Modernité et Christianisme. Interrogations critiques réciproques

Antoine Vergote
Psychology - reviewer : Hubert Thomas
Depuis Vatican II, la question des rapports entre Église et monde, entre modernité et christianisme a déjà fait couler beaucoup d'encre. À un niveau individuel, qui d'entre nous ne se demande parfois si ce qu'il croit est encore bien sensé dans le contexte contemporain. A.Vergote reprend ces préoccupations et les traite avec clarté et pertinence.
Il nous habitue au long terme. La modernité ne date pas d'hier. Elle se prépare peut-être lointainement dans une première rupture, celle qui sépare le monothéisme des religions polythéistes. Elle se fonde dans une autre rupture, qui est celle de la rationalité grecque. Comme Husserl l'a bien vu, apparaît à ce moment une révélation de la raison universelle.
À partir de là, la raison critique fait son oeuvre de renouvellement et remodèle les diverses dimensions de l'humanité personnelle et collective. Plusieurs chapitres décrivent cette expansion et montrent les points de conflit avec le christianisme. Si le monde de la science et de la technologie devient un système rationnel fermé, qu'en est-il de la visibilité de Dieu et de son intervention dans le monde? Si l'éthique religieuse se mue en une éthique de la raison pratique, y a-t-il place pour une éthique spécifiquement chrétienne? Peut-on expliquer la religion par la psychologie? Dans la sécularisation générale de la société, faut-il dire que la religion est désormais passée avec armes et bagages à une religion civile?
Ces chapitres consacrés à la modernité amènent finalement à la confrontation centrale portant sur la figure de Jésus-Christ. Là encore il convient de montrer que la critique n'est pas que réductrice et qu'elle donne de quoi mettre en lumière, à travers les Évangiles, ce qu'il en est du noyau irréductible de la religion chrétienne: l'événement accompli par Dieu en Jésus de Nazareth pour créer une réalité nouvelle. D'un point de vue subjectif, l'attitude de la foi n'est-elle pas aussi mieux qualifiée par les approches de l'anthropologie philosophique et psychologique? Portée par un projet de maîtrise, la modernité peut faire l'impasse sur l'ouverture au Dieu-Autre; elle n'a pas pour autant rendu Dieu et la foi insignifiants. Son agnosticisme caractérisé s'est délié des dieux sans se relier au Dieu qui se révèle dans son invisibilité, Celui que l'on rejoint plus dans l'écoute, la méditation que la multiplication des rites.
Loin des lamentations et des doléances, c'est donc un regard essentiellement positif que l'A. porte sur la modernité, sans néanmoins omettre de marquer ses limites intrinsèques. À commencer par celle que notait Wittgenstein: «l'ego est la limite du monde».
On pourrait questionner l'un ou l'autre point de l'ouvrage. On peut ainsi se demander si le pluralisme religieux n'est pas aussi une résultante de la modernité, importante quant à son impact sur l'identité chrétienne. Sans méconnaître la réflexion de Freud sur la figure paternelle de Dieu comme caractéristique du monothéisme biblique, on peut se demander si elle est aussi décisive qu'il n'est dit. Le rapport à la parole et à la lettre ne serait-il pas plus radical encore? En tout cas, pour le judaïsme.
Quant à la question du tombeau vide, si l'on peut reconnaître un certain caractère tardif à ces récits, ne faut-il pas néanmoins admettre, qu'ils racontent à la place de la résurrection parce qu'elle, elle ne se raconte pas…?
Ces remarques mineures, ne veulent rien enlever à la qualité de cet ouvrage. Synthétique, allant à l'essentiel, il apporte une excellente réflexion à ceux qui cherchent à comprendre le christianisme dans la modernité. - H. Thomas, O.S.B.

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