Il venticinquesimo anniversario della dichiarazione del pentimento dei vescovi francesi per il silenzio dell’assemblea dei cardinali e degli arcivescovi francesi nei confronti delle due leggi di Vichy sullo statuto degli ebrei (1940 e 1941) permette di sottolineare il senso teologico di questo atto e di coglierne le sfide non solamente per il dialogo, ma anzitutto per una migliore comprensione della misericordia divina e della fraternità umana che ne consegue.
Il y a 25 ans, les évêques de France faisaient repentance pour le silence de l’assemblée des Cardinaux et Archevêques de France face aux deux lois de Vichy sur le statut des juifs, de 1940 et 1941. En faire mémoire manifeste la fidélité à l’engagement auquel cette repentance invitait devant Dieu1.
Pourtant, évoquer aujourd’hui la repentance, c’est courir le risque d’une méprise, tellement ce terme est sujet à débat dans le discours politique ambiant qui est parfois porté à poser des jugements peut-être hâtifs et globaux sur des faits du passé. Ici, le terme « repentance » a un sens éminemment théologique tiré de l’Écriture Sainte.
L’arrière-fond biblique permet d’aborder sereinement la « Déclaration de repentance des évêques de France » du 24 septembre 1997. Elle a été signée par les évêques des 9 diocèses de la Province ecclésiastique de Paris et des 15 autres diocèses français ayant eu un camp d’internement des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que de Mgr Gaston Poulain, évêque de Périgueux et Président du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme. Cette Déclaration a été lue à Drancy par Mgr Olivier de Berranger, évêque du diocèse de Saint-Denis où se trouve cette ville2. Ce fut le 30 septembre 1997, en « cette année du 50e anniversaire (5 août 1947) de la Déclaration de Seelisberg3 ».
I Jules Isaac, l’historien
Cinquante ans se sont passés entre ces deux Déclarations ! Comment la première ne nous ferait-elle pas penser à Jules Isaac, auteur des fameux manuels d’histoire « Malet et Isaac », qui fut au lendemain de la Seconde Guerre mondiale un ardent artisan des « dix points » de Seelisberg ? Ces dix points amorcèrent le travail d’éradication de tout germe d’antisémitisme dans les propos tenus dans la prédication de membres, parfois éminents, de l’Église catholique. Et comment la seconde Déclaration ne nous oblige-t-elle pas vis-à-vis de Jules Isaac puisqu’il y est question des « lieux communs antijuifs coupablement entretenus dans le peuple chrétien », contre lesquels cet historien n’a cessé de lutter ? Ces lieux communs propagés au long des siècles ont engendré des persécutions – allant jusqu’au meurtre – contre les Juifs en se justifiant de la foi chrétienne, comprise de façon erronée. Telles furent les conséquences de ce que Jules Isaac a appelé « l’enseignement du mépris ».
Né à Rennes en 1877, dans une famille juive d’origine alsacienne et lorraine, fils d’officier, Jules Isaac fut un prophète de l’amitié entre Juifs et chrétiens. Trois ans avant sa mort, le 5 septembre 1963, sa rencontre avec le pape Jean xxiii, le 13 juin 1960, fut « déterminante4 ». Nous savons de façon certaine qu’elle enclencha le cheminement qu’a accompli l’Église catholique au concile Vatican ii pour aboutir à la promulgation de la Déclaration Nostra Aetate, le 28 octobre 1965. Par le paragraphe 4 de cette déclaration conciliaire, « l’Église », en « scrutant » son propre « mystère5 », reconnaît qu’il existe un « lien [qui] unit spirituellement le Peuple du Nouveau Testament avec la descendance d’Abraham ». En raison de ce « lien », comment ne pas souscrire au désir véhément de Jules Isaac pour que se développe un « enseignement de l’estime6 » de la part des chrétiens vis-à-vis des Juifs ?
