motif divins de notre amour pour les pauvres ? Ou encore : comment donner avec foi ?

La coïncidence entre l’année de la foi, au plan de l’Église universelle, et la démarche Diaconia 2013, lancée par la conférence épiscopale française, nous invite à réfléchir sur le lien profond entre charité et foi. Nous le ferons principalement du point de vue de l’aumône avec l’aide de celui qu’on a appelé « le docteur de l’aumône »1, le pape S. Léon le Grand. Tout en reprenant les découvertes des auteurs passés, nous verrons 1) que l’aumône est participation active au mystère de la charité divine et rédemptrice qu’est l’Incarnation ; 2) qu’elle vient du Christ présent en notre pauvreté et passe au Christ dans le pauvre 3) pour être le sacrifice de louange le plus agréable au Père. L’apport propre de cette étude sera de montrer que la charité s’articule autour de la réalité christologique et anthropologique de la forma : forma (ou imago) Dei et forma servi. Je dédie cet article au grand serviteur de Dieu et des hommes, Benoît XVI, qui nous a rappelé dans Porta Fidei que « foi et charité se réclament réciproquement, si bien que l’une permet à l’autre de réaliser son chemin » (n. 14).

I L’aumône est participation active au mystère de la charité qu’est l’Incarnation rédemptrice

L’aumône est le thème privilégié des sermons sur les collectes2 destinées à soutenir les nombreux pauvres de Rome en ce milieu du v e siècle. En effet, le sac d’Alaric en 410 et les incursions régulières des Vandales ont ravagé la région ; nombre de paysans dont les terres ont été saccagées sont venus se réfugier en ville. On trouve aussi des exhortations à l’aumône dans les sermons sur le Carême et dans ceux qui invitent aux jeûnes3. A. Guillaume a bien montré que le jeûne et l’aumône sont intrinsèquement liés chez Léon (et dans les premiers siècles chrétiens) et que celle-ci est le fruit nécessaire de celui-là. Il observe, dans les sermons sur les collectes, « la constance avec laquelle saint Léon prend soin de fonder solidement le devoir de l’aumône sur les grandes réalités de la foi et de souligner la prééminence de la charité sur toutes les autres vertus »4. De même, R. Dolle affirme que les enseignements moraux de Léon « s’appuient sur le fait dogmatique que la liturgie a évoqué et “représenté” »5.

Les mots « piété » et « miséricorde » reviennent souvent dans les sermons, notamment ceux qui appellent au partage. Il est bon de s’arrêter un peu sur la signification de pietas chez notre pape. « Lorsque, chez saint Léon, elle désigne un attribut de Dieu, la pietas signifie, à la fois, sa bonté à l’égard de la créature, puisqu’il la comble de bienfaits, et sa miséricorde de Père, puisqu’il lui pardonne son péché et lui offre le salut par la médiation de son Fils unique. Lorsqu’elle désigne une attitude de l’homme, la pietas exprime fondamentalement sa ressemblance avec Dieu infiniment bon et miséricordieux, et sa participation à l’activité même de Dieu »6. Il y a même identité entre la pietas et le Mystère du Verbe incarné et rédempteur, le « Mystère de la grande pietas ou miséricorde divine » selon les propres mots du Pape7. Pour respecter toute la richesse de sens de pietas, je laisserai le mot dans sa forme latine tout au long de cette étude.

N’existe-t-il rien d’aussi approprié à la foi (aptum fidei), rien qui convienne mieux à la pietas que d’aider les indigents dans leurs besoins, de se charger du soin des malades, de subvenir aux nécessités des frères et de nous souvenir de notre propre condition en regardant aux difficultés des autres8 ?

La charité est ce qu’il y a de plus propre à la foi, à tel point qu’on ne peut les séparer l’une de l’autre. Aptus signifie « approprié », « formant un tout ». La charité forme donc un tout convenant au plus haut point avec la foi et le mystère de la pietas, entendu dans son double mouvement de descente miséricordieuse du Fils dans la chair, pour notre salut, et de l’hommage filial et fraternel de nos cœurs. En effet, juste après ce passage, Léon considère que tout est don de la part de Dieu, autant les dons célestes que les richesses terrestres et corporelles qui viennent de sa munificence. « Aussi sera-t-il en droit de demander raison de ces biens qu’il nous a moins remis pour les posséder que confiés pour les distribuer (quam dispensanda) »9.

C’est la raison, la sagesse et la force qui articulent vitalement foi et charité. « La miséricorde rend utiles toutes les autres [vertus], elle vivifie même aussi la foi, par son union à elle (…). Comme dans la foi se trouve la raison des œuvres, ainsi dans les œuvres la force de la foi »10. Et encore : « La force et la sagesse de la foi chrétienne, c’est l’amour de Dieu et l’amour du prochain »11. Le mystère de la foi est la raison, la sagesse de tout acte de charité, et la miséricorde est la force de la foi. Même le simple verre d’eau fraîche « doit être donné en son Nom [celui du Christ] », car « la foi rend précieuses ces choses viles en elles-mêmes »12. Que veut dire « en son Nom » ? N’est-ce pas de rendre présent ce Nom par sa confession d’une manière ou d’une autre ? Ainsi, foi et charité ne seront pas dissociées.

Nourrir le Christ dans le pauvre relève de la « dispensation divine », c’est-à-dire, pour Léon et les Pères latins, de l’économie du salut consommée dans l’Incarnation rédemptrice. C’est dire l’intimité de l’œuvre humaine de miséricorde à la Miséricorde divine, intimité que nous sommes appelés à reconnaître dans la foi :

Il place en effet son trésor dans le ciel celui qui nourrit le Christ dans le pauvre. Reconnais donc en cela la générosité (benignitas) et la dispensation de la pietas divine. Car elle a voulu que tu aies des biens en abondance pour que, grâce à toi, un autre échappe au besoin et pour pouvoir, par le ministère de tes œuvres (ministerium operis), délivrer le nécessiteux du souci de l’indigence et toi-même de la multitude de tes péchés13.

Ce que Léon dit ici en termes de « dispensation de la pietas divine », il le dit ailleurs en termes de « miséricorde divine » : « Celui qui donne une certaine part de sa substance se sait ministre de la divine miséricorde, elle qui a mis la part du pauvre dans la main de celui qui donne largement »14. La bonté et la miséricorde que nous exerçons envers autrui sont une communication réelle de la bonté et de la miséricorde divines. Et nos œuvres sont un ministère. Nous sommes effectivement ministres de la dispensation de la charité divine au service de ceux qui sont dans le besoin, comme nous tous étions dans le besoin du salut et du pardon des péchés.

C’est une vraie participation dans le sens d’une aide, d’une coopération, d’un ministère. Dans le cinquième sermon sur le carême, Léon affirme nettement que nous sommes les exécuteurs des œuvres que la toute-puissance divine opère pour secourir les peines des hommes. Admirable théologie de la grâce qui rapporte tout à ce Dieu qui nous rend ministres actifs de ses dons :

Rien n’est plus digne de l’homme que d’imiter son Créateur et d’être, selon le mode des possibilités (facultas) [= ressources] propres, l’exécuteur des œuvres divines. Car, lorsqu’on nourrit les affamés, lorsqu’on habille ceux qui sont nus, lorsqu’on prend soin des malades, n’est-ce pas que la main du ministre apporte le secours de Dieu, et la bonté du serviteur (servi) n’est-elle pas un don du Seigneur ? Lui qui n’a pas besoin d’aide pour exercer sa miséricorde a réglé ainsi sa toute-puissance que ce soit par des hommes qu’elle vienne en aide aux peines des hommes. Et c’est à bon droit que l’on rend grâces à Dieu des offices de la pietas, dont les œuvres sont vues dans ceux qui sont au service15.

