Prêtre de la Communauté de l’Emmanuel, enseignant-chercheur à l’UCO (Angers), recenseur nouvellement arrivé mais chevronné pour la NRT, Alain de Boudemange publie ici sa recherche doctorale soutenue en nov. 2021 au Centre Sèvres (Paris) sous la direction de M. Rastoin. La thèse qui est y très agréablement exposée et minutieusement argumentée est la suivante : la communauté chrétienne envisagée par l’évangile de Matthieu (Mt) à la fin du i^er s. peut être présentée comme une « école », qui s’est structurée en interaction (faite d’intégrations et d’oppositions) avec les autres écoles d’un judaïsme en pleine reconfiguration. Ainsi est mis en valeur un élément essentiel de la vie de Jésus, à savoir son enseignement dont Mt témoigne éloquemment.

L’originalité et la force de la démonstration tiennent à la complémentarité des méthodes qui sont appliquées au texte évangélique et au cumul des arguments qui en découlent. Ce choix méthodologique préside à la structuration du livre en deux grandes parties. La première, composée des chap. 1-3, recueille les analyses socio-historiques des 40 dernières années. Elle montre que le modèle sociologique de « l’école » (plutôt que celui de la secte) est pertinent pour décrire les différents mouvements en interaction du judaïsme du i^er siècle dans lequel émerge celui de Jésus, ainsi que la manière dont « l’école de Jésus » s’est progressivement mise en place. Partie passionnante pour qui s’intéresse aux origines du christianisme. On y apprend beaucoup, les références sont très copieuses et l’A. a l’art des synthèses.

La deuxième partie (chap. 4-9) analyse, dans une perspective à présent rédactionnelle, six passages-clés retenus pour leur usage original de la racine de l’enseignement (didask-). L’analyse minutieuse de ces passages, répartis sur l’ensemble de Mt (le sommaire de 4,23 ; l’encadrement du discours sur la montagne en 5,1-2 et 7,28-29 ; les candidats disciples de 8,19-22 ; la comparaison du disciple et du maître en 10,24-25 ; l’injonction à ne pas se faire appeler maître en 23,8-10 ; l’envoi final de 28,18-20) permet de préciser les caractéristiques de l’école de Jésus.

La conclusion (p. 419-425) ressaisit en cinq points la manière dont Mt « témoigne d’une étape de la vie de l’Église différente de celle de Mc ». (1) Par rapport à Mc, la communauté de Mt est marquée par l’approfondissement de l’enseignement, une dynamique d’extension et d’organisation, des apports extérieurs qu’il faut gérer. (2) Cette école se distingue par un enseignant unique (Jésus, Mt 23), la radicalité de l’engagement demandé (Mt 8,19-20), des liens communautaires forts qui en font une quasi-famille de substitution (Mt 23). (3) Son interaction avec les autres écoles est décrite ainsi : « elle émane de celle de Jean-Baptiste, se structure en opposition à l’école pharisienne et intègre des éléments de l’école essénienne » (p. 422). (4) Mt témoigne ainsi d’une reconfiguration du judaïsme du i^er s. Après 70, les survivants des mouvements baptistes, pharisiens ou esséniens, en intégrant les nouvelles écoles, ont contribué à leur construction et structuration. (5) Enfin, l’école de Jésus est pleinement intégrée dans le monde juif. En se situant dans la perspective du Royaume de Dieu, elle vise au rassemblement d’Israël et à l’intégration des Nations. Au final, le choix de l’« école » plutôt que de la « secte » a aussi une valeur actuelle car en soulignant la communication des idées et la circulation des personnes, caractéristiques du monde scolaire, la thèse invite mutatis mutandis les chrétiens d’aujourd’hui à croire au dialogue et à l’échange des idées plutôt qu’au repli identitaire. — S. Dehorter