Nostra Aetate est un jalon sur le chemin de cette « estime » qui n’a cessé de grandir. Diverses déclarations, tant de la part de chrétiens que de la part de Juifs, l’attestent7. Mais cette « estime » demeure grevée d’une suspicion qui, à bien y réfléchir, est normale après des siècles d’antisémitisme véhiculé par un « enseignement du mépris », pour reprendre l’expression de Jules Isaac.
Cette « estime » ne pouvait donc grandir qu’à l’épreuve de la vérité, tant vis-à-vis de ce « lien » et des conséquences qu’il entraîne, que vis-à-vis des fautes par lesquelles ce « lien » a été trahi et abîmé, blessé. Tout ce qui a conduit, directement ou indirectement, de façon proche ou lointaine, au drame singulier de la Shoah perpétrée par le iiie Reich nazi durant la Seconde Guerre mondiale, et qui a été accompli par des catholiques est, de leur part, une grave trahison de ce « lien ».
C’est pourquoi, en fidélité à la vérité, il convient de repérer cette trahison afin de découvrir les fautes historiques précises qui ont été commises, pour pouvoir se tourner vers Dieu afin d’en demander pardon en s’engageant à ne plus jamais les répéter.
II Un acte de vérité
On sait que l’historien de métier que fut Jules Isaac – meurtri cruellement en sa famille par la tragédie de la Shoah – a été interpellé par un propos que Jean xxiii tint à des journalistes le 7 décembre 1959 : « Il est un principe vital, c’est de ne jamais déformer la vérité. » Jules Isaac le cite huit jours plus tard dans une conférence qu’il donne à la Sorbonne.
En 1962, pour introduire son dernier livre qui a pour titre L’enseignement du mépris, Jules Isaac met en exergue cette phrase de Jean xxiii :
L’aptitude à connaître la vérité représente pour l’homme une responsabilité sacrée et grave de coopération au dessein du Créateur, du Rédempteur, du Glorificateur… Comme elle est belle dans cette lumière, l’invitation faite à l’homme de dire toujours la vérité à son prochain8.
Dans le contexte de notre réflexion sur la Déclaration de repentance, la vérité s’élargit à un aspect particulier. En 1999, Jean-Paul ii l’explicitera clairement : « L’Église ne craint pas la vérité qui naît de l’histoire et elle est prête à reconnaître les erreurs surtout lorsqu’il s’agit du respect dû aux personnes et aux communautés9. » Ainsi, la Déclaration de Drancy est avant tout un acte de vérité.
III Un acte de maturation et d’urgence
Cette Déclaration est le fruit d’un mûrissement, comme l’a expliqué Mgr de Berranger :
Ce n’est pas le fait d’une quelconque stratégie, mais d’une maturité intérieure, d’une aptitude à l’écoute et à la remise en question de certitudes que l’on croyait acquises, à un lent travail éclairé par la foi10.
Le projet de cette Déclaration a été porté par le Cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, particulièrement touché, on le sait, par le drame de la Shoah11. Il avait d’abord imaginé qu’une déclaration catholique aurait pu se faire à l’occasion de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1997, au jour anniversaire exact de cette rafle. Une note qu’il dicte le 17 juin 1997 pour le père Jean Dujardin12, nous apprend qu’il a obtenu de M. Bulawko, responsable de la Commission du Souvenir au sein du crif13, une assurance que cela pourrait être possible. Mais cette commémoration avait été fixée par Décret au dimanche qui suit le 16 juillet14. Or, ce dimanche pour l’année 1997, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, devait y prononcer un discours15. La parole d’un représentant de l’Église catholique n’était donc plus possible à ce moment-là.
Or, les autorités juives au crif semblent manifester de l’intérêt pour cette idée de l’Archevêque de Paris. En effet, dans une lettre16 du 21 juin 1997, toujours adressée au père Jean Dujardin, le Cardinal Lustiger écrit :
Le président du crif, Maître Hajdenberg (…) m’a proposé, et j’ai donné mon acceptation, sous réserve de consultations nécessaires, de convoquer le 16 juillet, date anniversaire exacte, au mémorial de la rue Geoffroy l’Asnier, une réunion où le Président de la Conférence des Évêques pourrait lire son texte. Toute la publicité médiatique nécessaire serait donnée à cette manifestation qui précéderait celle du dimanche.
