La voie du Christ, t. III : évolution de la christologie dans l'Occident latin d'Hilaire de Poitiers à Isidore de Séville (IVe-VIIe siècle)

Michel Fédou s.j.
Theology - reviewer : Laurent Pidolle
Le 2e tome de La voie du Christ prolonge le premier qui s'était arrêté au seuil du concile de Nicée, en 325 (cf. NRT 131, 2009, p. 488). On peut lui appliquer les termes d'une très belle instruction de la Congrégation romaine pour l'éducation catholique sur l'étude des Pères de l'Église dans la formation sacerdotale (10 nov. 1989) : « L'examen des diverses étapes de l'histoire de la théologie révèle que la réflexion théologique n'a jamais renoncé à la présence rassurante et orientatrice des Pères. Au contraire, elle a toujours eu la vive conscience que, chez les Pères, il y a quelque chose de singulier, d'unique et de perpétuellement valable, qui continue à vivre et résiste à la fugacité du temps » (n˚ 2). L'A. a pris le parti de scruter la fécondité des christologies qui se sont développées après le « tournant constantinien » dans l'Orient chrétien. L'ouvrage commence avec la préoccupation apologétique d'Eusèbe de Césarée dans ce qu'on peut appeler avec l'A. la première histoire religieuse de l'humanité. Eusèbe présente l'existence éternelle du Dieu Verbe, apparu aux Patriarches, écouté dans les écrits de sagesse, face à ceux qui objectaient l'arrivée récente du christianisme dans le monde. Avec Athanase, ardent défenseur de Nicée face à l'arianisme, on découvre aussi, grâce à sa théologie du corps du Verbe, qu'il construit contre l'idolâtrie un rempart, dont les pierres sont les oeuvres d'amour des croyants. L'A. propose un itinéraire dans le temps, mais aussi dans l'espace. Après la Cappadoce (avec Basile et les deux Grégoire qui ont assimilé le meilleur de l'hellénisme) et la Syrie (avec Aphraate et Éphrem qui font chanter les racines sémitiques de l'expression christologique), il nous emmène dans l'Égypte, celle des moines et de Cyrille d'Alexandrie. Puis, après une étape à Jérusalem (Cyrille, Léonce), à Constantinople (Jean Chrysostome et l'autre Léonce), et à l'école d'Antioche, nous arrivons en Éthiopie, en Arménie, puis en Perse (avec la confrontation au zoroastrisme et au mazdéisme) où les persécutions antichrétiennes se sont prolongées bien au-delà de l'époque constantinienne, pour atteindre l'Extrême-Orient. On découvre, p. ex. en Chine, le livre de Jésus-Messie (v. 640), expression très imagée de la christologie en terminologie bouddhique où Jésus est un homme divino-céleste assis dans le « Vent de la grande miséricorde », chargé de conduire l'humanité vers la rive de la paix et de la joie éternelles. Ce tome se termine avec Denys l'Aréopagite, humble chantre de la Bonté absolue du Christ ; avec Maxime et sa confession intrépide, jusqu'à la mort, de la liberté humaine du Fils de Dieu nous donnant la capacité de pardonner à nos ennemis ; avec Jean Damascène, sa synthèse christologique et ses débats - les premiers du genre - avec l'Islam qui se répand alors sur le lit des divisions chrétiennes. C'est le génie de l'A. de montrer que la profession de foi au Christ s'est précisée grâce aux controverses ad intra sur l'identité du Fils de Dieu fait homme et celles ad extra avec les autres traditions philosophiques et religieuses.
Le tome 3, qui couvre la 2de moitié de l'époque patristique en Occident, achève cette remarquable trilogie d'histoire de la christologie ancienne qui intéressera autant les novices en la matière que les chercheurs, à cause des pistes ouvertes et à explorer. Ce vol., encore davantage que le précédent, présente la double originalité, d'une part, de situer les Pères dans leurs temps, marqués non seulement par les grandes controverses au sujet de l'identité du Christ, mais aussi par la confrontation au judaïsme et au paganisme, par le souci missionnaire vis-à-vis des « barbares » - les migrants de l'époque -, et par le formidable changement de civilisation qui s'opérait ; et, d'autre part, d'en suggérer les conséquences pour la rencontre évangélisatrice du christianisme avec les cultures et la religiosité contemporaines. Confrontés à l'arianisme, Hilaire réfléchit sur l'acte de dépouillement qu'est la kénose du Fils, et Marius Victorinus rend compte philosophiquement du « consubstantiel » de Nicée. L'A. fait droit à l'histoire et à une christologie historique qui nous montre des traits parfois peu développés des Pères latins, comme la christologie des hymnes de Victorin à Rome et de Venance Fortunat en Gaule, la dévotion personnelle de Jérôme pour le Christ, le lieu historico-pastoral, liturgique et expérientiel de la christologie augustinienne montrant que la nouveauté du christianisme réside dans la révélation de la voie de l'unique Médiateur afin d'accéder à la Patrie divine vers laquelle tous tendent ; l'A., en théologien contemporain, révèle combien cette doctrine christologique demeure actuelle, dans les mutations auxquelles nous assistons, tant pour suivre le chemin du Christ que pour témoigner de son sens, dans la rencontre des cultures et des autres traditions religieuses. De fait, Rufin eut le souci de transmettre à l'Occident latin l'héritage de l'Orient grec, et Boèce ou Isidore en Espagne assumèrent le meilleur de la philosophie antique. Un autre exemple : la controverse de l'Autel de la Victoire à Rome où Symmaque, dans sa vision politique des religions, prône la tolérance des anciens cultes romains, ce qui aurait obligé les sénateurs chrétiens à prêterserment auprès d'une ancienne divinité païenne ; Ambroise y répond avec l'exigence de sa foi emmembrée de raison en la Vérité manifestée historiquement aux hommes dans le Christ. Sans oublier Léon ou Grégoire le Grand dont la christologie toute biblique est de montrer la voie de la Parole faite chair dans la lettre des Écritures, afin de ramener les hommes à l'intériorité de Dieu, dans la gravité eschatologique de l'histoire, la sienne, la nôtre. - L. Pidolle

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