La collection Orthodoxie du Cerf tire de son trésor du
neuf et de l'ancien: elle publie la thèse de son actuel
responsable, le dominicain H. Destivelle qui dirige aujourd'hui le
Centre Istina à Paris et est membre du Comité catholique-orthodoxe
en France. Il réfléchit à la transformation des académies russes
(Moscou, Saint Petersbourg, Kazan, Kiev…) qui eut lieu au début du
xxe siècle, jusqu'à la révolution d'Octobre: le Concile de
1917-1918 aurait dû entériner cette transformation par la création
d'instituts de théologie, mais les académies durent fermer en 1918
(c'est à Paris, avec l'Institut Saint-Serge, que l'auteur observe
les fruits du concile). Qu'impliquait cette évolution dans la
formation au plan de la science théologique elle-même, de son
statut et de sa méthode de transmission? En bref, quelle théologie
l'Église russe proposait-elle à ses futurs pasteurs (on en saisit
les enjeux pour aujourd'hui)? Le dossier de la recherche est
imposant, les annexes nombreuses (avec de précieuses notices
prosopographiques). Il examine les crises de la formation depuis la
fin du xixe siècle, qui aboutirent à diverses réformes, en 1905 et
en 1910. De ce débat, l'auteur expose toutes les facettes:
questions politiques et sociales, influence du slavophilisme,
retour aux sources bibliques et patristiques, apologétique,
patristique, morale, liturgie bien entendu… Il fait apparaître
trois courants parmi leurs protagonistes: «les autonomistes», les
«synodaux» et les «ecclésiaux». Les premiers insistaient sur
l'autonomie de la recherche scientifique. Ils voulaient recourir
aux «sciences auxiliaires» (histoire, philologie, hébreu, langues
modernes) et défendaient la méthode historico-critique. Les seconds
étaient conservateurs, dans le sens d'une maîtrise de la formation
par l'administration synodale et refusaient les évolutions
«révolutionnaires» que prônaient les premiers. Les troisièmes, que
l'A. appelle aussi les «spirituels», se caractérisent par un
«retour à la vie» et le souci d'une théologie donnant la priorité
aux Pères: «pour eux, l'académie devait être autant un lieu de
formation intellectuelle qu'un lieu de préparation spirituelle et
pratique des futurs moines et pasteurs de l'Église» (p. 157). Au
terme, estime l'A., le premier courant, scientifique, dominera le
concile de 1917-1918 qui accueillera cependant aussi l'influence du
courant spirituel, monastique. Une telle recherche, précise,
détaillée, suggère finalement que la formation théologique en
Russie a connu - dans des tempêtes qu'on peut comparer à celles
qu'a vécues la théologie en occident au xxe siècle - des crises
liées aux questions ecclésiologiques en raison de la situation de
l'Église russe (de son rapport à la société) et que l'objet et la
méthode de la formation ecclésiastique doivent être réfléchis à
partir du sens même de la Révélation dont la théologie entend
rendre raison par la foi. - A. Massie sj