Réalisez ce que vous faites. Les rites de la Messe au regard de la lettre aux Hébreux

Jean-Claude Reichert
Theology - reviewer : André Haquin

Enseignant à Paris et à Strasbourg, Jean-Claude Reichert montre tout de suite son projet : sous la lumière de la lettre aux Hébreux, retrouver la vie des rites eucharistiques, si souvent mal compris en tant que rites, et de ce fait, vécus en surface. Que signifie le titre lui-même du livre ? Est-ce « réaliser » au sens de « prendre conscience de » ou mieux, « vivre dans la foi » ce que nous faisons à l’eucharistie, bref, « réaliser » en vérité ce que nous faisons à l’eucharistie ?

Cet « essai », érudit et exigeant, est novateur, en ce sens que les Écritures ne sont pas instrumentalisées au profit de la liturgie, mais sollicitent d’abord l’attention du lecteur pour l’éveiller à la richesse de la foi. De la sorte, les rites eucharistiques pourront être vécus comme « actes de foi », en connaissance de cause. Le chemin emprunté est en quelque sorte celui de la séquence rituelle, qui fait se suivre la liturgie de la Parole avec l’homélie et la liturgie eucharistique proprement dite. La lettre aux Hébreux, qui est peut-être une sorte de longue homélie adressée à des chrétiens désabusés, veut réveiller et nourrir leur foi, rendant possible une participation croyante à l’action liturgique. Ceci dit, le rapport bible-liturgie reste complexe, car jouant en tension dans le registre symbolique et non dans celui des sciences dites exactes. Huit chapitres se succèdent, correspondant à huit passages de la lettre aux Hébreux, qui introduisent à huit rites liturgiques : He. 1 et la ritualité de la Parole ; He 2 et la signation ; He 3 et la ritualité des oraisons ; He 4 et le Kyrie eleison ; He 7 et une figure eucharistique (Canon romain) ; He 10 et l’Agnus Dei ; He 8-9 et le Gloire à Dieu ; He 3 et l’acclamation d’anamnèse.

Prenons l’exemple du chap. 3 : « He 3,1-6 et la ritualité des oraisons » (p. 89-109). He réfléchit à la figure du Christ « grand prêtre miséricordieux et digne de foi ». L’exégète mène son travail en pratiquant l’intertextualité entre les deux testaments, avec les évangiles et He, mais aussi en référence à st Augustin, et finalement à la liturgie (Oraisons, SC, PGMR, etc.). Comment Jésus et les apôtres peuvent-ils être dits « dignes de foi » en He et selon les évangiles ? Et comment l’Église engage-t-elle sa foi dans le Christ ? Les oraisons sont autant des professions de foi de l’Église que des demandes. Quelle est la place du Christ dans ces oraisons adressées au Père ? La doxologie finale montre son rôle d’unique médiateur. L’oraison est à la fois un acte du président de l’assemblée et la prière de tous les baptisés. Celui qui préside, le fait au titre de sa responsabilité de ministre du Christ, sans toutefois négliger qu’il agit « en subordination du Christ » qui, présent, est l’Époux qui agit dans l’action rituelle et s’associe l’Église, son Épouse. À la suite de Mediator Dei, on peut affirmer que la liturgie est l’« action du Christ et de son Église ». On le devine, le parcours est riche. Il suppose une vraie culture biblique et théologique.

L’Écriture éveille et nourrit la foi des fidèles ; elle fait apparaître la réalité portée par les gestes liturgiques, qui sont eux-mêmes des « actes de foi ». Ce travail pratique la mystagogie, qui se met d’abord à l’écoute de la Bible, comme le font les oraisons qui clôturent chacune des lectures bibliques de la Vigile pascale. Ainsi, après la lecture d’Ex 14, l’oraison s’exprime comme suit : « Maintenant encore, Seigneur, nous voyons resplendir tes merveilles d’autrefois : alors que jadis tu manifestais ta puissance en délivrant un seul peuple de la poursuite des Egyptiens, tu assures désormais le salut de toutes les nations en les faisant renaître à travers les eaux du baptême… ». L’A. rappelle que « le Christ ou l’Église ont choisi les signes visibles, employés par la liturgie pour signifier les réalités divines invisibles… » (cf. SC 33). Sans une foi en éveil, nourrie par la Parole de Dieu, comment percevoir les réalités invisibles à travers les signes visibles (paroles et gestes) de la liturgie ? L’étude de l’Écriture n’est-elle pas comme l’« âme de la théologie » (Dei Verbum 24) ? L’A. revisite la « participation » des baptisés à la liturgie. Une « participation » digne de ce nom, n’est-elle pas essentiellement une participation dans la foi ? Les autres dimensions gardent toute leur valeur : participation par l’intelligence, le corps et l’âme, participation personnelle et collective, extérieure et intérieure, etc. (SC 14 et 48). Nous voici donc introduits dans l’« officine » des exégètes. Ce beau travail pourra inspirer la prédication et la mystagogie. — A.H.

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