Cette participation active au mystère de la charité divine découle de la présence même de Dieu en nous et nous incite à toujours plus de persévérance et de largesses dans la démesure de l’amour : « Si, en effet, Dieu est amour, l’amour ne peut avoir de bornes, puisqu’aucune limite ne peut enfermer la divinité16. »

Le principe et la mesure (un des sens de forma) de l’aumône comme participation à la charité théologale sont bien l’amour même dont Dieu nous aime :

Aimons Dieu, aimons notre prochain de telle sorte que nous recevions la mesure d’aimer notre prochain (formam diligendi proximi), de l’amour même dont Dieu nous aime, lui qui est bon même à l’égard des méchants, et qui comble des dons de sa générosité (benignitas), non seulement ceux qui l’honorent, mais aussi ceux qui le nient. Aimons donc nos proches, aimons les étrangers, et ce que nous devons à nos amis, donnons-le de surcroît à nos ennemis17.

La forma est ici la mesure divine, donc la démesure, de l’amour. On ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit ici du Christ qui, dans la forma Dei, a pris notre forma servi. Léon chérit ce passage de Ph 2,6-11 et s’en sert souvent pour exprimer le mystère de l’Incarnation18. Le Christ est en personne, dans sa double forma, le principe et la mesure démesurée de notre amour.

Nous arrivons ainsi au cœur de notre recherche : le fondement christologique de la charité en acte. Notre participation au mystère de la charité est rendue possible par la grâce de l’Incarnation dans laquelle le Fils assume la forma servi pour restaurer en nous la forma Dei, l’image de Dieu, donnée à la création.

Dans un sermon sur le jeûne, que nous allons commenter pas à pas, Léon commence par rappeler le projet originel de Dieu :

Bien-aimés, si nous comprenons à la lumière de la foi et de la sagesse les débuts de notre création, nous découvrirons que l’homme a été fait à l’image de Dieu pour imiter son Auteur et que la dignité naturelle de notre race consiste en ce que la forme de la bonté divine resplendisse en nous comme en un miroir19.

Ce thème du miroir qui se retrouve dans la littérature patristique, puis médiévale, est tiré de S. Paul en 2 Co 3,18. L’exégète A. Feuillet, qui n’a aucune peine à voir dans ce miroir la personne même du Christ, explique : « Fixer ses regards sur la gloire du Christ qui est l’image de Dieu le Père, n’est-ce pas au fond la même chose que contempler dans le miroir du Christ la gloire de Dieu le Père, de façon à reproduire l’image que l’on a contemplée ? »20 En associant « la forme de la bonté divine » au thème du miroir, Léon oriente nettement son auditoire vers Celui qui, dans la double forma est l’Image parfaite du Père, ce que confirme l’équivalence « forme », « image » et « forme », « gloire », que l’on trouve chez les Pères21. Par exemple, le philosophe romain Marius Victorinus devenu chrétien demande :

Qu’est-ce que la forme de Dieu ? Non pas la figure, ni le visage, mais l’image et la puissance. (…) Que le Christ soit la forme de Dieu, cela montre qu’il possède tout ce que Dieu possède ; la forme de Dieu, c’est ce qu’on nomme image, c’est pourquoi le Christ est appelé image de Dieu.

(cf. Col 1,15)22

Par miséricorde, « cette forme, la grâce du Sauveur la répare tous les jours en nous » continue Léon. Dans un sermon sur la Passion, il ajoute : « Dieu était donc dans le Christ se réconciliant le monde, et le Créateur portait lui-même sa créature pour reformer (reformandam) en elle l’image de son auteur »23. Cette reformation de l’image en nous, appelle la réforme de notre vie dans le sens de l’imitation : « Étreignons l’admirable sacrement de la Pâque salutaire, et réformons-nous (reformemur) à l’image de celui qui s’est rendu conforme à notre difformité »24. Formés et reformés à l’image du Christ, nous le réfléchissons par nos actes bons, reçus de la bonté de Dieu.

Cette imitation est possible par la grâce car c’est « en nous aimant que Dieu nous répare » et « nous donne de faire nous-mêmes ce qu’il fait ». Quelle est cette grâce ? « Dieu allume le flambeau de nos intelligences et nous enflamme du feu de son amour, pour que nous L’aimions, et non seulement Lui, mais aussi tout ce qu’Il aime »25. Le projet divin initial est ainsi accompli.

Toutes les œuvres de la pietas sont une réponse au jaillissement de la miséricorde divine en notre faveur : « Il n’est pas de saison qui ne soit pleine des dons divins, et la grâce de Dieu nous ménage en tout temps l’accès à sa miséricorde ». Et Léon de continuer :

Le jour où nous avons été rachetés nous invite par son retour à toutes les œuvres de la pietas (universa pietatis officia) ; ainsi célébrerons-nous, le corps et l’âme purifiés, le mystère qui l’emporte sur tous les autres, celui de la Passion du Seigneur26.

Nos œuvres de pietas ne sont pas seulement une réponse à la divine Miséricorde, elles participent également à son action rédemptrice car l’aumône lave les fautes. Il n’est pas si fréquent en théologie de parler de la valeur rédemptrice de la charité. Léon décrit ainsi l’effet salvifique des aumônes : « les aumônes effacent les péchés, tuent la mort et éteignent la peine du feu éternel »27. En d’autres lieux, Léon a dit la même chose de la rédemption opérée par le Christ ! Pour lui, le don de l’aumône, accompli dans la lumière de la foi, participe de la puissance rédemptrice du don du Fils. Comment cela se fait-il ? En raison de la charité :

Vous le savez, outre le baptême de régénération où sont lavées toutes les souillures du péché, ce remède à la faiblesse humaine nous a été divinement donné : toute faute contractée en ce terrestre séjour est effacée par les aumônes. Les aumônes, en effet, sont des œuvres de charité et nous savons que « la charité couvre une multitude de péchés ».

(1 P 4,8)28

Ces œuvres de miséricorde à l’égard du prochain vont même jusqu’au pardon des offenses. Léon enracine le pardon que nous donnons à nos offenseurs dans « le sang du Christ qui a aboli nos iniquités. Préparons en premier lieu des hosties de miséricorde : ce que la bonté de Dieu nous a octroyé, donnons-le à notre tour à ceux qui ont péché contre nous »29. Car la Passion du Christ est bien « ce sacrement tout entier qu’en même temps consommaient et l’humanité et la Divinité » et qui « fut dispensation de miséricorde et action de pietas »30.

En montrant que l’aumône est participation active et même ministérielle au grand mystère de la miséricorde divine qu’est l’Incarnation, nous avons vu que la raison en est la double forma 31 du Christ qui nous a créés et restaurés selon la forme de sa bonté et de sa justice divines. Allons un peu plus loin dans ce qu’il convient d’appeler un admirable échange de miséricorde.

II L’aumône vient du Christ présent en notre pauvreté et passe au Christ dans le pauvre

En se souvenant « des pauvres et de soi-même », il s’agit d’abord d’« intelliger »32 le Christ en eux, c’est-à-dire de Le reconnaître par un simple regard de foi. « Il nous a, en effet, tellement recommandé les pauvres que c’est Lui-même, atteste-t-il, qui est vêtu et accueilli (suscipi) et nourri en eux »33. Par l’Incarnation, le Christ s’est identifié aux pauvres, aux petits. C’est le même verbe (suscipio) qui désigne l’assomption de la forma servi par le Christ et notre accueil de Celui-ci dans le pauvre.

