Les catholiques et l'Action française. Histoire d'une condamnation, préf. R. Rémond

J. Prévotat
History - reviewer : Bernard Joassart s.j.
«Pour les auteurs de préface, il y a deux sortes d'ouvrages: ceux pour lesquels la caution d'un tiers n'est pas superflue, et ceux qui n'en ont nul besoin. Le livre de Jacques Prévotat se range assurément dans la seconde catégorie. Tout en effet promet à ce livre très attendu une brillante carrière» (p. I). Arrivé à la dernière page, la tentation - bonne - est grande de reprendre ces propos de R. Rémond et de les appliquer à toute forme de recension: ce livre n'en a nul besoin. À lire: cela suffit. Le sujet est pourtant bien connu - surtout en France - où ne subsistent pas que des «souvenirs» du phénomène de l'A. F. Que le lecteur se reporte à la «Chronologie sélective» (p. 671-2) et à l'index: il y retrouvera faits et personnes qui, pourrait-on dire, sont encore bien vivants dans le paysage politico-religieux français.
De nombreux aspects de cet ouvrage méritent d'être mis en exergue. Il allie à la fois une enquête extrêmement minutieuse menée à travers une documentation abondante, et une clarté de l'exposé peu commune conjointe avec un art admirable de la nuance. À moins de malhonnêteté intellectuelle, nul ne pourra dire que J.P. tombe jamais dans le simplisme. C'est d'autant plus à signaler que la pensée de Maurras et plus encore celle de ses disciples est sans nul doute plus subtile qu'on ne pourrait le croire à première vue: tout est construit et les apparences sont souvent trompeuses. Autre qualité: les rapports établis par l'A. avec les grands courants religieux ou/et politiques du temps, non seulement le Sillon de Sangnier et tout le courant de la démocratie chrétienne, sorte d'anti-maurrassisme, mais aussi - pour faire court - le modernisme. Dans ce cadre, il faut noter que J.P. montre bien que tous les «intégristes» n'étaient pas de facto partisans de Maurras, pas plus d'ailleurs que les modernistes ou supposés tels n'étaient tous adversaires de Maurras… Voilà qui permet d'affiner notre connaissance de ce «monde» que fut la crise moderniste. Autre élément particulièrement bien mis en lumière: la difficulté de l'épiscopat français, et même de hauts responsables de la curie romaine, à comprendre exactement la doctrine maurrassienne, d'où ce qui fut comme une valse-hésitation de la part d'un épiscopat peu prompt à suivre Rome (d'ailleurs, le voulait-il?). Ajoutons, en prolongement de cela, le rapprochement entre le jansénisme et le maurrassisme qui, à mon avis, pourrait être qualifié de «jansénisme païen»; l'A. dégage très bien le mécanisme qui anima la résistance maurrassienne à l'égard de Rome, une résistance qui fut comme une répétition de celle de toute la tradition janséniste: une obstination, toute gallicane, à nier l'évidence, à biaiser, à rétorquer sans cesse: «Oui, mais…».
Mais bien évidemment, le plus important de cet ouvrage est sa thèse fondamentale. La condamnation de Maurras est essentiellement une affaire religieuse et pas seulement une question politique. La pensée de Maurras, inspirée par le positivisme de Comte, et malgré des dehors religieux qui se veulent l'expression d'un «catholicisme intégral», était fondamentalement païenne: elle repose sur une autosuffisance de la nature humaine qui ne tient aucun compte des fondements du christianisme et qui n'est pas sans accointance avec le nietzschéisme. Paradoxalement, le maurrassisme allie «conservatisme», «modernisme» et «totalitarisme», dans un enchevêtrement intellectuel peu commun. On peut même se demander si traiter cette pensée d'hérésie, comme d'aucuns - Pie XI et Blondel eux-mêmes - le firent à l'époque, est suffisant: pour être hérétique, encore faut-il avoir une certaine foi, même si elle est tronquée par rapport au contenu de la foi reçu par l'Église. Et on ne cesse de s'interroger sur la levée de la condamnation en 1939.
Pour terminer, on ne peut que remercier l'A. pour cet ouvrage: on sait combien ce sujet - à l'instar de quelques autres qui lui sont souvent intimement liés - pèse encore de nos jours dans la conscience collective française, et a créé - et maintient - des divisions. À sa manière, cette étude est comme un guide pour un examen de conscience lucide, sans être agressif. C'est d'autant plus beau que ce guide a été réalisé par un Français. - B. Joassart, S.J.

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