Étienne Fouilloux avait, si l’on peut dire, une bonne longueur d’avance pour entreprendre une biographie du dominicain, en particulier grâce à son édition du Journal d’un théologien. 1946-1956, et ses nombreuses études sur l’histoire de l’Église du xxe siècle. Yves Congar était devenu, au fil des années, un de ses « familiers ». Et, disposant d’une belle quantité de documentation, il n’a pas hésité à combler une lacune dans l’historiographie contemporaine : raconter la vie d’un géant, à la façon d’un roman, avec toute l’empathie que requiert le genre mais sans tomber dans le style hagiographique. Il a conçu son ouvrage en adoptant le prisme des quatre vocations de Congar : sacerdotale, dominicaine, ecclésiologique et œcuménique, ayant traversé toute sa carrière d’enseignant, notamment au Saulchoir, de chercheur, de prédicateur et de conférencier. Très tôt, le dominicain perçut que la nature de l’Église et la place occupée par tous ceux qui la composent, ainsi que les causes des divisions anciennes et les éléments qui pouvaient amener à retrouver la communion, étaient des sujets fondamentaux à explorer. C’était évidemment des sujets brûlants, dont l’étude risquait, à tout moment de créer des ennuis à ceux qui s’y consacraient : une grande partie de la carrière de Congar fut vécue à l’ombre de Vatican i et du modernisme qui était loin d’avoir été définitivement écrasé par la condamnation de Pie xi et continua longuement à effrayer bien des responsables de l’Église. Congar sera d’ailleurs comme une victime du second, lors de l’épisode d’Humani generis qui l’englobait dans les suspects du moment et lui valut même un exil en Angleterre, aussi douloureusement vécu que la captivité durant la seconde guerre mondiale. Suspect, il le demeurera encore lorsqu’il sera appelé comme expert à Vatican ii, du moins aux yeux de certains. Il pourra, fort heureusement, faire progressivement profiter l’assemblée synodale de tout l’acquis scientifique accumulé durant des décennies, et être ainsi l’un des artisans majeurs de l’œuvre conciliaire, non sans, plus d’une fois, être obligé de ferrailler avec des personnalités dont l’ouverture d’esprit était plus que réduite, voire inexistante.

Ce qui frappe dans la vie d’un Congar, c’est son sens de l’histoire, acquis notamment au contact de son maître et ami Chenu. Cela l’empêcha, avec bonheur, d’élaborer ses travaux non pas comme une mathématique intemporelle : la théologie a une histoire, conviction forte dans le chef de Congar qui est comme la colonne vertébrale de son labeur de théologien.

À sa manière, il fut un « déçu » de Vatican ii. Mais pas à la façon de son ami Lubac qui vécut douloureusement l’après-concile et finit presque par le figer, ou d’un Hans Kung, par trop grincheux à ses yeux dans ses critiques pour le moins acerbes et désabusées à bien des égards. Grâce précisément à son sens aigu de l’histoire, Congar eut, plus que d’autres participants directs, la sagesse de voir que ce concile pouvait encore « progresser », être prolongé par la vie, ciselé dans sa compréhension, même s’il perçut qu’il y eut des directions parfois hasardeuses dans sa mise en application.

Ce qui manqua sans doute le plus dans l’œuvre de Congar, c’est l’armature philosophique et un certain intérêt pour des problématiques contemporaines dans lesquelles il se sentait moins à l’aise. On pourrait sans doute exprimer cela en disant que c’était un ecclésiologue « ad intra ».

Le tempérament de Congar n’était pas sans aspérité. L’Ardennais, têtu, remontait régulièrement à la surface, s’exprimant souvent sans détour à propos de ce que l’on pourrait appeler la bêtise ou à tout le moins l’étroitesse d’esprit qu’il décelait chez certains de ses contradicteurs. En même temps, il était animé d’un courage peu commun, qui ne faiblit jamais, même quand il commença à souffrir d’une maladie neurologique incurable qui le conduisit progressivement à la paralysie presque totale. Sa passion pour l’Église ne faiblit jamais.

Quiconque désire, non seulement rencontrer un grand monsieur de la théologie contemporaine mais aussi la vie de l’Église du xxe siècle, et qui peut incontestablement inspirer encore celle du xxie, ne peut manquer de lire cet ouvrage, par ailleurs écrit dans le style auquel Étienne Fouilloux a habitué ses lecteurs : celui d’une écriture des plus agréables, mais qui jamais ne sacrifie la rigueur. — B. Joassart s.j.

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