Les indigents sont même la mesure, la forma du jugement à venir auquel personne n’échappera. En effet, « la miséricorde et la justice de Dieu nous ont dévoilé et expliqué dans sa grande bonté, par la doctrine de notre Seigneur Jésus-Christ, la forme de ses rétributions, disposée depuis la création du monde »34. « Forme » renvoie ici au Christ juge et au mode du jugement consigné dans l’Évangile tel qu’il apparaît dans la forme évangélique de toute la vie du Christ, et plus spécialement dans la description du jugement dernier en Mt 25. C’est par miséricorde que le Christ nous a révélé « le mode de son jugement », afin que nous « n’ignorions pas la vérité » et que nous échappions ainsi aux « abîmes de la mort éternelle »35. Le fait d’employer le même mot « forme » indique aussi que nous serons jugés par Celui dont la Bonté est d’avoir pris miséricordieusement et humblement la forme du serviteur. Dans ses sermons sur les collectes, Léon revient régulièrement sur le tableau du jugement en Mt 25. Dans l’extrait suivant, après avoir mis en exergue de ce tableau le Christ ayant assumé l’humilité humaine, Léon déclare :

À l’heure de ce grand et suprême jugement, on estimera à un tel prix et la bonté de qui répand ses biens et l’impiété de qui les garde jalousement que, l’une étant tenue pour la plénitude de toutes les vertus et l’autre pour la somme de toutes les fautes, les uns seront introduits dans le royaume à cause de cet unique bien et les autres envoyés dans le feu éternel à cause de cet unique mal36.

Nous serons jugés et sur ce bien unique et plénier qui est de « répandre ses biens », et sur cette « somme de toutes les fautes » qui est la garde avare et jalouse de nos biens. Le Christ « met ainsi à même de prévenir l’examen décrété de sa justice et de ne jamais laisser l’image du jugement divin s’éloigner des yeux du cœur »37. Pourquoi ? Pour qu’« une fois la sévérité annoncée », nous « exercions la miséricorde avec générosité »38. L’image de l’humble Christ juge, imprimée continuellement en nos cœurs, nous entraîne à la pratique de la miséricorde.

Le jugement eschatologique exercé par le Christ est donc également un principe et un motif de l’aumône chrétienne. Mais n’oublions pas que c’est en tant qu’Il a assumé la forme de notre humilité. Nous découvrons ainsi un fondement plus ontologique à l’aumône, situé dans l’être même du Christ. Parce que notre Créateur a pris notre nature, on ne doit la mépriser en personne, particulièrement dans les miséreux ou dans les souffrants : « Que l’homme ne soit pas vil aux yeux de l’homme, et qu’en personne on ne méprise cette nature que le Créateur a faite sienne. À quel souffrant est-il permis de refuser ce dont le Christ assure qu’on le donne à lui-même ? On aide son compagnon de service et c’est le Seigneur qui dit merci »39. Léon demande alors :

D’où vient que ces modestes secours aient mérité d’être estimés un si haut prix, sinon parce que la valeur des œuvres est pesée dans la balance de la charité et que, lorsque l’homme aime ce que Dieu chérit, il mérite de s’élever au royaume de celui en qui passe (transitur) son affection ?40

La miséricorde envers autrui est le prix ou la clef du Royaume car, d’une part, les œuvres « sont pesées dans la balance de la charité » — c’est l’amour qui ouvre les portes du Royaume de l’Amour — et, d’autre part, en « aimant ce que Dieu chérit », nous nous élevons dans son Royaume, puisqu’en aimant le pauvre, chéri de Dieu, notre « affection passe (transitur) en Celui » qui se trouve en lui, le Christ, le Fils chéri du Père. Le verbe transitur est celui de la Pâque : passage des hommes au Christ en raison de la nature humaine assumée et de son attraction par l’élévation de la Croix, passage en son Royaume… Ici c’est le passage en Dieu de notre amour pour les pauvres à cause du Christ présent en eux. Admirable échange ! Admirable charité que la théologie appellera par la suite « théologale » car, venant de Dieu, elle vise Dieu en prenant soin de l’homme !

On trouve le même verbe et le même échange dans le 7e sermon sur le carême qui distingue précisément la pietas ou charité chrétienne de la bienveillance mondaine :

La bienveillance (benevolentia) de ce monde a son terme dans ceux qu’elle aide ; la pietas chrétienne passe (transit) jusqu’à son auteur, puisque en Lui nous sommes déclarés bons, Lui que nous confessons opérer en nous selon cette parole du Seigneur : « Qu’ainsi brille votre lumière aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5,16)41.

Il y a ainsi d’un côté la « bienveillance de ce monde » et de l’autre la « pietas chrétienne »42. Celle-ci, jaillissant de la foi, en plus d’être récompensée éternellement43, témoigne de la Bonté de Celui en qui nous sommes et qui opère en nous. La suite immédiate confirme cette action de la grâce rayonnante en nous : « Réjouis-toi donc âme fidèle et, reconnaissant ta gloire dans la gloire de Celui qui opère en toi, que la fête pascale te soit un motif de ferveur ! »44.

Comment ne pas voir dans l’admirable et profond échange de l’Incarnation le fondement du double mouvement de la charité théologale ? Léon décrit le motif christique de l’amour et de la reconnaissance du Christ dans le pauvre à l’aide de saint Paul lors de son appel à la collecte en faveur des chrétiens de Jérusalem : « Nous aurons raison de percevoir dans l’indigent et le pauvre la personne de notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même qui, comme le dit le bienheureux Apôtre, “de riche qu’Il était, s’est fait pauvre afin de nous enrichir de sa pauvreté” (2 Co 8,9) »45. Juste auparavant, Paul avait loué les frères de Macédoine de ce que « leur joie surabondante et leur pauvreté extrême aient débordé en trésors de libéralité » (2 Co 8,2). Leur pauvreté a débordé en richesses. Comment est-ce possible ? Dans tout pauvre, Léon perçoit le Christ qui s’est fait pauvre pour nous enrichir, car dans le pauvre comme auprès du Père, il demeure, dans toute sa praestantia 46, Roi et Seigneur :

Et pour que sa supériorité (praestantia 47) ne manque pas d’être vue, il a si bien réglé le mystère de son humilité et de sa gloire, que Celui que nous adorons comme Roi et Seigneur dans la majesté de son Père, est le même que nous nourrissons dans ses pauvres, ce qui nous procurera au jour mauvais la délivrance de l’éternelle damnation et, pour le soin donné au pauvre que nous aurons reconnu (intellecti), nous serons admis au partage du royaume céleste48.

C’est même la communication réelle des idiomes dans le Christ et notre incorporation en Lui qui assurent et la possibilité du don et l’échange de l’amour :

Dans les œuvres de miséricorde, qu’on ne craigne pas de voir diminuer les possibilités (ou ressources) terrestres : la pauvreté chrétienne est toujours riche, car ce qu’elle a est plus que ce qu’elle n’a pas. Il ne redoute pas de souffrir de l’indigence en ce monde, celui à qui est donné de posséder tout dans le Seigneur de toutes choses49.

« La pauvreté chrétienne est toujours riche » car, dans le Christ, elle a le Seigneur Lui-même, Lui « le Seigneur de toutes choses » : en effet, attirés au Christ (cf. Jn 12,32), nous sommes en Lui et notre pauvreté est comblée en Lui. Une question se pose alors : avons-nous suffisamment de foi pour croire que nous ne manquerons de rien en donnant puisque nous sommes dans le Seigneur de toutes choses et qu’en Lui nous possédons donc toutes choses ? Comme Jésus, Léon nous indique la foi vive de la pauvre veuve qui donne tout en donnant ses deux piécettes : « Elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre » (Mc 12,44)50. Dans un autre sermon sur le carême, Léon approfondit sa réflexion :

Ne craignons pas d’épuiser nos possibilités (ressources) par ces dépenses, car la bonté elle-même est une grande substance (substantia) et la générosité ne saurait manquer de moyens là où c’est le Christ qui nourrit et qui est nourri : en toute cette œuvre intervient la main qui augmente le pain en le rompant et le multiplie en le distribuant51.

