Un dialogue à trois voix. Entretiens avec Marie-Lise Gazarian, préf. Card. A. Ving-Trois
Fernando RieloSpiritualiy - reviewer : Marie-Jeanne Coutagne
Il y a peu de temps encore Fernando Rielo Pardal (Madrid, 1923 - New-York, 2004) était quasiment inconnu du public français. Ce fondateur de l’Institut Id du Christ Rédempteur, Missionnaires Identes – reconnnu en 2009 comme Institut de vie consacrée de droit pontifical déployé dans le monde entier –, ce promoteur du Grand Prix mondial de poésie mystique (38e édition en 2018), ce métaphysicien bénéficie depuis quelques années d’éditions en espagnol et surtout de traductions en français encore trop peu nombreuses. Échappant à tous les cloisonnements entre disciplines, Rielo apparaît comme un poète, un mystique et un métaphysicien. Ce Dialogue à trois voix qui rapporte des conversations entre Marie-Lise Gazarian et Rielo permet d’approcher au plus près la vie et l’œuvre de celui qui vécut intensement sa vie durant dans l’intimité du Père Céleste : voilà pourquoi ce « dialogue » est à trois voix et se présente implictement comme ce que l’on appelle aujourd’hui parfois une « patérologie » ! Son expérience spirituelle, souvent marquée de signes exceptionnels mais toujours empreinte d’une grande profondeur humaine, est marquée par ce qu’il nomme « la vivence de la charité », dont le modèle est ce qu’il nomme le « Modèle Absolu » (p. 97), qu’il ne cesse d’exprimer poétiquement dans de nombreux recueils de poésie et qu’il tente de conceptualiser métaphysiquement. Au cœur de la relation interne à la divine Trinité (p. 100), il met en valeur la communication divine, qui s’exprime particulièrement dans ce qu’il nomme l’« être plus » (en un sens bien différent de ce que l’on trouve chez Teilhard de Chardin) et contredit fondamentalement le principe d’identité, d’ailleurs formellement condamné sur le plan théologique depuis le xive s. Sa métaphysique s’appuie sur une ontologie relationnelle qui fonde une anthropologie qui ne cesse de revenir sur la divine présence constitutive en l’homme, à l’image et ressemblance de Dieu, qui ne néglige jamais, évidemment les développements christologiques de la vie de grâce (p. 234s).
Le livre, de lecture agréable, comporte quelques photographies et se présente en trois parties (trois « voies » en somme aussi) : d’abord, un exposé dialogué fait par Rielo lui-même sur les grandes étapes de sa vie, son enfance marquée par de grandes souffrances, sa formation auprès des Rédemptoristes, puis sa mission de fondateur et l’expansion de son Institut. La seconde partie entrecroise poèmes et précisions réciproques de M. L. Gazarian et de Rielo et permet d’approcher la vocation poétique rielienne en la situant (trop rapidement) dans le cadre de la littérature espagnole, mystique mais pas uniquement. On découvre ainsi que le personnage du Quichotte joue un rôle aussi important chez Rielo que chez de nombreux philosophes ou poètes espagnols. La troisième partie, sans doute un peu plus ardue mais toujours éclairante, développe les grandes lignes de la métaphysique rielienne, ses sources implicites et son ampleur, assez considérable, en une époque où la métaphysique demeure encore trop déconsidérée.
Ce livre constitue donc une introduction nécessaire pour qui voudra avec profit aller plus loin et approfondir les textes d’un penseur original, philosophe, théologien et mystique, décisif pour notre temps. — M.-J. Coutagne