En priant le chapelet, on médite les « mystères » du rosaire, c.-à-d. les mystères de la vie de Jésus. Introduit comme prière du peuple dans une époque où la prière des heures a été limitée à une minorité qui savait lire, le chapelet n’a pas disparu après que la plupart des fidèles a aussi eu accès à la lecture du bréviaire. La raison de cette « survie » se trouve dans le fait que cette prière mène autrement à Jésus que les hymnes, les psaumes et les lectures des heures. Le rosaire « montre » les scènes « cruciales » de la vie du Seigneur, et il ne les montre pas en racontant une histoire, mais en reproduisant plusieurs fois la même phrase. On ne se meut pas selon les mots, mais on transcende les mots pour entrer dans la scène décrite, non pas « au-delà » du verset (Levinas), mais dans ses « alentours ». On entre dans l’expérience décrite par le verset. Par-là, on comprend bien pourquoi l.’A., enseignante de philosophie et de théologie aux Bernardins et à l’Inst. cath. de Paris, a choisi une approche phénoménologique pour saisir cette expérience. Sans doute inspirée par l’approche philosophique d’Emmanuel Falque (Passer le Rubicon, Lessius, 2013) qui a écrit une préface (presque une introd. avec ses 28 p.), l.’A. crée un dialogue entre les « mystères » et les philosophes (dont beaucoup de phénoménologues, mais aussi des personnalistes et des existentialistes), un « “admirable échange” qui fait la rencontre de l’humain et du divin » (p. 45). Par le « choc en retour » (Falque) de la théologie (les mystères) sur la philosophie, cette dernière fait apparaître à sa manière un rythme de la vie humaine en général (exemplifiée par la vie de Jésus en particulier). Les analyses de ce livre (structurées par les dizaines du chapelet : Joie, Lumière, Douleur, Gloire) sont un vrai trésor – pas seulement pour la philosophie et la théologie, mais aussi pour la vie spirituelle : un effort exemplaire de camper sur la frontière entre les disciplines et de les faire dialoguer. — M. Kneer