Dictionnaire paradoxal de la philosophie. Penser la contradiction

Martin Steffens Pierre Dulau Guillaume Morano
Philosophy - reviewer : André Haquin

Dans la ligne de la Phénoménologie de l’Esprit (Hegel) et non dans celle de La critique de la raison pure (Kant), trois philosophes ont uni leurs forces pour « penser la contradiction » inhérente aux concepts, pris dans leur acception commune. La contradiction est plus que le paradoxe ; elle est intérieure au concept habité par une dualité qui le constitue. Les théologiens-philosophes du Moyen Âge pratiquaient déjà le Sic et Non ! La philosophie cherche à rendre compte de la contradiction, à la rendre intelligible sans la trahir. Au final, le penseur propose une « résolution » acceptable de la contradiction, qui respecte l’interprétation commune sans renoncer à l’exigence de la rationalité.

L’introduction très pointue de P. Dulau (p. 7-22) permet de rendre compte du phénomène et de ses enjeux. Ensuite, le Dictionnaire présente une centaine de concepts par ordre alphabétique, armés d’une bibliographie essentielle. Cette partie est accessible à un lectorat beaucoup plus large, qui fera bien de ne lire l’introduction qu’après s’être familiarisé avec la démarche du dictionnaire. Chacun découvrira de cette manière que les mots ont en apparence une signification univoque, mais qu’en réalité celle-ci repose sur un fonds de contradictions complexes. Le mieux est sans doute d’en donner quelques exemples. Cette complexité explique en partie la difficulté de la communication ainsi que les malentendus et les ruptures de dialogue.

Qu’est-ce que le « Corps » ? (P. Dulau, p. 102-108) Cette réalité familière, faite d’organes et de possibilités multiples, forme une unité, une structure, le corps. Mais organes et propriétés sont fragiles. D’où vient cette « énigmatique » structure et cette « unité paradoxale » ? Ne faut-il pas postuler un principe d’unité qui ne soit pas matériel ? On l’appelle l’esprit ou l’âme. Les tenants du matérialisme s’opposent à cette hypothèse, mais la meilleure hypothèse est peut-être de postuler un principe d’unité non corporel, empêchant une vue dualiste de la personne humaine.

Qu’est-ce que la « Consolation » ? (M. Steffens, p. 95-98) Elle consiste à apporter un certain réconfort à quelqu’un qui connaît l’épreuve. Mais comment faire ? Si je suis « désolé », puis-je être « consolateur » ? N’y a-t-il pas tout simplement « contradiction » ? À moins que la consolation soit un concept paradoxal. Ne pouvant rien pour réduire la souffrance d’autrui, je puis me tenir auprès de lui, sans désir d’efficacité. Cette « impuissance à faire » n’est-elle pas une « puissance à être » ? C’est ce dont témoigne la gratitude du malade : « Merci d’être venu me voir ! »

Qu’est-ce que la « Parole » ? (P. Dulau, p. 359-364) La parole est-elle l’instrument qui permet à la pensée de se communiquer ? Mais la parole est-elle un simple instrument ? Par ailleurs, la pensée semble précéder la parole. Celle-ci ne demande-t-elle pas une longue préparation mentale avant d’exister ? Peut-on penser sans parler et n’est-ce pas la parole qui fait advenir au sens ? La résolution de la contradiction serait alors dans cette double affirmation : « Toute pensée est une parole en puissance » et « toute parole est une pensée en acte ». Mais comment joue cette complémentarité ? — A. Haquin

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