Cela ne s’est pas fait. En effet, le Cardinal Lustiger interroge le père Dujardin :
Reste la question majeure : le texte. Vous m’avez dit que sa rédaction serait facilitée par les travaux déjà accumulés. Il faudrait donc nous hâter pour ce faire. Je vous avoue ma complète indisponibilité pour y collaborer activement. Les journées mondiales de la jeunesse absorbent tout le temps disponible.
C’est finalement le 24 septembre que le texte sera signé. Auparavant, il a été soumis au père Georges Cottier17, dominicain et théologien de la Maison pontificale au Vatican, proche du pape Jean-Paul ii. Le père Cottier réagit aussitôt : « Surtout, n’édulcorez pas ce texte. » C’est ainsi qu’il sera lu le 30 septembre 1997, quelques jours avant la date du 3 octobre, jour où en 1940 fut établie la première loi « portant statut des Juifs ».
Pour faire cet acte de repentance, il ne fallait pas attendre. Le « moment favorable » (kairos) était là ! Une certaine urgence se faisait sentir, au moins dans l’esprit du Cardinal Lustiger et d’autres évêques qui discernaient que le moment était venu de faire publiquement cette « repentance ». Sans doute l’archevêque de Paris percevait-il, comme cela sera analysé au lendemain du 30 septembre, que « cet appel sera ressenti par l’ensemble du judaïsme français comme un acte de repentir, en hébreu “teschouva”, par définition plus tranchant, dans la vie intérieure, que la seule repentance18 ».
Sans doute aussi, le Cardinal Lustiger pensait-il que cette nécessaire repentance pouvait, comme il me l’a confié, préparer la réception de ce que le Pape – qui, au Vatican, entendait vraisemblablement des réticences – désirait en ce temps favorable (kairos) du Jubilé de l’An 2000 : qu’un document sur la Shoah soit publié19 préalablement à une demande publique de pardon20.
Dans les années qui ont précédé, cet acte de repentance a été souhaité en France par des personnalités de l’Église catholique et par de simples fidèles. Je ne nommerai que deux personnalités.
Le Cardinal Roger Etchegaray, archevêque de Marseille, participa en 1983 au Synode des évêques à Rome qui avait pour thème « Réconciliation et pénitence ». Il y intervint en disant :
La grande, l’inévitable question qui est posée à l’Église est celle de la vocation permanente du peuple juif, de sa signification pour les chrétiens eux-mêmes (…). Il nous faut tout autant prendre au sérieux notre mission de pénitence, de repentance pour notre attitude séculaire à son égard. Aucun calcul d’opportunisme, aucun risque de récupération politique ne peut nous faire dérober à ce devoir de justice.
La même année, le Cardinal Albert Decourtray, archevêque de Lyon, rédigea un communiqué à l’occasion du procès Barbie : « Nous sommes appelés actuellement à d’impérieuses prises de conscience, allant jusqu’à la repentance21. » Et, trois ans plus tard, en 1986 à l’émission 7 sur 7 de tf1, il lâche : « J’ai envie de demander pardon. Une sorte de repentance. Et c’est à partir de là que tout peut recommencer22. »
Un groupe de chrétiens, sensibles au « lien » entre l’Église catholique et le peuple juif, rédige un texte : « Vers une repentance des catholiques au sujet du peuple juif. » Daté du 25 mars 1983, il est destiné aux « Pères évêques » qui iront participer au Synode à Rome sur « Réconciliation et pénitence ». On peut dès lors imaginer que ce groupe de fidèles a inspiré la parole du Cardinal Etchegaray, même si ce dernier a noué des relations d’amitié avec des membres du peuple juif à Marseille.
