L'A., philosophe allemand, étudie la spécificité du langage de la
prière, en ce qu'il diffère de l'usage habituel de la parole: son
rôle n'est pas d'informer Dieu (puisqu'il est omniscient), ou de le
motiver (puisqu'il est toute bonté). Il remarque, par ailleurs, que
la plupart des «prières formulées librement» au cours de nos
eucharisties sont moins des prières que soit des enseignements
(fais-nous comprendre), soit des exhortations (donne-nous un coeur
ouvert…), soit des jugements (pour les puissants de ce monde…).
Pour l'A., la prière véritable est un acte de langage, tel qu'on le
rencontre, en premier lieu, dans l'invocation du Nom, (Toi notre
Dieu et le Dieu de nos pères), par laquelle j'entre en corrélation
avec Dieu, dans un contexte de souvenir et de rencontre actuelle.
La pragmatique y précède la sémantique: l'invocation de Dieu
précède la connaissance de Dieu. Dans l'invocation, je rencontre le
Dieu dont les actions d'autrefois continuent à resplendir
aujourd'hui et demain. Notons que la proposition relative latine
«Dieu, qui nous as fait sortir d'Égypte» traduit une forme
participiale hébraïque (qui exprime le don de stabilité dans le
changement) et causative (qui suggère la puissance suscitante de
Dieu): Toi, le-faisant-sortir-d'Égypte, formule qui est utilisée
comme un nom de Dieu. Celui qui prie se définit à partir de la
présence de Celui à qui il s'adresse. L'invocation du Nom, qui
réactive une relation déjà existante, se déploie dans une série de
propositions narratives, dans lesquelles je raconte soit mon passé
(dans lequel Dieu a joué un rôle décisif), soit le passé de Dieu
(ses hauts faits accomplis pour mon salut): ces deux histoires, qui
manifestent la libre attention de Dieu pour celui qui prie,
évoquent des souvenirs communs, source de mon espérance. Dans la
prière, le remerciement, qui est toujours premier (cf. la formule
Deus qui… qui est bien autre chose qu'une règle de politesse ou un
calcul intelligent), la plainte et la demande sont l'expression de
la confiance que j'ai en ce Dieu qui a le pouvoir d'écarter ce qui
me donnait des raisons de me plaindre et qui peut faire que des
événements, qui par le passé ont donné lieu à des remerciements, se
reproduisent dans l'avenir. Un ouvrage dense, dont l'excellente
traduction n'enlève pas le caractère occasionnellement abscons. -
P. Detienne, S.J.