« La bonté elle-même est une grande substance (substantia) ». Substantia peut se traduire ici par subsistance, dans le sens des moyens de subsistance. Mais il pourrait avoir aussi un sens plus profond : c’est ce même mot que l’on retrouve dans la christologie léonienne ! Par exemple, dans ce sermon sur la Passion : « C’était déjà beaucoup d’avoir reçu du Christ la forme, mais c’est plus encore d’avoir dans le Christ la substance »52. « Substance » peut désigner deux choses. D’abord la divinité, au sens de notre participation à la nature divine (cf. 2 P 1,4), car le contexte qui précède immédiatement compare l’état originel heureux de l’homme et celui encore plus heureux de notre recréation dans le Christ. La « forme » serait alors celle reçue de notre création à l’image de Dieu par le Christ (cf. Col 1,16 in fine), la substance, elle, serait la substance divine, celle-là même du Père53, à laquelle nous participons maintenant réellement dans le Christ, par notre incorporation en Lui. Une autre interprétation est celle-ci : « avoir dans le Christ la substance » pourrait signifier notre subsistance dans le Christ, c’est-à-dire la consistance54 d’une vie prise dans celle du Christ, unie durablement à Lui et persévérant dans son imitation, bref une vie christiforme. En effet, un peu auparavant, Léon encourage les fidèles à « s’unir inséparablement au Christ qui est le Chemin, la Vérité et la Vie : chemin d’une sainte conduite de vie, vérité de la doctrine divine et vie de la béatitude éternelle »55. Et dans la suite du sermon, il parle de notre nature assumée dans le Christ qui reçoit les propriétés de Celui-ci sans changement, ce que les Pères grecs traduiraient en nature humaine divinisée en Lui. « C’était déjà beaucoup d’avoir reçu du Christ la forme » signifierait dans ce cas le don de la forme christique au baptême, à déployer et à faire croître dans une vie chrétienne consistante ou substantielle, toute divinisée.

Avec ces explications, notre expression de départ — « la bonté est une grande substance » — prend beaucoup de relief : elle signifie que la bonté envers les indigents est caractéristique d’une vie chrétienne substantielle, c’est-à-dire d’une vie divinisée par et dans le Christ, Lui qui, dans la richesse de bonté de la forma Dei, a assumé la pauvreté de la forma servi pour nous rendre riches de vie divine par sa pauvreté, dans les pauvres. Admirable échange !

Le sermon 78 sur le jeûne du 7e mois donne aussi le fondement christologique de l’aumône dans un contexte de lutte contre le monophysisme. A. Guillaume explicite l’argumentation de Léon : « Comment mettre en doute la réalité de la nature humaine du Christ, quand celui-ci nous donne sa chair à manger dans l’Eucharistie, mais aussi quand il s’identifie lui-même avec le pauvre ? »56 Tout d’abord, nous apprenons le lien profond entre la sainteté, la pureté d’un acte généreux et l’intelligence d’une foi correcte. C’est la foi droite et éclairée qui sanctifie l’offrande de notre générosité :

Que cette profession de foi [= l’Incarnation], bien-aimés, sorte du fond de votre cœur ; rejetez par elle les inventions impies des hérétiques, afin que vos jeûnes et vos aumônes ne soient souillés d’aucune contamination de l’erreur ; en effet, l’offrande que l’on fait d’un sacrifice est pure, et sainte la générosité de la miséricorde, lorsque ceux qui s’en acquittent comprennent ce qu’ils font57.

Par-là, nous saisissons que notre acte est vraiment acte de charité théologale quand il procède de la foi58. Notre aumône est purifiée et sanctifiée par la foi. Léon justifie alors cela par un parallèle avec la foi dans l’Eucharistie :

Car, puisque le Seigneur a dit : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6,53), vous devez participer à la sainte Table sans douter aucunement de la vérité du corps et du sang du Christ. On reçoit, en effet, par la bouche ce que l’on croit par la foi et c’est inutilement que répondent « Amen » ceux qui disputent contre ce qu’ils reçoivent. Par ailleurs, puisque le Prophète dit : « heureux qui comprend (ou reconnaît, intelligit) le pauvre et le malheureux » (Ps 40,2), celui-là distribue d’une façon louable vêtements et nourriture aux pauvres, qui sait qu’il habille et nourrit le Christ dans les indigents59.

L’acte de vêtir ou de nourrir le pauvre sera louable — ajoutons : aux yeux de Dieu60 — si nous reconnaissons (intelligit) le Christ en lui. Ici se trouve en germe la théologie du mérite, telle qu’elle sera validée par le Concile de Trente : par la grâce de Dieu et le mérite du Christ en qui nous sommes, les œuvres bonnes de la personne justifiée par la foi lui méritent en récompense un accroissement de grâce dans la connaissance intime de la vie de Dieu (= la vie éternelle)61. Le fondement ontologique revient alors : « Vrai Dieu et vrai homme, tel est l’unique Christ riche dans ce qui est sien, pauvre dans ce qui est nôtre, recevant les dons et répandant les dons, partageant le sort des mortels et vivifiant les morts ». C’est le même Christ qui reçoit tout du Père et qui, à travers nous, donne au pauvre en qui nous Le reconnaissons et que nous proclamons par là comme « Seigneur, dans la gloire de Dieu le Père » (conclusion de l’extrait ci-dessus)62.

Dans un sermon sur l’Ascension, Léon parle de la lutte contre le démon et affirme qu’il n’est pas d’armes plus efficaces que les largesses et la libéralité de la charité fraternelle. Il demande alors de lutter contre l’avarice, ennemie de la miséricorde, ennemie des œuvres de la charité : « C’est par cette voie de l’amour que le Christ a prise pour descendre à nous, que nous pourrons à notre tour monter à lui »63. Il est descendu pour que nous descendions aussi vers les pauvres par le même amour que Lui et qu’ainsi nous nous élevions à Lui par l’amour. Ce medium de l’amour est identiquement miséricorde et vérité :

« Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité » (Ps 24,10). La norme selon laquelle les fidèles doivent se conduire vient donc de l’exemple des œuvres divines ; et, à bon droit, Dieu exige d’être imité par ceux qu’il a faits à son image et ressemblance. En vérité, nous n’entrerons en possession de l’honneur de sa gloire que si l’on trouve en nous la miséricorde et la vérité. Par elles, en effet, le Sauveur est venu à ceux qu’il voulait sauver, par elles les sauvés doivent se hâter vers celui qui les sauve, de sorte que la miséricorde de Dieu nous rende miséricordieux et que sa vérité nous rende vrais64.

Le Christ est en personne Miséricorde et Vérité et grâce à elles nous pourrons aller vers Lui. La vérité de la miséricorde divine en tout ce que Dieu fait resplendit pour que nous l’imitions. Et la miséricorde de la Vérité divine qui s’est faite chair est notre remède et notre force pour parvenir à cette imitation. Ajoutons que l’aumône ne doit pas se contenter de dons matériels, elle doit être aussi et même davantage offrande de la vérité et annonce du Christ : le Christ enfant, transporté en Égypte par le soin de ses parents, « venait supprimer cette faim, plus terrible que toute disette, au sujet de laquelle les esprits des Égyptiens étaient en peine par l’absence de vérité, Lui qui, venu du ciel, était le pain de la vie et la nourriture de la raison »65.

