On hésite sur la classification du livre de Peter J. Bernardi,
professeur associé en études des religions à l'université Loyola à
la Nouvelle Orléans. Son sujet - la querelle qui opposa Maurice
Blondel à Pedro Descoq sj dans les premières années du xxe siècle -
pourrait paraître daté ou l'apanage de spécialistes, mais l'A.
parvient à montrer avec brio que loin d'être un débat poussiéreux,
il est toujours d'actualité. Pour Bernardi, l'année 1909 vit la
conjonction de trois événements qu'il analyse très rigoureusement.
Si Blondel écrivit une série d'articles sous le pseudonyme Testis
entre octobre 1909 et mai 1910 (judicieusement réédités en 2000 par
les éd. Lessius), ce fut d'abord pour prendre la défense des
Semaines Sociales. Créées en 1904 pour propager la doctrine sociale
de l'Église dans la ligne de Rerum Novarum, elles furent vivement
critiquées en 1909 pour leurs tendances ''modernistes'' et
démocratisantes. La série Testis fut dans le même temps l'occasion
pour Blondel de répondre à P. Descoq, professeur de philosophie
d'inspiration suarézienne, qui venait d'écrire un ensemble
d'articles sur la doctrine de Charles Maurras et qui, tout en
pointant les graves difficultés qu'elle soulevait, concluait sur
une possibilité pour les catholiques de collaborer avec le
mouvement d'Action Française sur le plan politique. Bernardi montre
que Blondel et Descoq ont vite compris qu'à la racine de leur
divergence se trouvait leur compréhension du rapport
nature-surnaturel. Après avoir étudié les différents articles de la
série Testis, l'A. fait de même pour les articles de Descoq. La
controverse va durer jusqu'en 1913, date à laquelle le Saint-Office
condamnera la revue Les Annales de philosophie chrétienne
qui avait publié les articles de Blondel. La balance semble avoir
définitivement penché en faveur de Descoq mais la situation se
retourne en 1926 avec la condamnation très dure du mouvement de
Maurras par le Saint Siège. La suite montrera la grande fécondité
du mouvement lancé par Blondel, à l'exemple de Lubac qui
reconnaîtra sa dette envers le philosophe d'Aix.Dans son dernier
chapitre, Bernardi ressaisit son travail d'érudition en se
focalisant sur quatre grands thèmes qui opposent foncièrement
Blondel et Descoq, ceux-ci n'étant en définitive que les
représentants de deux courants de pensée qui coexistent encore de
nos jours. En étudiant les épistémologies, les ontologies, les deux
façons de penser le rapport nature-surnaturel et les deux types de
société qu'elles peuvent engendrer, l'A. montre que Blondel et
Descoq se sont accusés mutuellement de déviations qui ne peuvent
leur être appliquées stricto sensu. Par contre, ils ont signalé
l'un et l'autre les déviations possibles de leurs systèmes s'ils
étaient poussés jusque dans leurs implications ultimes… On ne peut
que saluer ce travail d'historien qui est aussi celui d'un
théologien. La controverse Blondel-Descoq n'avait jamais bénéficié
d'un traitement aussi poussé et l'A. réussit à mettre en lumière
ses lignes de force qui sont toujours agissantes aujourd'hui. Sa
précision n'empêche nullement un équilibre de jugement bienvenu
dans ces domaines où passions et blessures affleurent encore
aujourd'hui. - B. Catala