Pour le Cardinal Decourtray, on sait qu’il a été marqué par une conversation qu’il eut avec une jeune femme juive dans le bateau qui le ramenait de Haïfa à Marseille, après une année passée à Jérusalem en 1951-1952. Il fut bouleversé en entendant la souffrance de cette femme qui a perdu sa famille à Auschwitz23. Sans doute a-t-il vécu ce que des chrétiens éprouvent en se laissant blesser par la blessure dont nos frères et sœurs juifs sont marqués en raison de la Shoah. Une telle compassion peut être une porte d’entrée pour commencer à découvrir le « lien » qui unit chrétiens et Juifs, même si ce « lien » relève de la foi au « Dieu d’Israël » (cf. Lc 1,68 ; Mt 15,31).
IV Un engagement devant Dieu
Si la Déclaration de repentance est un acte de vérité, elle est aussi et avant tout un acte religieux qui s’adresse à Dieu. Elle consiste à faire teschouva.
L’Évangile nous conduit, nous, chrétiens, à cette repentance. « Lorsque tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère » (Mt 5,23-24). Notre frère juif n’a-t-il pas « quelque chose contre » nous, chrétiens, en raison de ces « lieux communs antijuifs » ? Il s’agit bien de notre « frère » qui, blessé à jamais par la Shoah, oblige notre conscience à faire mémoire de nos fautes commises « contre » lui pour « d’abord » nous « réconcilier » avec lui, notre « frère ».
Cependant, comme je l’ai signalé, ces fautes sont des trahisons du « lien » entre l’Église catholique et le peuple juif. Or, ce « lien » n’appartient ni à l’Église ni au peuple juif, mais à Dieu et à son dessein de salut pour l’humanité, si bien que ces « fautes » sont des péchés contre Dieu. C’est bien vers Lui que nous avons à faire teschouva, c’est vers Lui que nous devons « revenir » afin d’être davantage fidèles à son dessein.
Pourtant, les représentants du peuple juif ont été invités à être témoins de notre Déclaration de repentance. Pourquoi ? Afin d’apaiser leur blessure en leur témoignant que nous reconnaissions notre faute et en leur signifiant par-là que nous voulions « d’abord » nous « réconcilier » avec eux pour désormais nous tourner vers Dieu et vivre de ce « lien ». En effet, l’acte de repentance n’est pas accompli pour rester dans le passé ; il concerne au contraire l’avenir car il est un engagement pris sous le regard de Dieu. Il est une conversion qui n’est véritable que si elle engage de façon permanente, selon l’avertissement de l’Évangile : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26,41).
C’est ainsi, par exemple, que le 1er février 2021, face à la recrudescence des actes antisémites en France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des Évêques de France, a lu la déclaration « Lutter ensemble contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme sera la pierre de touche de toute fraternité réelle ». Il l’a lue en présence des frères juifs venus pour entendre la fidélité à l’engagement pris, en l’occurrence, il y avait 24 ans.
V En fidélité aux Écritures saintes
Le sens de cet acte de repentance vient des Écritures d’Israël. Selon ces Écritures, la repentance peut être vécue par la personne elle-même qui a conscience de son péché, comme en témoignent des Psaumes. Mais puisque Dieu est l’unique et qu’il est le Créateur de tous, le psalmiste exprime son espérance : « La terre tout entière se souviendra et reviendra (shoûv) vers le Seigneur » (Ps 22,29). Cependant, la plupart du temps, il s’agit d’un « retour » collectif du Peuple d’Israël à Dieu, comme le clame par exemple le prophète Osée : « Reviens (shoûv) donc, Israël, au Seigneur ton Dieu, car ta faute t’a fait trébucher. Offrez un sacrifice de vos lèvres et revenez (shoûv) au Seigneur » (Os 14,2-3).