Ce passage de l’aumône du Christ au Christ se fait en Église, grâce à l’économie sacramentelle66. En conclusion de son bel ouvrage sur la perfection chrétienne chez S. Léon, G. Hudon l’affirme :

Nous avons suivi avec saint Léon un véritable itinéraire annuel de l’ascension vers Dieu des membres du Christ. La charité, et précisément la charité fraternelle, en était l’activité suprême et transformante qui configurait au Dieu d’Amour ; la religion, exprimée principalement dans la louange et l’action de grâces, en était l’amorce constante ; le grand rythme annuel de la vie sacramentelle de l’Église en était l’élan fondamental, la force adjuvante et la lumière directrice67.

Pour Léon, le culte n’est pas seulement accomplissement d’un devoir envers Dieu, mais « il devient en même temps le guide et le moteur de la vie morale ; il donne un élan bien déterminé, selon le mystère célébré, vers tel effort vertueux qui configurera à telle attitude du divin modèle contemplé ; il imprime la force auxiliante qui en permettra la réalisation pratique »68. Le baptême, porte d’entrée de la vie sacramentelle, nous conforme au Christ dans son mystère pascal et permet ainsi l’effusion de sa charité en nous :

Celui qui est accueilli par le Christ et qui accueille le Christ n’est plus, après le bain, ce qu’il était avant le baptême, mais le corps du régénéré devient la chair du Crucifié. Un tel changement, bien-aimés, vient de la droite du Très-haut qui opère tout en tous ; aussi discernons-nous en chaque fidèle, à travers la valeur de sa sainte vie, l’auteur même des œuvres pieuses, rendant grâces à la miséricorde de Dieu qui orne tout le corps de l’Église des dons innombrables de ses grâces, de telle sorte que les rayons multiples émanés d’un foyer unique fassent apparaître partout la même lumière, et le mérite du chrétien, quel qu’il soit, ne peut être que la gloire du Christ69.

Comme un vitrail éclairé de l’intérieur d’une église, les chrétiens font voir par leurs actes de charité la Lumière en personne qui habite en eux et « qui les a engendrés »70.

En suivant l’Écriture, Léon indique une orientation prioritaire de la charité vers les frères dans la foi :

Soyons miséricordieux envers tous, principalement pour nos frères dans la foi (domestici fidei) (cf. Ga 6,15 ; 2 Co 5,17). Et, pour cela, dans la distribution de nos aumônes aussi, imitons la bonté du Père céleste « qui fait lever son soleil sur les bons et sur les mauvais et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45)71.

Cependant, nous ne devons jamais relâcher notre attention à tous, à cause de la communion à la même nature humaine :

Bien que la pauvreté des fidèles doive être secourue la première, ceux aussi qui n’ont pas reçu l’Évangile sont pourtant dignes de pitié dans leurs nécessités ; car il faut aimer dans tous les hommes la communion à une même nature, et cette communion doit nous rendre bienveillants envers ceux aussi qui nous sont subordonnés en quelque façon [= les esclaves ou les domestiques divers], surtout s’ils ont déjà été régénérés par la même grâce et rachetés au même prix que nous, par le sang du Christ. Nous avons, en effet, en commun avec eux, que nous avons été créés à l’image de Dieu et que ni l’origine charnelle ni la naissance spirituelle ne les séparent de nous ; un même Esprit nous sanctifie, une même foi nous fait vivre, nous accourons aux mêmes sacrements ; ne la méprisons pas, cette unité, ne regardons pas comme peu de chose une telle communion72.

On le voit bien, aussitôt réapparaît la priorité à accorder à la bienveillance vis-à-vis des baptisés, à cause du fondement sacramentel et théologal de la charité. Cet intérêt premier pour nos frères les plus proches — jamais facile dans nos communautés ! — ne s’oppose pas à la miséricorde envers quiconque est dans la nécessité. Au contraire, la miséricorde part de cette communion dans une même nature humaine créée à l’image de Dieu et s’accroît ensuite à cause de la communion dans la même naissance spirituelle, la même rédemption, la même foi, les mêmes sacrements, le même service de l’unique Seigneur.

Pour conclure cette deuxième partie, nous pouvons affirmer que c’est la double consubstantialité du Christ avec le Père et avec nous, en Marie73, qui fonde l’admirable échange entre la richesse surabondante du Christ pauvre en nous et l’accueil de cette générosité par la pauvreté du Christ Seigneur dans le pauvre. Celle-ci est gage de richesses inouïes : dans le Christ « nous possédons le Seigneur de toutes choses » et nous avons la « substance — subsistance » de la vie éternelle.

Nous n’avons pas parlé jusqu’à maintenant de l’Esprit-Saint. Il est vrai que les sermons de Léon sont plus christologiques que pneumatologiques. Cependant voici un extrait qui met bien en lien la charité avec l’Esprit qui fait tout en nous et qui nous révèle le secret de l’inhabitation divine, plénitude de notre « substance dans le Christ » :

Si dans les secrets de son cœur se trouve la charité elle-même, mère de toutes les vertus ; et s’il découvre ce cœur tout entier tourné vers l’amour de Dieu et du prochain, jusqu’à vouloir que ses ennemis aussi reçoivent les biens qu’il souhaite pour lui-même, alors celui qui est dans cette disposition ne doit pas douter que Dieu le dirige et l’habite ; il lui fait un accueil d’autant plus magnifique qu’il se glorifie davantage non en lui-même, mais dans le Seigneur. Ceux, en effet, à qui il est dit : « le Royaume de Dieu est au-dedans de vous » ne font rien que par l’Esprit de Celui dont la volonté les mène. Sachant donc, bien-aimés, que « Dieu est charité » (1 Jn 4,16), Lui « qui opère tout en tous » (1 Co 12,6), recherchez la charité afin que les cœurs de tous les fidèles s’unissent dans un même sentiment de chaste amour74.

III Pour être le sacrifice de louange le plus agréable au Père

Nous nous sommes déjà un peu rendu compte combien Léon cherchait la gloire du Père dans la confession de sa foi et l’exhortation à la miséricorde. Souvent, il cite la finale de l’hymne aux Philippiens : « Que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2,11). Souvent, il termine ses sermons, notamment ceux de l’Épiphanie, par Mt 5,16 : « Qu’ainsi votre lumière brille aux yeux des hommes pour qu’ils voient vos bonnes œuvres et en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux ». Les aumônes, les œuvres de la pietas sont aussi à la gloire du Père. Notre pontife affirme clairement qu’elles sont une oblation cultuelle, un sacrifice saint offert à Dieu dans les pauvres :

(…) parce qu’autrefois les peuples païens s’adonnaient à pareille époque à un culte plus superstitieux envers les démons, [les Pères] voulurent que, face aux victimes impures des impies, soit célébrée l’oblation très sacrée de nos aumônes (sacratissima a nostris elemosinarum celebraretur oblatio). Cette pratique s’étant révélée des plus profitables à l’accroissement de l’Église, il parut bon qu’elle soit perpétuelle75.

