Les systèmes sacrificiels de l'Ancien Testament. Formes et fonctions du culte sacrificiel à Yhwh

Alfred Marx
Holy Scripture - reviewer : Didier Luciani
Au fil des ans et des publications, A. Marx, professeur d'Ancien Testament à la faculté de théologie protestante de Strasbourg, s'est imposé comme l'un des meilleurs spécialistes des sacrifices bibliques, non seulement dans l'ère francophone, mais aussi au niveau international. Après un ouvrage remarqué sur la minhah (Les offrandes végétales dans l'Ancien Testament: du tribut d'hommage au repas eschatologique, 1994) et une bonne quinzaine d'articles sur le sujet, il nous offre enfin sa synthèse sur les différents systèmes sacrificiels opératoires à l'intérieur de l'Ancien Testament.
Ayant rappelé, dans son introduction, tout à la fois l'importance de la question, le désintérêt longtemps entretenu à son égard et les difficultés méthodologiques de son traitement, l'auteur définit précisément le but et les étapes du parcours et situe son propos par rapport aux essais antérieurs: «…notre enquête se concentrera sur les systèmes sacrificiels tels que les présente sous forme théorique, programmatique, l'Ancien Testament. A la différence des études classiques qui passent en revue, l'une après l'autre, chacune des différentes catégories de sacrifice, notre approche sera une approche transversale, de manière à faire ressortir la spécificité de chaque type de sacrifice tout en mettant en évidence le système auquel il participe.
Après avoir recensé les différentes formes du sacrifice à Yhwh [chap. I], nous ferons l'inventaire des matières utilisées [chap. II], décrirons les rites mis en oeuvre [chap. III] et étudierons la fonction respective de chaque catégorie de sacrifice [chap. IV]. Afin de discerner les variations et de repérer les constantes, nous commencerons, à chaque fois, par réunir les indications isolées [section A de chaque chap.], puis nous les confronterons successivement aux données du code sacerdotal [section B], du Chroniste [section C] et d'Ez 40-48 [section D]. Nous nous efforcerons ainsi de tracer les contours d'une pratique sacrificielle plurielle, qui trouve toutefois son unité dans son référent commun, YHWH, de montrer comment le sacrifice fonctionne, de préciser la fonction que l'Ancien Testament assigne expressément au culte sacrificiel, mais aussi ses fonctions implicites, politiques, sociales et économiques» (p. 13). Dans cette démarche méthodique et fondée, en outre, sur un examen minutieux des textes, deux points méritent d'emblée d'être soulignés. D'une part, il ne s'agit pas tant d'étudier chaque sacrifice pris isolément, mais de tâcher de comprendre sa place et sa fonction à l'intérieur d'un système donné, que celui-ci soit celui de P, du chroniste ou d'Ezéchiel. D'autre part, il n'est pas question non plus de reconstituer une improbable histoire du culte sacrificiel, de sa forme et de son évolution depuis la période monarchique ou même avant, mais d'examiner la cohérence d'un système, dans son aspect théorique et programmatique.
La limitation du propos et son point de départ concret et réaliste, s'originant notamment dans une donnée incontestée de la composition du Pentateuque - à savoir l'existence de textes sacerdotaux -, garantissent ici la validité des conclusions. Parmi ces conclusions, quelques-unes paraissent particulièrement intéressantes et solides. 1) Les divers systèmes sacrificiels israélites ne sont ni figés, ni immuables: au gré des événements, des rites deviennent sacrificiels, de nouveaux sacrifices apparaissent, certains disparaissent ou changent de fonction. 2) Le sacrifice est essentiellement un repas offert à Yhwh en tant qu'invité d'honneur ; la dimension de don n'est qu'accessoire. 3) De par sa matière vivante (êtres animaux ou végétaux et non pas biens matériels inanimés), le sacrifice a clairement trait à la vie et non pas à la richesse. 4) Le sacrifice instaure une relation d'échange (vital bien qu'inégal) et de convivialité entre Dieu et l'offrant. 5) C'est à P que l'on doit l'uniformisation et la systématisation de la procédure sacrificielle: majoration de la dimension proprement sacrificielle, transmission de la matière par combustion, renforcement du rôle des prêtres, mais minimisation de l'importance de l'immolation. 6) La première fonction du culte sacrificiel est de réaliser la cohésion sociale et, en même temps, de référer à une puissance transcendante, mais néanmoins proche et solidaire, qui peut servir d'instance d'appel. 7) La centralisation du culte et la construction d'un Temple où Dieu (son nom) réside, accentuent d'une part, la prise de conscience de la majesté de Yhwh et provoquent d'autre part, un infléchissement de la fonction du sacrifice: des sacrifices apportés en situation de crise aux sacrifices du culte régulier destinés à garantir la présence divine et partant, la paix et la prospérité.
Dans un dernier chapitre (chap. V: Du sacrifice au repas sacramentel), l'auteur retrace brièvement les changements imposés au culte sacrificiel par les circonstances, notamment l'exil et la destruction du Temple: spiritualisation du sacrifice, substitution progressive du sacrifice par la prière, recentrement de la piété sur les dispositions éthiques et sur l'obéissance à la Tora et enfin, instauration du repas sacré (chez les Esséniens) non plus offert à Dieu, mais offert par Dieu pour donner sa bénédiction et conférer la vie éternelle. Même si l'auteur fait parfois allusion à des notions problématiques (voir, par ex. p. 17: les couches JE du Pentateuque) ou passe peut-être trop rapidement sur certaines questions comme celle de l'efficacité «automatique» et «magique» du sacrifice (p. 208-210), on lui saura gré de nous présenter une synthèse cohérente qui éclaire maints détails et rappelle la place centrale du sacrifice dans l'Ancien Testament. Il ne faudrait d'ailleurs pas exclure qu'une telle recherche puisse aussi avoir quelque incidence sur les théologies chrétiennes et sur le dialogue oecuménique. - D. Luciani

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