Ce sacrifice est la parole que prononcent les lèvres du pécheur – personnel ou collectif – lorsque celui-ci avoue sa faute et crie sa « honte », comme on le lit dans le livre de Daniel (3,33). Ce « retour » collectif du Peuple à Dieu, alors que tous ses membres n’ont pas péché, se comprend car le peuple de Dieu a une vive conscience de la solidarité entre les générations. Cette solidarité n’est pas simplement humaine ; elle est due à l’appartenance au même peuple en vertu de l’élection divine qui le fait exister et perdurer dans le temps, de génération en génération, car Dieu est fidèle à ses dons (cf. Rm 11,29).
En préparation immédiate au Jubilé de l’an 2000, Jean-Paul ii a exprimé sa conviction en commençant par citer ce même livre de Daniel :
« Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères (…). Oui, nous avons péché et commis l’iniquité en te désertant, oui nous avons grandement péché ; tes commandements, nous ne les avons pas écoutés… » (Dn 3,26-29). C’est ainsi que priaient les Juifs après l’exil (cf. aussi Ba 2,11-13), en se chargeant des fautes commises par leurs pères. L’Église imite leur exemple et demande pardon également pour les fautes historiques de ses fils24.
Cinq ans auparavant, le 10 novembre 1994, en pensant déjà au Jubilé de l’an 2000, le pape écrivait :
La joie de tout Jubilé est d’une manière particulière une joie pour la rémission des fautes, la joie de la conversion (…) qui est la condition préliminaire de la réconciliation avec Dieu pour les personnes comme pour les communautés. Il est donc juste que l’Église prenne en charge, avec une conscience plus vive, le péché de ses enfants, dans le souvenir de toutes les circonstances dans lesquelles, au cours de son histoire, ils se sont éloignés de l’Esprit du Christ et de son Évangile, présentant au monde, non point le témoignage d’une vie inspirée par les valeurs de la foi, mais le spectacle de façons de penser et d’agir qui étaient de véritables formes de contre-témoignage et de scandale. (…) Elle ne peut passer le seuil du nouveau millénaire sans inciter ses fils à se purifier, dans la repentance, des erreurs, des infidélités, des incohérences, des lenteurs. Reconnaître les fléchissements d’hier est un acte de loyauté et de courage qui nous aide à renforcer notre foi, qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d’aujourd’hui et nous prépare à les affronter25.
VI Histoire et jugement éthique
Il s’agit donc pour l’Église de discerner « les fléchissements d’hier » ou « les fautes historiques de ses fils », comme le rappelle Jean-Paul ii à la veille de l’an 2000.
Pour repérer ces « fautes historiques », le travail des historiens est capital et indispensable. Il permet que la « repentance » soit juste et sincère. En effet, avertit Jean-Paul ii,
l’attitude pénitentielle de l’Église de notre temps, au seuil du troisième millénaire, ne veut pas être un révisionnisme historiographique de façade qui serait par ailleurs aussi suspect qu’inutile. Elle porte plutôt le regard vers le passé et la reconnaissance des fautes, afin que cela serve de leçon pour un avenir de témoignage plus pur26.
Il s’agit non seulement d’une purification de la mémoire, mais aussi, comme je l’ai déjà souligné, d’un engagement présent en vue d’un avenir davantage conforme au dessein de Dieu.
La purification de la mémoire ne consiste pas à se donner bonne conscience. La repentance ne consiste pas davantage à simplement regarder en arrière. Si elles ont leur raison d’être dans les « fautes historiques » effectivement commises, elles trouvent toute leur motivation dans l’avenir vers lequel il s’agit de marcher de façon plus juste et plus libre, conformément à ce que Dieu nous demande.
De fait, cet avenir existe après les fautes qui ont été commises en raison d’un aveuglement, en étant déjà un présent offert pour vivre la repentance. Le moment de la repentance est dans ce temps précis où Dieu donne des yeux pour voir (cf. Dt 29,3 ; Mc 10,51-52). Faire repentance, c’est obéir ici et maintenant à ce don actuel de Dieu, c’est écouter ce que l’Esprit de Dieu fait entendre aujourd’hui. L’acte de repentance n’est possible que parce qu’il y a eu progrès de la conscience chrétienne, grâce à l’Esprit de vérité.