Que nous trouvions chez Léon des sermons sur les collectes indique que celles-ci étaient annoncées et certainement aussi recueillies lors de célébrations liturgiques. D’ailleurs nos quêtes pendant la Messe, faites justement au moment de la présentation des oblats, poursuivent cette pratique. À l’époque, étaient déposés auprès de l’autel également des dons en nature. Cela justifie l’emploi d’« oblation très sacrée » pour les aumônes. À l’autel, elles rejoignent l’offrande de Celui qui est la parfaite oblation au Père et aux hommes et c’est le même mouvement de charité divine qui, de l’autel et de ses dons, va vers les hommes, grâce aux « pratiquants ». La participation à l’Eucharistie et les aumônes sont intrinsèquement liées. Comme le dit A. Guillaume, « offrir un sacrifice à Dieu, ce sera encore “affliger son âme” par l’immolation du jeûne. Mais, ce sera surtout offrir ce “Sacrificium misericordiae” qui consiste à donner au pauvre ce dont on s’est privé par vertu »76. Il ajoute un peu plus loin : « La pietas est un véritable acte de culte, parce qu’elle rend gloire à Dieu en reproduisant chez le chrétien l’image de la Pietas de Dieu, c’est-à-dire de sa perfection essentielle, Deus caritas est »77.

Cette offrande « très sacrée » doit être effectuée par une « dévotion volontaire » :

Préparez-vous donc par une dévotion volontaire (devotioni voluntariae) afin que chacun prenne part à l’oblation très sacrée selon ses possibilités. Vos aumônes aussi prieront pour vous, et tous ceux que vous aiderez de vos largesses, en sorte que toujours vous puissiez être prêts à toute bonne œuvre dans le Christ Jésus78.

Devotio vient du verbe devoveo : vouer, dédier, consacrer. « Nulle dévotion chez les fidèles n’est plus agréable à Dieu que celle qui se consacre à ses pauvres »79. L’aumône, par un don de soi libre, devient une vraie consécration à Dieu à travers les pauvres qu’on sert. Elle est la libre réponse oblative de l’homme au salut offert par le Christ, réponse qui se décline en imitation de sa charité80. Notre Pape suit encore ce que Paul déclare lors de sa fameuse collecte : c’est « en toute spontanéité » ou liberté que les chrétiens de Macédoine ont voulu participer à ce service. S. Paul continue : « Au-delà même de nos espérances, ils se sont donnés eux-mêmes, d’abord au Seigneur, puis à nous par la volonté de Dieu », c’est-à-dire en donnant à l’Apôtre le fruit de leur collecte. La vraie aumône commence toujours par le don de nous-mêmes à Dieu. C’est la raison pour laquelle « aucun don de soi (devotio) ne réjouit davantage le Seigneur que celui qui s’adresse à ses pauvres, et là où il trouve l’empressement de la miséricorde, il reconnaît l’image de sa pietas »81. Rien ne plaît autant à Dieu que le sacrifice de miséricorde qui lui est offert sur l’autel des pauvres ! Ajoutons que Dieu regarde à l’intention du cœur, à ce que le cœur a voulu et décidé, et non à la quantité du don :

Toutes les fortunes, dont la mesure certes n’est pas uniforme, peuvent avoir un mérite égal si, en dépit des dons inégaux, la pietas n’est pas inférieure aux possibilités. Dieu, en effet, qui ne fait pas acception des personnes, reçoit pareillement et le don du riche et celui du pauvre : il sait ce qu’il a donné à chacun et ce qu’il n’a pas donné ; au jour de la récompense, ce ne sera pas la mesure des richesses qui sera jugée, mais la qualité des intentions (qualitas voluntatum)82.

En pasteur avisé et pratique, Léon donne alors le jour et le lieu de l’offrande, mais surtout avec grande délicatesse il demande de reconnaître l’indigent et le pauvre (cf. Ps 40,1) qui cachent leur pauvreté par honte ou par pudeur :

Ceux-là, il faut donc les reconnaître et les soulager dans leurs nécessités secrètes afin qu’ils aient d’autant plus de joie qu’on aura eu égard à la fois à leur pauvreté et à leur pudeur83.

En nous consacrant à Dieu à travers l’aumône que le cœur a voulue, nous cherchons à Lui plaire et à nous unir à sa volonté. Léon rappelle que c’est Dieu qui unit (copulat) le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain. Cette unité se réalise précisément en cherchant à plaire à l’Être aimé, et donc en aimant ce qu’Il aime et en faisant ce qu’Il fait, ce que la tradition appellera l’union des volontés :

En couplant (copulat) aussi à ce précepte [l’amour de Dieu] celui de l’amour du prochain, le Créateur nous commande d’imiter sa bonté : ainsi nous aimerons ce qu’il aime et nous opérerons ce qu’il opère. (…) Il exige en tout le service de notre ministère et veut que nous soyons les dispensateurs de ses dons, en sorte que celui qui porte en soi l’image de Dieu, fasse la volonté de Dieu84.

Cette union des volontés se décline aussi ainsi :

À qui aime Dieu, il suffit de plaire à celui qu’il aime car on ne doit pas souhaiter de récompense plus grande que l’amour lui-même ; en effet, tel est l’amour qui vient de Dieu que Dieu lui-même est cet amour ; c’est de lui, en vérité, que l’âme pieuse (pius — dans tous les sens de la pietas) et chaste se réjouit tellement d’être comblée qu’elle ne désire trouver sa joie en nulle autre récompense qu’en lui. Rien de plus vrai, en effet, que ce que dit le Seigneur : « Là où sera ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6,21)85.

La charité est décrite ici dans sa plus profonde dimension. Le Dieu d’Amour comble et réjouit l’âme qui vit déjà chastement de charité (pius) et qui n’attend aucune autre récompense que l’amour de Dieu Lui-même, sa joie. La charité n’attend pas de reconnaissance, et n’a pas d’exigence de réciprocité… C’est l’amour gratuit au plus haut point.

En sens inverse, la perte de la charité est reniement de Dieu, ce à quoi s’évertue le démon quand il ne réussit pas à supprimer la foi dans une âme :

Si donc un homme, quel qu’il soit, offense Dieu par n’importe quelle impietas, c’est qu’il a été entraîné par la ruse de cet ennemi et perverti par sa malice. (…) Sachant bien que Dieu peut être renié non seulement en paroles, mais encore en actes, il a enlevé la charité à beaucoup de ceux chez qui il n’a pas pu supprimer la foi86.

En guise de conclusion, voici un extrait d’un sermon sur la Passion qui redit bien le fondement christologique et pascal de la charité et nous invite à toujours courir sur la voie de la foi et de la miséricorde envers les pauvres. Après avoir cité 2 Co 5,15 — « Que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour eux » — Léon poursuit ainsi :

Puisque ce qui est ancien a passé et que toutes choses sont renouvelées, que personne ne demeure dans la vétusté de sa vie charnelle, mais que tous se renouvellent par des accroissements de piété en progressant de jour en jour. Tout justifié que l’on soit, il y a pourtant matière, tant qu’on est en cette vie, à devenir plus pur et meilleur. Or qui ne progresse pas régresse et qui ne gagne rien perd quelque chose. Il nous faut donc courir par les pas de la foi, par les œuvres de la miséricorde, par l’amour de la justice, afin que (…) nous méritions d’avoir part à la résurrection du Christ87.

Notes de bas de page

  • 1 Voir l’excellente synthèse de R. Dolle, « Un docteur de l’aumône, Saint Léon le Grand », La vie spirituelle 426 (1957), p. 266-287 : « L’aumône est un des thèmes préférés du pape Léon le Grand. Sur 96 des sermons de lui qui nous ont été conservés, près de la moitié, exactement 43, parlent de l’aumône (…). Il peut donc être considéré comme un docteur de l’aumône. M. l’abbé Guillaume, étudiant les rapports du jeûne et de l’aumône dans la tradition de l’Église latine, n’a guère retenu que deux noms, ceux de saint Augustin et de saint Léon, et a donné à celui-ci la plus large place » (p. 266, se référant à A. Guillaume, Jeûne et charité dans l’Église latine, des origines au 12e siècle, en particulier chez S. Léon le Grand, Paris, éd. SOS, 1954).

