Le Vatican et la Shoah ou comment l'Église s'absout de son passé

G.-E. Sarfati
History - reviewer : Bernard Joassart s.j.
Ce livre comprend deux parties: une analyse du document Nous nous souvenons (mars 1998); une série d'annexes où sont repris notamment le texte de ce document, et la réaction du Comité juif international pour les consultations interreligieuses, la déclaration de repentance des évêques de France (1997), et le discours de Jean-Paul II au mémorial Yad Vashem (23 mars 2000).
La thèse de l'A. - qui n'entend pas faire oeuvre polémique - est de montrer qu'en définitive, même si le document Nous nous souvenons est d'une importance capitale pour les relations entre judaïsme et catholicisme, il ne peut que provoquer le regret dans le chef du premier car, par toute espèce de procédés littéraires, l'Église catholique, tout en «regrettant» toutes les formes d'antisémitisme, estime n'en être finalement pas responsable, en particulier du sort réservés aux Juifs durant la seconde guerre mondiale.
Indépendamment de quelques erreurs de faits (qui ne prêtent d'ailleurs pas à grande conséquence pour la compréhension générale de l'ouvrage: le Vatican n'est pas le Saint-Siège, et Nostra Aetate ne concerne pas la liturgie mais les relations de l'Église catholique avec les religions non chrétiennes), il me paraît possible de suivre l'A. sur certains points; ce qui n'empêche pas que persistent des points d'interrogation. Il est indéniable que le christianisme a toujours éprouvé une grande difficulté à se situer par rapport au judaïsme, qu'il considère comme la racine privilégiée de sa foi et de son existence. Question: la faute incombe-t-elle au seul christianisme ? N'a-t-il pas, lui aussi, été l'objet d'un certain mépris de la part du «frère aîné»? D'autre part, l'attitude du Saint-Siège face au nazisme n'a sans doute pas eu toute la fermeté que la situation exigeait. Encore faut-il nuancer certaines positions. La condamnation du nazisme par Pie XI était sans appel. On peut comprendre que le monde juif n'ait pas apprécié qu'il ne fût pas le seul objet des cris de Pie XI, celui-ci jugeant que le nazisme était radicalement plus pervers que le seul antisémitisme car il s'attaquait à toute forme d'authentique humanité. Dans le cas de Pie XII, l'affaire me paraît plus complexe et il faudrait la discuter fort longuement. On ne peut que rejoindre l'A. qui estime nécessaire un accès direct aux archives et que celles-ci ne soient pas réservées à certains «privilégiés». Mais il semble que le problème est plus radical encore que l'accès aux archives existantes. En admettant que tous les chercheurs puissent examiner toutes les pièces, la question serait-elle pour autant résolue? On aura beau produire quantité de pièces qui attestent le tourment du Pontife au sujet du peuple juif, manquera toujours à l'appel LE document PUBLIC qui aurait explicitement condamné le sort réservé alors aux Juifs.
Cela étant, la question qui me paraît fondamentale après la lecture de l'ouvrage de G.-E. S. est la suivante: le judaïsme accepte-t-il qu'une autre instance que lui-même «apprécie» tout ce qu'il a enduré? Si je comprends bien l'A., il semble que la réponse soit négative. Et j'ajouterais: «malheureusement». Car dans ce cas, l'Église catholique n'a plus qu'à se taire - mais le judaïsme serait-il en accord avec cela? - ou/et à reconnaître une entière culpabilité face au malheur du peuple juif. Derrière une telle prétention du judaïsme, se trouve, à mon avis, une conception du mal qui n'est très vraisemblablement pas la même dans les deux religions. Pour le christianisme, le mal est par nature irrationnel, mais n'est jamais le dernier mot sur son auteur; un pardon est toujours possible. En va-t-il de même pour la foi juive?
Terminons par une mise en garde. De nos jours, il est de bon ton de taxer d'antisémite quiconque ose critiquer une position juive. Que l'A. et tout autre lecteur ne voient pas dans mes propos une «opposition» de principe. Le mal causé aux Juifs fut trop grand. Tenter de l'atténuer serait un mal plus grand encore. Ma critique n'est qu'un essai (bien modeste certes) pour mieux comprendre le passé et voir comment ne plus en arriver à de telles extrémités. - B. Joassart, S. J.

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