Le catholicisme a-t-il encore de l'avenir en France ?

Guillaume Cuchet
History - reviewer : Bernard Joassart s.j.

On se souvient du précédent ouvrage de Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien (voir NRT 140, 2020, p. 663). Celui présenté ici se veut en quelque sorte son prolongement. Encore que la facture est assez différente. L’A. a rassemblé huit essais, parus antérieurement, auxquels il a ajouté un inédit et qui touchent à l’un ou l’autre aspect de la vie « spirituelle » des Français d’aujourd’hui. Commençons par en donner les titres pour que le lecteur soit bien au fait du contenu : 1. Comment mourir sans croire ? La disparition annoncée des baby-boomers ; 2. L’idéal de la mort légère. À propos des transformations de la scène funéraire contemporaine ; 3. L’ascèse n’a pas disparu de notre monde. Petite métaphysique sociale du running ; 4. Spirituels mais pas religieux ? La montée des sans-religion (« nones ») ; Le Bouddha a plus la cote que Jésus. Le nouveau quiétisme occidental ; 5. « Va-t’en, Satan » (Jacques Hamel). Le retour du diable ; 7. Des cathos de gauche à la Manif pour tous : « identité » et « ouverture » dans le catholicisme ; 8. « L’histoire de l’Église n’est pas un reposoir de Fête-Dieu » (Émile Poulat). Perplexités pastorales ; 9. Transaction avec la modernité. Comment changer de doctrine sans (trop) en avoir l’air. Le tout est suivi d’une conclusion, elle aussi inédite.

Première observation : il faut bien insister sur le fait qu’il s’agit d’une collection d’essais, genre bien spécifique. Mais, en même temps, il faut aussi remarquer que l’A. s’appuie sur une abondante littérature, et qu’en même temps, chacun de ces essais peut être lu séparément, pouvant par ailleurs intéresser tout autant les spécialistes que ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont engagés dans la pastorale et pourront ainsi éventuellement s’inspirer des réflexions de l’A., quitte à ne pas les avaliser ou à les accommoder aux situations concrètes qu’ils rencontrent.

Quant au contenu, on aura remarqué, à l’énoncé des titres, que l’A. est particulièrement sensible, comme dans son autre ouvrage, à ce qui touche aux « fins dernières » : celles-ci sont comme oblitérées de nos jours, comme si la vie humaine s’arrêtait le jour du décès de l’être humain. Et dans le même temps, il y a comme une volonté presque forcenée à prolonger la vie terrestre par tous les moyens possibles et, à tout le moins, à la rendre la moins pénible qui soit. Voilà qui ne va pas sans être quelque peu ambigu par rapport à la foi chrétienne qui croit en une « vie future ». La question que l’on pourrait se poser, et sans pour autant adopter la maxime du « c’est la faute à Voltaire », serait de voir si cela n’a pas une origine, au moins partielle, dans le concile Vatican ii. Le concile n’a bien évidemment pas nié la « vie future », mais a fortement insisté sur la valeur de la vie terrestre et sur certaines valeurs à défendre dans l’organisation de la société, et d’aucuns l’ont interprété comme si précisément tout se limitait à ce qui est vécu sur terre. D’où cette soif contemporaine de recherches de pratiques et de formes de religiosité qui apaisent les aspérités de l’existence humaine, et la mise sous le boisseau de tout ce qui rappelle la mort, à commencer par les rites funéraires, de plus en plus réduits.

Le chapitre consacré à la Transaction avec la modernité mérite à mon estime une attention particulière. On le résumerait sans doute aisément en disant que l’Église ne cesse de naviguer entre la « thèse » et l’« hypothèse » et qu’avec le temps, elle s’adapte, bon gré mal gré au monde, face à des situations qu’elle peut estimer acceptables, sans pour autant transiger sur certains domaines, quitte à paraître en décalage presque constant, voire à défendre des positions que d’aucuns qualifient d’« identitaires ». Il me semble qu’il ne faut quand même jamais oublier que la foi chrétienne a un contenu bien spécifique. Personne n’est obligé d’y adhérer. Mais il ne faudrait toutefois pas que le seul « politiquement correct » soit l’unique règle et que toute forme de pensée qui ne se plierait pas à cette formule soit a priori mise au pilori, étant entendu que le raidissement n’est pas de meilleur aloi. Autrement dit, le catholicisme a certainement tout à gagner à être clair dans la présentation de son contenu.

Je terminerai par la question suivante. On ne peut nier la réelle désaffection du catholicisme. Mais ne serait-il pas utile d’étudier la perte des références chrétiennes dans un contexte plus large, celui de l’éducation en général et en même temps de toute forme d’enseignement. Le « décrochage » généralisé dans la transmission de la foi chrétienne n’est-il pas plus étendu, c’est-à-dire à toutes les dimensions de la vie humaine ? On est porté à se demander si l’on ne devrait pas regarder de plus près ce qu’en son temps le Cardinal Vingt-Trois désigna comme le « silence des parents devant leurs enfants et [la] panne de la transmission des valeurs communes », et dès lors si on ne devrait pas écrire une « histoire de l’éducation contemporaine ». — B. Joassart s.j.

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