C’est ainsi que la conscience chrétienne, dans son progrès, fait appel à la science historique. Celle-ci a ses méthodes et ses rigueurs qui sont indispensables pour que soit mise au jour la vérité historique telle qu’elle peut être abordée en considérant non seulement le moment où se réalisent les faits, mais aussi leurs contextes et les mentalités d’alors. Ce travail remet en mémoire avec autant de précision que possible la responsabilité, sinon des hommes ou des femmes dans leur comportement individuel et moral, du moins des institutions. En effet, qui peut sonder les cœurs et les reins, sinon Dieu seul ? Ce travail historique ne consiste pas à évaluer la moralité de la faute commise, mais la responsabilité de l’acte commis. Il permet que celle-ci ne soit plus oubliée.
Cela ne suffit pas. Il est nécessaire que la mise au jour de cette responsabilité prenne tout son sens, et cela ne peut advenir qu’à la lumière d’une éthique portée par l’institution dont la responsabilité est engagée. Ici, il s’agit de l’Église catholique dont l’éthique est habitée par la foi et peut se résumer d’un mot : l’Évangile. Après la recherche historique vient donc l’évaluation éthique qui, ici, est théologique : dans ces faits commis et chez ceux qui en sont responsables, y a-t-il eu fidélité ou non à l’Évangile ? Ces responsables avaient-ils connaissance de ce que leur demandait l’Évangile dans la situation concrète de leur action à l’époque où ils devaient agir ?
L’Église catholique, par la Commission théologique internationale, a réfléchi sur « l’Église et les fautes du passé ». En l’an 2000, cette Commission a produit un document intitulé Mémoire et réconciliation. Sa réflexion de fond sur « jugement historique et jugement théologique » devrait être plus largement partagée. Beaucoup comprendraient mieux que l’acte de repentance de l’Église vis-à-vis de Dieu concerne l’avenir de cette même Église selon le chemin que Dieu lui trace.
Dans ce document, on y lit qu’« entre celui qui interprète et ce qui est interprété, on doit reconnaître une certaine coappartenance, sans laquelle aucun lien ni aucune communication ne pourraient subsister entre passé et présent ». Cette « coappartenance » est d’abord humaine, voire linguistique et culturelle. Elle a aussi des raisons spirituelles car l’interprète de l’histoire peut appartenir à la même communauté spirituelle que celle de ceux du passé sur lesquels il mène ses recherches. Ici, l’Église affirme sans hésiter la « coappartenance » entre les catholiques du passé et ceux d’aujourd’hui. Cette « coappartenance » est une « communion » dans la foi chrétienne en Dieu, l’Unique, pleinement révélé en Jésus-Christ, Messie d’Israël. C’est en raison de cette communion dans la foi que peut et doit venir l’acte de « repentance » de l’Église pour les fautes du passé commises par des membres de l’Église.
La Commission théologique internationale en arrive à cette analyse :
La lecture croyante se servira de toutes les contributions possibles offertes par les sciences historiques et les méthodes d’interprétation. Cependant, l’exercice de l’herméneutique historique ne devra pas empêcher l’évaluation par la foi qui interpelle les textes selon sa spécificité propre ; il s’agit d’opérer une interaction du présent et du passé dans la conscience de l’unité foncière du sujet ecclésial qui est impliqué. Cela met en garde contre tout historicisme qui relativise le poids des fautes passées et considère que l’histoire peut tout justifier. Comme le fait observer Jean-Paul ii, « un jugement historique correct ne peut pas faire abstraction d’une considération attentive des conditionnements culturels du moment (…). Mais la considération des circonstances atténuantes n’exonère pas l’Église du devoir de se repentir profondément pour les faiblesses de tant de ses fils »27.