  • 2 Cf. Léon le grand, Sermons, t. ii, trad. R. Dolle, Sources Chrétiennes (SC) 49, Paris, Cerf, 1957.

  • 3 Cf. Léon le grand, Sermons, t. iv, trad. R. Dolle, SC 200, Paris, Cerf, 1973.

  • 4 A. Guillaume, Jeûne et charité… (cité supra n. 1), p. 62.

  • 5 R. Dolle, « Les idées morales de saint Léon le Grand », Mélanges de science religieuse 15 (1958), p. 49-84, ici p. 49-50.

  • 6 Cf. A. Guillaume, Jeûne et charité… (cité supra n. 1), p. 71.

  • 7 Cette expression revient souvent : cf. L. Pidolle, La christologie historique du Pape S. Léon le Grand, coll. Cogitatio Fidei, Paris, Cerf, 2013, chap. I (à paraître).

  • 8 Serm. sur les collectes 24, 1, SC 49, p. 20 (Tr. 10). La page renvoie à la trad. française des sermons dans SC. Le nombre qui suit Tr. renvoie au numéro du sermon dans l’édition critique latine du Corpus Christianorum series Latina : Sancti Leonis magni romani pontificis, Tractatus septem et nonaginta, éd. A. Chavasse, CCL 138 et 138A, Turnhout, 1973. Parfois, je modifie légèrement la trad. française des SC pour la rendre plus proche du sens littéral convenant.

  • 9 Serm. sur les collectes 24, 1, SC 49, p. 20-21 (Tr. 10).

  • 10 Serm. sur les collectes 24, 2, SC 49, p. 23 (Tr. 10).

  • 11 Serm. sur le carême 32, 1, SC 49, p. 60 (Tr. 45).

  • 12 Serm. sur le carême 31, 2, SC 49, p. 59 (Tr. 44).

  • 13 Serm. sur les collectes 20, SC 49, p. 10 (Tr. 6).

  • 14 Serm. sur le carême 36, 6, SC 49, p. 85 (Tr. 49).

  • 15 Serm. sur le carême 30, 4, SC 49, p. 55 (Tr. 43).

  • 16 Serm. sur le carême 35, 3, SC 49, p. 77-79 (Tr. 48).

  • 17 Serm. sur le jeûne du 10e mois 90, 3, SC 200, p. 223 (Tr. 20). Juste auparavant, Léon avait dit : « L’homme n’a d’autre moyen de prouver qu’il s’aime lui-même qu’en manifestant qu’il aime plus que lui-même l’Auteur de sa nature et comme lui-même celui qui partage sa nature ».

  • 18 Cf. L. Pidolle, La christologie historique… (cité supra n. 7), chap. II.

  • 19 Serm. sur le jeûne du 10e mois 82, 1, SC 200, p. 151-152 (Tr. 12). Dans un sermon pour Noël, Léon avait joint la justice à la forme de la bonté : « Le premier homme reçut la substance de chair de la terre et fut animé d’un esprit raisonnable que son Créateur lui insuffla, afin qu’en vivant à l’image et à la ressemblance de son auteur, il conservât la forme de la bonté et de la justice de Dieu dans la splendeur de l’imitation comme dans le reflet du miroir » (Serm. sur Noël 4, 2, dans Léon le grand, Sermons, t. i, trad. R. Dolle, SC 22, Paris, Cerf, 1964, p. 111 [Tr. 24]).

  • 20 A. Feuillet, Christologie paulinienne et tradition biblique, Paris, Desclée De Brouwer, 1973, p. 38.

  • 21 Ibid., p. 101.

  • 22 M. Victorinus, Adv. Arium, 4, 30, PL 21, c. 1134.

  • 23 Serm. sur la Passion 41, 4, dans Léon le grand, Sermons, t. iii, trad. R. Dolle, SC 74 bis, Paris, Cerf, 2004, p. 59 (Tr. 54).

  • 24 Serm. sur la Passion 40, 3, SC 74 bis, p. 51 (Tr. 53). R. Dolle commente ainsi : « C’est toujours parce que le Christ a pris la forme de l’esclave qui était devenue en nous, par suite du péché, une difformité, qu’il nous a rendus capables de retrouver la forme, authentique celle-là, de son image, de l’image de Dieu en l’homme » (ibid., p. 51, n. 8).

  • 25 Serm. sur le jeûne du 10e mois 82, 1, SC 200, p. 151-152 (Tr. 12).

  • 26 Serm. sur le carême 29, 1, SC 49, p. 43-44 (Tr. 42).

  • 27 Serm. sur les collectes 24, 2, SC 49, p. 22 (Tr. 10).

  • 28 Serm. sur les collectes 21, SC 49, p. 12 (Tr. 7).

  • 29 Serm. sur le carême 35, 4, SC 49, p. 78 (Tr. 48).

  • 30 Serm. sur la Passion 39, 2, SC 74 bis, p. 39 et 41 (Tr. 52). S. Léon parle même d’un « échange de miséricorde » entre le riche qui donne au pauvre et le pauvre qui lui obtient ainsi le pardon de ses péchés : « Si en cette œuvre les possibilités (facultas) de tous ne sont pas égales, que leur pietas soit sans différence : la générosité des fidèles, en effet, ne se mesure pas au poids du don, mais à l’intensité de la bonne volonté. Que les pauvres aussi retirent donc un gain de cet échange de miséricorde (hoc misericordiae commercio) et qu’ils choisissent dans le peu qu’ils ont quelque chose qui subvienne aux indigents sans les contrister eux-mêmes » (Serm. sur les collectes 22, SC 49, p. 13-14 [Tr. 8]).

  • 31 L’inspiration pourrait bien se trouver du côté de S. Augustin que Léon connait bien (cf. A. Verwilghen, Christologie et spiritualité selon saint Augustin. L’hymne aux Philippiens, Théologie historique 72, Paris, Beauchesne, 1985, p. 287-288).

  • 32 Intellegere chez Léon désigne proprement l’intelligence du mystère de la foi à laquelle ses auditeurs sont sans cesse appelés. Cf. L. Pidolle, La christologie historique… (cité supra n. 7), chap. V.

  • 33 Serm. sur les collectes 20, SC 49, p. 11 (Tr. 6).

  • 34 Serm. sur les collectes 23, 1, SC 49, p. 14 (Tr. 9).

  • 35 Serm. sur les collectes 23, 1, SC 49, p. 15 (Tr. 9).

  • 36 Serm. sur les collectes 24, 2, SC 49, p. 22 (Tr. 10).

  • 37 Serm. sur les collectes 23, 2, SC 49, p. 15-16 (Tr. 9).

  • 38 Ibid., p. 16 (Tr. 9).

  • 39 Ibid., p. 16-17 (Tr. 9).

  • 40 Ibid.

  • 41 Serm. sur le carême 32, 3, SC 49, p. 64 (Tr. 45).

  • 42 Comme « il y a deux amours dont procède tout vouloir, amours différents par leurs qualités comme distincts par leurs auteurs. L’âme raisonnable, en effet, qui ne peut être sans amour, est éprise ou de Dieu ou du monde. Dans l’amour de Dieu, rien n’est excessif, dans l’amour du monde, au contraire, tout est nuisible. Aussi faut-il s’attacher inséparablement aux biens éternels et user comme en passant des biens temporels ; de la sorte, pour nous qui sommes en voyage et nous hâtons de retourner à la patrie, tous les succès qui nous arriveront de ce monde seront un viatique pour la route, non un appât qui nous invite à demeurer » (Serm. sur le jeûne du 7e mois 77, 3, SC 200, p. 115 [Tr. 90]).

