Jésus Christ, la rupture. Essai sur la naissance du christianisme

André Paul
Theology - reviewer : Jean Radermakers s.j.
L'A., exégète et historien de renom, est incontestablement un grand connaisseur de la communauté et des écrits de Qumrân; en fait foi le remarquable ouvrage que nous avons recensé précédemment: Les manuscrits de la mer Morte (Bayard, 1997 et 2000; cf. NRT 121 [1999] 297). Fort de sa compétence, il entame aujourd'hui le deuxième tome de sa trilogie sur la genèse de la Bible, dont il a publié le premier sous le titre significatif Et l'homme créa la Bible. D'Hérodote à Flavius Josèphe (Bayard, 2000). Nous en avons annoncé le propos, tout en émettant des réserves par rapport à certaines reconstructions contestables (cf. NRT 123 [2001] 641). Dans le présent essai, il tente de montrer comment la communauté chrétienne est née à partir de Qumrân, grâce à l'initiative de Jean le Baptiste reprise par Jésus de Nazareth, en rupture d'avec la société religieuse juive.
L'argumentation de l'A. se déroule en cinq étapes, chacune étant introduite par un sommaire et suivie d'un exposé synthétique permettant d'en saisir la portée. La première décrit ce que devait être l'idéal de la «commune» essénienne des «séparés», modèle réduit d'Israël, vrai «laboratoire doctrinal» où le «Dieu national se trouvait comme en perdition transitoire» (p. 73). Vient la deuxième étape où, à partir du monothéisme juif consigné dans l'Écriture et des visions apocalyptiques se forge l'attente d'un «être virtuel». Ces textes disent la quête d'un Dieu transcendant et l'angoisse devant le mystère d'iniquité.
On en arrive au coeur du livre: «la vraie rupture déclarée par Jésus de Nazareth» (p. 119). L'amorce de cette rupture serait à attribuer à Jean le Baptiste, à la fois complice et indépendant de la communauté essénienne dont il se sépare, peut-être en excommunié, pour inaugurer une société rénovée. Le Galiléen Jésus aurait repris le flambeau et consommé la rupture. Ici l'A. qui s'est efforcé de demeurer historien fait place au romancier pour nous camper un Jésus novateur, «déconstruisant un système clos» (p. 162), «transfigurant le Temple en royaume des cieux» (p. 165), jetant les bases d'une «assemblée» toute nouvelle. Celle-ci se nomme et s'organise en «église», corps social vivant dans l'attente de la restauration des corps. Pour les adeptes de celui qu'on va appeler «Christ», il s'agit de «retrouver la chair en un corps dissous dans l'esprit» (p. 184) et de trouver un langage pour le dire, soit juif (résurrection), soit grec (immortalité). L'A esquisse brillamment la genèse de la croyance en la résurrection individuelle, jusqu'à Paul, «le grand théoricien et promoteur du message chrétien» (p. 225), qui donna sa frappe décisive à la doctrine chrétienne de la résurrection, «une vérité « à croire"», là où «évoluent l'imaginaire plus que le notionnel, la vision plus que la raison» (p. 233)
Nous abordons ainsi la cinquième étape qui présente «l'utopie chrétienne et la voix de Jean de Patmos» (p. 235), une évocation de l'Apocalypse avec l'Agneau siégeant sur le trône divin: image «mythique» de l'existence chrétienne; ainsi le tragique de la vie se trouve sublimé dans cette vision royale. La conclusion donne à penser. L'A. nous laisse sur trois propositions qui seront à développer dans le dernier tome de la trilogie: «le dogme comme source d'or de la culture» - «le mythe comme moyen princier de connaissance» - «la résurrection comme science prospective de la vie» (p. 271-273).
Cette «explication historique de la naissance du christianisme, considérant les choses du côté des hommes» (p. 271) surprendra maint lecteur et risque de bouleverser nombre de ses conceptions rationnelles ou imaginées. C'est que ce livre, écrit dans un fort beau style, peut être lu à des niveaux divers, ce qui en constitue le charme et l'ambiguïté: le visage de Jésus y apparaît génial, mais totalement humain, et l'on se demande où est la divinité, sinon dans la quête des hommes. De plus, comme historien, il nous fait revivre l'épopée de Jésus «comme si vous y étiez», mais au fil du texte, on s'aperçoit que le possible s'est mué en probable et devient finalement le réel de l'histoire. Au fond, cette histoire qu'il nous présente n'est-elle pas celle qu'il imagine? C'est ce que le troisième volume nous permettra peut-être d'élucider, et en tout cas d'ouvrir le débat. - J. Radermakers, S.J.

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