Prétendre reconstituer la chronologie de la vie de Jésus semble
aujourd'hui une gageure. Faisant confiance au sens «historique» de
Luc, l'A. pourtant en relève le défi. Elle ne décline pas ses
titres, mais son étude manifeste une excellente connaissance du
milieu des premières communautés chrétiennes et de la littérature
tant juive que patristique, ainsi que la science des calendriers.
La méthode de lecture des textes est fondée et rigoureusement
menée: il s'agit de ne pas séparer le sens propre ou historique du
sens figuré ou symbolique, mais d'enraciner l'un dans l'autre. Dès
lors, l'A. s'efforce d'établir l'âge de Jésus au début de son
ministère: trente ans au printemps de l'an 29. Elle examine ensuite
les récits lucaniens de la passion du Christ. Grâce aux données
astronomiques à consulter dans l'annexe I, elle date - avec
certitude (!) - la mort de Jésus du 7 avril 30. Elle suit pas à pas
le déroulement des événements en soulignant la cohérence historique
de Lc et en tentant d'expliquer les variantes de Mt et Mc comme
imprécisions ou spiritualisations. Passant à la naissance du
Christ, l'A. reprend la chronologie traditionnelle et la rapproche
de celle de Lc, reconnue fiable; elle la date de l'an 2 avant notre
ère (752 de Rome), en accord avec les Pères de l'Église jusqu'au
VIe siècle, année sabbatique et jubilaire. Bien documentée,
soigneusement étayée, cette étude apportera matière à réflexion aux
exégètes et aux historiens. Elle rejoint d'ailleurs le point de vue
de nombreux chercheurs actuels, avec des arguments intéressants, à
comparer à ceux de G. Fedalto (cf. NRT 122 [2000] 461). Sa vision
des choses parviendra-t-elle à s'imposer? Elle minerait, pour une
part, les conclusions de la recherche synoptique. L'avenir le dira.
Louons la probité intellectuelle de l'A. qui s'inspire du
commentaire du regretté É. Delebecque. Elle fait passer sa
conviction dans un style clair et précis, simple et persuasif. Le
deuxième essai tente de prouver que les récits lucaniens d'enfance
de Jésus remontent directement au témoignage de Marie. Position
difficile à soutenir, et qui va à l'encontre de l'avis des bons
exégètes récents, en raison du caractère sémitique et midrashisant
de Lc 1-2. En contact étroit avec le milieu judéo-chrétien,
l'auteur du troisième évangile - païen converti d'Antioche - semble
avoir bien perçu l'importance du judaïsme dont il a emprunté les
modèles d'écriture. Après avoir comparé le récit de l'annonciation
avec la tradition juive (récits et prophéties), l'A. s'attarde à
souligner l'importance de la prononciation du Nom divin par l'ange
Gabriel, comparé au grand prêtre au Yom Kippour. Elle passe ensuite
à l'appellation que Jésus se donne devant le sanhédrin et y relève
des allusions au jour du grand Pardon et à la bénédiction
sacerdotale (donnée par Jésus au jour de son enlèvement: Lc
24,50-51). Identifiant alors le rédacteur du troisième évangile,
elle n'hésite pas à reconnaître en lui un Juif, peut-être un
lévite, familier des premiers témoins du Christ et confident de la
Vierge Marie. Elle réinterprète les récits lucaniens d'enfance par
la tradition juive. Finalement, elle propose une date très haute
pour la composition de Lc: 55 ou 56, avant l'épître aux Galates.
Elle croit cet évangile né d'une rencontre de Luc avec Marie «dans
une étroite collaboration de mémorisation, de rédaction et de
traduction» (p. 119); il ne s'agit donc pas d'une de ces «strictes
compositions littéraires chargées d'intentions spirituelles» (p.
120). Or elle-même reprend, au long de ses deux essais, des
éléments de théologie spirituelle montrant que l'auteur lucanien,
s'il est vrai historien, est aussi vrai théologien, sans que l'un
fasse tort à l'autre. Une annexe place la naissance de Jésus dans
la nuit du 24 au 25 juin de l'an 2. Malgré la minutie de sa lecture
des textes et des réflexions pénétrantes, il nous paraît difficile
de suivre l'A. jusqu'au bout. En effet, si l'auteur lucanien a pu
connaître Marie, il élabore son récit de manière théologique, en
lien avec les autres évangélistes mentionnés dans son prologue. On
ne peut davantage nier le parallélisme qu'il construit entre son
Évangile et les Actes, unanimement reconnu. À vouloir trop prouver,
on risque de déforcer ses arguments. Cette étude doit donc être lue
avec circonspection, même si elle contient d'intéressants matériaux
et des rapprochements suggestifs entre A.T. et N.T. Finalement, sa
notion d'historicité apparaît un peu étriquée: pour Lc, la
véritable histoire n'est-elle pas celle que l'Esprit Saint trace
dans les vies? À étudier les récits lucaniens, nous nous sommes
forgé une conviction fort différente de celle de l'A. Il nous
semble en tout cas difficile de considérer sans plus Marie comme
co-auteur du troisième évangile! - J. Radermakers, S.J.