Le 2e tome de La voie du
Christ prolonge le premier qui s'était arrêté au seuil du
concile de Nicée, en 325 (cf. NRT 131, 2009,
p. 488). On peut lui appliquer les termes d'une très belle
instruction de la Congrégation romaine pour l'éducation catholique
sur l'étude des Pères de l'Église dans la formation sacerdotale (10
nov. 1989) : « L'examen des diverses étapes de l'histoire de la
théologie révèle que la réflexion théologique n'a jamais renoncé à
la présence rassurante et orientatrice des Pères. Au contraire,
elle a toujours eu la vive conscience que, chez les Pères, il y a
quelque chose de singulier, d'unique et de perpétuellement valable,
qui continue à vivre et résiste à la fugacité du temps »
(n˚ 2). L'A. a pris le parti de scruter la fécondité des
christologies qui se sont développées après le « tournant
constantinien » dans l'Orient chrétien. L'ouvrage commence avec la
préoccupation apologétique d'Eusèbe de Césarée dans ce qu'on peut
appeler avec l'A. la première histoire religieuse de l'humanité.
Eusèbe présente l'existence éternelle du Dieu Verbe, apparu aux
Patriarches, écouté dans les écrits de sagesse, face à ceux qui
objectaient l'arrivée récente du christianisme dans le monde. Avec
Athanase, ardent défenseur de Nicée face à l'arianisme, on découvre
aussi, grâce à sa théologie du corps du Verbe, qu'il construit
contre l'idolâtrie un rempart, dont les pierres sont les oeuvres
d'amour des croyants. L'A. propose un itinéraire dans le temps,
mais aussi dans l'espace. Après la Cappadoce (avec Basile et les
deux Grégoire qui ont assimilé le meilleur de l'hellénisme) et la
Syrie (avec Aphraate et Éphrem qui font chanter les racines
sémitiques de l'expression christologique), il nous emmène dans
l'Égypte, celle des moines et de Cyrille d'Alexandrie. Puis, après
une étape à Jérusalem (Cyrille, Léonce), à Constantinople
(Jean Chrysostome et l'autre Léonce), et à l'école d'Antioche, nous
arrivons en Éthiopie, en Arménie, puis en Perse (avec la
confrontation au zoroastrisme et au mazdéisme) où les persécutions
antichrétiennes se sont prolongées bien au-delà de l'époque
constantinienne, pour atteindre l'Extrême-Orient. On découvre,
p. ex. en Chine, le livre de
Jésus-Messie (v. 640), expression très imagée de la
christologie en terminologie bouddhique où Jésus est un homme
divino-céleste assis dans le « Vent de la grande miséricorde »,
chargé de conduire l'humanité vers la rive de la paix et de la joie
éternelles. Ce tome se termine avec Denys l'Aréopagite, humble
chantre de la Bonté absolue du Christ ; avec Maxime et sa
confession intrépide, jusqu'à la mort, de la liberté humaine du
Fils de Dieu nous donnant la capacité de pardonner à nos ennemis ;
avec Jean Damascène, sa synthèse christologique et ses débats
- les premiers du genre - avec l'Islam qui se répand
alors sur le lit des divisions chrétiennes. C'est le génie de l'A.
de montrer que la profession de foi au Christ s'est précisée grâce
aux controverses ad intra sur l'identité du Fils
de Dieu fait homme et celles ad extra avec les
autres traditions philosophiques et religieuses.
Le tome 3, qui couvre la 2de moitié de
l'époque patristique en Occident, achève cette remarquable trilogie
d'histoire de la christologie ancienne qui intéressera autant les
novices en la matière que les chercheurs, à cause des pistes
ouvertes et à explorer. Ce vol., encore davantage que le précédent,
présente la double originalité, d'une part, de situer les Pères
dans leurs temps, marqués non seulement par les grandes
controverses au sujet de l'identité du Christ, mais aussi par la
confrontation au judaïsme et au paganisme, par le souci
missionnaire vis-à-vis des « barbares » - les migrants de
l'époque -, et par le formidable changement de civilisation
qui s'opérait ; et, d'autre part, d'en suggérer les conséquences
pour la rencontre évangélisatrice du christianisme avec les
cultures et la religiosité contemporaines. Confrontés à
l'arianisme, Hilaire réfléchit sur l'acte de dépouillement qu'est
la kénose du Fils, et Marius Victorinus rend compte
philosophiquement du « consubstantiel » de Nicée. L'A. fait droit à
l'histoire et à une christologie historique qui nous montre des
traits parfois peu développés des Pères latins, comme la
christologie des hymnes de Victorin à Rome et de Venance Fortunat
en Gaule, la dévotion personnelle de Jérôme pour le Christ, le lieu
historico-pastoral, liturgique et expérientiel de la christologie
augustinienne montrant que la nouveauté du christianisme réside
dans la révélation de la voie de l'unique Médiateur afin d'accéder
à la Patrie divine vers laquelle tous tendent ; l'A., en théologien
contemporain, révèle combien cette doctrine christologique demeure
actuelle, dans les mutations auxquelles nous assistons, tant pour
suivre le chemin du Christ que pour témoigner de son sens, dans la
rencontre des cultures et des autres traditions religieuses. De
fait, Rufin eut le souci de transmettre à l'Occident latin
l'héritage de l'Orient grec, et Boèce ou Isidore en Espagne
assumèrent le meilleur de la philosophie antique. Un autre
exemple : la controverse de l'Autel de la Victoire à Rome où
Symmaque, dans sa vision politique des religions, prône la
tolérance des anciens cultes romains, ce qui aurait obligé les
sénateurs chrétiens à prêterserment auprès d'une ancienne divinité
païenne ; Ambroise y répond avec l'exigence de sa foi emmembrée de
raison en la Vérité manifestée historiquement aux hommes dans le
Christ. Sans oublier Léon ou Grégoire le Grand dont la christologie
toute biblique est de montrer la voie de la Parole faite chair dans
la lettre des Écritures, afin de ramener les hommes à l'intériorité
de Dieu, dans la gravité eschatologique de l'histoire, la sienne,
la nôtre. - L. Pidolle