Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère

J.-M. Ela
Theology - reviewer : Albert Kasanda Lumembu
Le sous-titre exprime mieux que le titre l'idée principale de ce livre. L'A. examine la pensée théologique africaine en mettant au premier plan la problématique de la libération des pauvres et des opprimés. Sa question est sans équivoque: «que signifie Dieu pour les gens qui sont dans des situations de pauvreté, de sécheresse et de famine, d'injustice et d'oppression? En d'autres termes, à quelles conditions le discours sur le Dieu de Jésus-Christ est-il crédible, aujourd'hui, pour les peuples d'Afrique» (p. 8)?L'idée de libération, au coeur du message biblique, est l'un des traits fondamentaux du Dieu de Jésus-Christ. Sa découverte suppose une réinterprétation du discours chrétien qui tienne compte de la distance culturelle entre l'univers biblique et le monde moderne, le conditionnement séculaire de la foi chrétienne par l'Occident et l'enracinement de cette dernière dans les historicités particulières, notamment africaines. Dès lors, l'herméneutique s'impose comme passage obligé pour la théologie africaine, dans le contexte actuel marqué par l'effondrement du socle épistémologique et culturel de la pensée chrétienne. Il s'agit de dire Dieu autrement, d'épurer le discours théologique africain de stéréotypes d'un christianisme moyenâgeux ou d'inspiration coloniale tout en restant à l'écoute des questions actuelles des hommes et des femmes du continent noir (p. 55-57).
Parler de Dieu à partir des réalités structurantes de l'Afrique contemporaine implique, pour le théologien africain, de nombreux défis dont l'examen sans complaisance de la question de l'inculturation, la critique du néolibéralisme triomphant notamment sous sa bannière de la mondialisation, la défense sans concession de l'environnement et du développement durable, la vigilance critique face à la montée de l'incroyance en Afrique, l'intérêt pour l'évolution de la condition de la femme africaine, la lutte pour un monde plus équitable et plus proche de l'esprit de l'Évangile. C'est aussi aborder la question de la mission et de la place des convertis de la Gentilité africaine au sein de l'Église. Il convient de constater la fin du monopole assumé ici par l'Occident. L'émergence des Églises locales et la crise des vieilles chrétientés plaident pour une nouvelle intelligence de la mission. La fin de l'apanage des instituts missionnaires et la diminution continue de leurs effectifs obligent l'Église à repenser la qualité des rapports de communion entre les chrétiens d'Afrique et les autres Églises. «La mission considérée comme une initiative de l'Occident est bien terminée. Nous sommes condamnés à faire preuve de créativité pour promouvoir une vie d'Évangile qui, à partir du sol africain, devienne une question pour les autres peuples. Il s'agit là d'un véritable service à l'Église universelle» (p. 185). Cet effort de créativité vise, selon l'ensemble des évêques d'Afrique, une évangélisation libératrice (p. 232). Une telle initiative trouve son équilibre dans l'interaction constante entre l'action et la prière.
L'enracinement chrétien en Afrique pose également la question des ministères. Comment mettre en valeur des signes au travers desquels la communauté croyante vit sa relation à Jésus-Christ? L'acte fondateur de l'expérience chrétienne consiste «à faire mémoire» de Dieu et de son action libératrice, dans une Église renouvelée, dominée par le souci de communion, au travers des métaphores, comme par exemple la famille ou la fraternité. Les notions de «Église-famille de Dieu», «Église-solidarité ou «Église-fraternité» constituent ainsi le cheval de bataille de l'épiscopat africain dans sa campagne pour une «nouvelle évangélisation» (p. 268).
En outre, il convient de redéfinir la place et la tâche des laïcs au sein de l'Église. «Nous devons éviter d'enfermer les laïcs dans les tâches purement religieuses. Leur vocation spécifique les place au coeur du monde et à la tête des tâches temporelles les plus variées» (p. 273). Toutefois, une telle perspective n'exclut pas leur participation à certains ministères capables de rajeunir le dynamisme de la communauté. Il s'agit, par exemple, de la célébration de la réconciliation, du ministère des malades, du baptême ou même de l'eucharistie. À ce propos, J.-M. Ela s'interroge: «faut-il nécessairement l'intervention d'une personne ordonnée pour que les chrétiens, lorsqu'ils se réunissent, puissent faire mémoire de Jésus-Christ en partageant le pain et la coupe et donner à leur rencontre une dimension d'Alliance?» (p. 330). Cette question, véhiculée par les communautés locales sans eucharistie, invite la théologie africaine à dépassionner le débat relatif aux ministères au profit de la découverte du sens de la foi au Christ. Le débat sur la pertinence du message chrétien implique aussi la question de la crédibilité du porteur de ce message, en soumettant à un nouvel examen le mode de fonctionnement de l'Église, à savoir la relation entre Rome et les Églises d'Afrique. Sous quel mode - le service de Pierre ou le pouvoir de Rome, la collégialité ou la «curialité» - convient-il de conjuguer cette relation (p. 374)? Partant des idées de communion et de liberté au coeur de l'ecclésiologie africaine, J.-M. Ela opte pour le service et la collégialité. Un tel choix remet en cause la structure latine des Églises d'Afrique en même temps qu'il plaide pour une mise en valeur de l'Église locale comme un véritable centre d'initiative et de créativité. Cette dernière, dégagée de l'autoritarisme et du centralisme romains, se veut enracinée dans les réalités structurantes du continent noir. La crédibilité des communautés croyantes africaines dépend de leur degré d'ouverture en tant qu'espace de rencontre et de liberté.
Le livre de J.-M. Ela est un véritable précis de théologie de libération africaine. L'A. soumet à la réflexion de l'intelligentsia théologique africaine un éventail de questions cruciales concernant le devenir de la foi en Jésus-Christ sur le continent noir. Celles-ci, sans être neuves pour la plupart, sont d'une remarquable pertinence. La clarté de l'argumentation et le souci d'information quant aux sources utilisées sont à mettre à l'actif de l'A.. Ce dernier, sans être un schismatique, se montre exigeant dans ses questionnements et dérangeant pour une pensée conformiste ou réformatrice. Ce livre, acculant les penseurs africains dans leur dernier retranchement, est surtout une invitation à traquer la complaisance et l'indolence théologiques au profit de la véritable foi en Jésus-Christ. - A. Kasanda Lumembu.

newsletter


the journal


NRT is a quarterly journal published by a group of Theology professors, under the supervision of the Society of Jesus in Brussels.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgium
Tél. +32 (0)2 739 34 80