Comment lire les classiques chinois ?

Benoît Vermander
Arts and letters - reviewer : Jacques Scheuer s.j.

Il faut entendre ici par « classiques » non seulement quelques livres reconnus comme constituant le Canon des lettrés confucéens et la matière des examens officiels de l’administration impériale, mais un ensemble plus vaste et complexe d’écrits relevant de divers courants de pensée. Ce corpus s’est enrichi dernièrement de textes ou de versions découverts lors de fouilles archéologiques. Si les origines de ces textes divers se situent bien avant le début de notre ère, leur berceau géographique et social, l’identité de leurs auteurs supposés ainsi que l’histoire probablement mouvementée de leur rédaction nous demeurent obscurs de même que les étapes du processus de leur reconnaissance comme « classiques ». C’est à l’exploration de ce massif que Benoit Vermander, jésuite et professeur à la prestigieuse Université Fudan de Shanghaï, consacre les six chapitres d’un ouvrage tout à la fois rigoureusement documenté et se voulant accessible à un large public cultivé.

Un premier parcours de reconnaissance permet de situer différents types de textes (poèmes et chansons, annales, manuels de divination, traités concernant les rites, considérations sur la famille et la société, art de gouverner, réflexions éthiques, enseignements de sagesse…) ainsi que le monde ou les mondes dans lesquels ils ont pris forme. Surgit alors la question « Comment lire ? » : s’inspirant notamment des recherches et débats autour de la lecture de la Bible et (de Gadamer à Foucault ou Certeau) de nos propres classiques européens, Benoît Vermander distingue pas moins de sept modes de lecture, avec leurs points forts et leurs faiblesses.

Les chapitres III et IV invitent à découvrir quelques métaphores récurrentes dans le corpus des classiques chinois (l’eau, le regard, le souffle…) ainsi que quelques thématiques transversales : le rite comme fondement du social, la piété filiale et la figure du père, l’art de nommer correctement les choses et les êtres. Souvent associés à l’école de Confucius, ces thèmes sont transversaux en ce sens également qu’ils se retrouvent – non sans nuances et variations – dans bien d’autres courants de pensée.

Plus techniques, les deux derniers chapitres abordent la question – trop souvent délaissée – de la composition des classiques chinois. Au premier regard, ces textes laissent l’impression d’un recueil quelque peu désordonné de fragments : sentences, paraboles ou bouts de dialogue. L’hypothèse de travail de B.V. est que ces textes – ou du moins des sections de quelque ampleur – sont construits selon des schémas (une « rhétorique structurale » ou « structurelle ») où joue en particulier la valeur symbolique des nombres. Cela semble clairement se vérifier dans le cas du Huainanzi (chap. V) ; l’examen de textes aussi prestigieux que les Annales des Printemps et Automnes, les Analectes de Confucius, les « chapitres intérieurs » du Zhuangzi ou encore le Livre de la Voie et de sa Vertu (Daodejing) paraît également prometteur, même si les conclusions proposées ne sont pas toutes également assurées (chap. VI). Il en ressort que « composition et contenu ne doivent pas être considérés comme deux dimensions distinctes » (p. 233). Dans un Épilogue, l’A. revient sur la question du comment lire aujourd’hui (et chez nous) les classiques chinois, une lecture nécessairement dialogale : « Le “comment lire” ne se sépare plus d’un “comment converser” » (p. 291). Un art de la rencontre et une communauté de lecture qu’il convient désormais de pratiquer à l’échelle de la planète. — J.S.

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