  • 43 « Ce qui n’a pas sa source dans la foi n’obtient pas les éternelles récompenses » (ibid.).

  • 44 Serm. sur le carême 32, 4, SC 49, p. 64 (Tr. 45).

  • 45 Serm. sur les collectes 23, 3, SC 49, p. 18 (Tr. 9).

  • 46 C’est la raison pour laquelle j’ai traduit praestantia par « supériorité » plutôt que par « aide » ou « efficacité ». Quand Léon affirme la pauvreté et l’humilité de la condition humaine du Christ, il confesse toujours simultanément la majesté ou la grandeur de sa divinité jamais amoindrie par l’Incarnation.

  • 47 Certains manuscrits ont praesentia.

  • 48 Serm. sur les collectes 23, 3, SC 49, p. 18 (Tr. 9).

  • 49 Serm. sur le carême 29, 2, SC 49, p. 45-46 (Tr. 42).

  • 50 Ibid.

  • 51 Serm. sur le carême 35, 5, SC 49, p. 79 (Tr. 48).

  • 52 Serm. sur la Passion 59, 2, SC 74 bis, p. 257 et 259 (Tr. 72).

  • 53 Selon He 1,3 (Vulg.), le Christ est figura substantiae eius : « figure de sa substance [celle de Dieu] ». Dans un autre sermon pour la Passion, Léon dit que le Christ « est un avec la substance du Père et un avec la nature de la mère » (Serm. sur la Passion 56, 3, SC 74 bis, p. 221 [Tr. 69]). Avant Léon, on trouve une idée semblable chez Marius Victorinus : « Ô Fils, tu es visible ; car tu es la forme universelle, la forme de toutes choses ; car, lorsque tu vivifies toutes choses, la forme des choses provient de la vie ; or la forme est toujours en la substance et toute connaissance est forme ; donc, dans la substance, tu es Dieu, dans la forme, Logos, dans la connaissance, Esprit-Saint, ô bienheureuse Trinité. » (hymne III, O beata Trinitas, dans Traités sur la Trinité, SC 68, p. 647).

  • 54 Cette notion de « consistance » vient de l’analyse très fouillée du Tome à Flavien et de son vocabulaire par H. Arens : « substantia bezeichnet etwas unter dem Aspekt des “Bestehens”, des in Identität Bestandhabens » (Die christologische Sprache Leos des Grossen. Analyse des Tomus an den Patriarchen Flavian, Freiburger Theologischen Studien 122, Freiburg - Basel - Wien, herder, 1982, p. 336). Voir aussi la définition que donne B. Studer de la consubstantialité chez Léon : « pour Léon, en effet, la consubstantialité signifie aussi bien l’unité que l’égalité, l’union aussi bien que la ressemblance » (Dieu sauveur. La rédemption dans la foi de l’Église ancienne, Paris, Cerf, 1989, p. 272).

  • 55 Serm. sur la Passion 59, 1, SC 74 bis, p. 257 (Tr. 72).

  • 56 A. Guillaume, Jeûne et charité… (cité supra n. 1), p. 82.

  • 57 Serm. sur le jeûne du 7e mois 78, 3, SC 200, p. 127 et 129 (Tr. 91).

  • 58 Ce qui ne veut pas dire que les non-croyants involontaires ne servent pas le Christ réellement dans les petits. Dans le jugement final de tous les hommes en Mt 25, il s’agit de « justes » ignorant qu’ils ont fait du bien au Christ en servant les nécessiteux : « Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, soif… » Les paroles de S. Léon destinées aux croyants prennent encore plus de poids, tout comme la responsabilité de ceux-ci !

  • 59 Serm. sur le jeûne du 7e mois 78, 3, SC 200, p. 127 et 129 (Tr. 91).

  • 60 Cf. 1 Co 4,5 : « C’est le Seigneur qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et mettra en évidence les desseins des cœurs. Alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui revient ».

  • 61 Cf. Concile de Trente, can. 32 sur la justification : DH 1582. Cf. aussi DH 1535, 1545-1549.

  • 62 Serm. sur le jeûne du 7e mois 78, 3, SC 200, p. 127 et 129 (Tr. 91).

  • 63 Serm. sur l’Ascension 61, 5, SC 74 bis, p. 287 (Tr. 74).

  • 64 Serm. sur le carême 32, 2, SC 49, p. 61-62 (Tr. 45).

  • 65 Serm. sur l’Épiphanie 14, 4, SC 22, p. 233 (Tr. 33).

  • 66 Notons aussi la dimension apostolique de la sainte oblation des aumônes. Celle-ci a été instituée par les Apôtres et son caractère institutionnel la garde et la rend pérenne : « C’est le propre de la pietas chrétienne, bien-aimés, de garder avec une fidèle dévotion les institutions que nous tenons de la tradition des Apôtres. (…) Ils ont recommandé que le peuple de Dieu fasse une particulière instance par la prière et les œuvres de la pietas chaque fois que l’aveuglement des païens s’adonnerait avec plus d’ardeur à ses superstitions » (Serm. sur les collectes 22, SC 49, p. 12-13 [Tr. 8]).

  • 67 G. Hudon, La perfection chrétienne d’après les sermons de saint Léon, coll. Lex orandi 26, Paris, Cerf, 1959, p. 246-247.

  • 68 Ibid., p. 255.

  • 69 Serm. sur la Passion 50, 6-7, SC 74 bis, p. 161 (Tr. 63).

  • 70 Serm. sur Noël 6, 4, SC 22, p. 145 (Tr. 26).

  • 71 Serm. sur le carême 28, 3, SC 49, p. 42 (Tr. 41).

  • 72 Ibid.

  • 73 B. Studer a étudié cette expression propre à Léon dans son article : « Consubstantialis Patri — Consubstantialis Matri. Une antithèse christologique chez Léon le Grand », Revue des Études Augustiniennes 18 (1972), p. 87-115.

  • 74 Serm. sur l’Épiphanie 19, 4, SC 22, p. 289 et 291 (Tr. 38).

  • 75 Serm. sur les collectes 23, 3, SC 49, p. 17 (Tr. 9).

  • 76 A. Guillaume, Jeûne et charité… (cité supra n. 1), p. 61.

  • 77 Ibid., p. 69.

  • 78 Serm. sur les collectes 24, 2, SC 49, p. 23 (Tr. 10).

  • 79 Serm. sur le carême 35, 5, SC 49, p. 79 (Tr. 48).

  • 80 Cela apparaît nettement dans ce sermon sur la Passion : « En effet, la croix par laquelle le Christ s’est livré pour le salut des mortels est à la fois sacrement et exemple : sacrement par lequel s’accomplit la puissance divine, exemple qui incite à la dévotion humaine, car, à ceux qu’elle a arrachés au joug de l’esclavage, la rédemption apporte encore ce bienfait de pouvoir être imitée » (Serm. sur la Passion 59, 1, SC 74 bis, p. 257 [Tr. 72]).

  • 81 Serm. sur le carême 35, 5, SC 49, p. 79 (Tr. 48).

  • 82 Serm. sur les collectes 25, 2, SC 49, p. 26 (Tr. 11).

  • 83 Ibid. 23, 3, SC 49, p. 17-18 (Tr. 9).

  • 84 Serm. sur le jeûne du 7e mois 77, 3, SC 200, p. 117 (Tr. 90).

  • 85 Ibid, 79, 3, SC 200, p. 133 et 135 (Tr. 92).

  • 86 Serm. sur les collectes 23, 1, SC 49, p. 15 (Tr. 9).

  • 87 Serm. sur la Passion 46, 8, SC 74 bis, p. 119 (Tr. 59).

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