L’encyclique inaboutie de Pie xi. Une occasion manquée de l’Église face à l’antisémitisme, préf. inédite B. Suchecky
Georges PasselecqHistory - reviewer : Annette Ruelle
Voici un ouvrage qui se lit comme un roman policier, en particulier les quatre premiers chapitres consacrés à la difficile recherche, à l’histoire et à la destinée du projet d’encyclique condamnant le racisme et l’antisémitisme, dont le souvenir a refait surface au début des années septante.
Un passionnant cinquième chapitre se penche sur l’attitude ambivalente de l’Église envers les Juifs entre deux guerres, entre condamnations fermes et répétées de l’antisémitisme et un imaginaire où l’association de ces derniers aux méfaits de la modernité autorisait la société à s’en défendre par des moyens légaux, distinction dont l’ambiguïté n’échappe pas aux auteurs.
Entre autres éléments du dossier, dont le « recadrage » du Cardinal Innitzer après l’Anschluss, les lois antisémites, ou la déclaration (non officielle) de Pie xi du 6 déc. 1938 : « l’antisémitisme n’est pas admissible. Nous sommes spirituellement des sémites », on épinglera le décret, approuvé par Pie xi, du Saint-Office du 25 mars 1928 supprimant l’Opus sacerdotale Amici Israël, parfait témoin de cette ambivalence. S’y s’exprime une des condamnations les plus explicites de l’antisémitisme que Rome ait prononcées jusque-là (ce qui ne sera pas le cas dans Mit Brennender Sorge en 1937), mais le décret s’explique vraisemblablement lui-même par le fait que l’Œuvre des Amis d’Israël mettait en cause, au sein de l’Église, une interprétation de la Tradition, un langage et des préjugés dont seules la guerre et la Shoah devraient la débarrasser une fois pour toutes.
Malgré les limites du document, on ne peut que s’unir au regret des auteurs de l’inaboutissement du projet qui, à l’heure où se préparait l’extermination des Juifs d’Europe, affirmait « l’incompatibilité entre le christianisme et le racisme ainsi que l’antisémitisme et dénonçait les atteintes particulières aux droits naturels des juifs ». L’intégrale de Humani Generis Unitas clôt l’ouvrage. — A. Ruelle