Ajoutons une précision. Cet acte de repentance n’est pas un jugement que nous porterions sur nos frères et sœurs du passé, et qui nous ferait croire que nous sommes meilleurs qu’eux. Il ne nous conduit pas à une sorte de surplomb duquel on jugerait avec mépris ces frères qui, eux, se seraient fourvoyés dans l’erreur et auraient péché. Qui serions-nous pour porter un tel jugement ? Le propos virulent de l’apôtre Jacques nous l’interdit : « Juger son frère, c’est juger la Loi. Pour qui te prends-tu donc, toi qui juges ton prochain ? » (Jc 4,11-12).
En vérité, l’acte de repentance est un discernement du bien à faire ici et maintenant pour un avenir plus lumineux. Il est une réponse à l’appel de l’Esprit Saint car, grâce à Lui qui procure la guérison de l’aveuglement passé, « la mémoire est capable de susciter un nouveau futur28 ».
VII Confesser le nom de Dieu
Ceci étant acquis, faire mémoire des « fautes historiques » ne suffit pas encore pour faire repentance. Celle-ci n’est possible que parce que la mémoire chrétienne – comme la mémoire juive – est habitée par Dieu et sa miséricorde. Les chrétiens reçoivent du Peuple d’Israël cet héritage si extraordinaire ! La révélation de la « miséricorde » est en effet majeure dans les Écritures d’Israël.
Cette révélation est en définitive un dévoilement du nom de Dieu sauveur. Elle apparaît au terme du grand récit de l’Exode à partir du redoutable péché d’idolâtrie appelé communément « le veau d’or ». Face à cette idolâtrie, Moïse discute avec Dieu afin de trouver un prétexte pour que la bénédiction divine demeure sur le Peuple (cf. Ex 32,11–33,17). Mais cette discussion s’achève dans une sorte de désespoir : devant les refus de Dieu de demeurer avec son Peuple idolâtre, Moïse, – que le récit biblique nous montre excédé – s’écrie : « Fais-moi de grâce voir ta gloire ! » (Ex 33,18). C’est alors qu’il reçoit l’ordre de se cacher dans le rocher car Dieu va passer. Effectivement, Dieu passe. Moïse s’écrie alors : « Le Seigneur », tandis que Dieu proclame :
Le Seigneur, Le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité, qui garde sa fidélité jusqu’à la millième génération, supporte faute, transgression et péché, mais ne laisse rien passer, car il punit la faute des pères sur les fils et les petits-fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération.
Telle est la révélation qui est donnée dans la Torah et que l’on trouve également chez les Prophètes (Jl 2,13) et dans les Psaumes (86,15 ; 145,8).
Le croyant se souvient que Dieu est le « miséricordieux », le « rahoum ». C’est pourquoi, il peut faire repentance, c’est-à-dire teschouva, comme on le lit au début du livre du Deutéronome :
Là-bas, vous servirez des dieux, ouvrages de mains humaines, en bois et en pierre, qui ne voient pas, n’entendent pas, ne mangent pas, ne sentent pas. Alors, de là-bas, tu rechercheras le Seigneur ton Dieu, et tu le trouveras si tu le cherches de tout ton cœur et de toute ton âme. Quand tu seras dans la détresse, quand tout cela te sera arrivé, dans la suite des temps, tu reviendras (shoûv) alors jusqu’au Seigneur ton Dieu et tu écouteras sa voix. Car le Seigneur ton Dieu est un Dieu miséricordieux.
Le prophète Joël lance le même appel : « Revenez (shoûv) à moi de tout votre cœur (…) Déchirez vos cœurs, non vos vêtements et revenez (shoûv) au Seigneur, votre Dieu : Il est bienveillant et miséricordieux (…) » (2,12-13).
Cette demande de pardon qu’est la repentance ne peut donc être « l’ostentation d’une feinte humilité », pour citer l’avertissement de Jean-Paul ii, ce qui renvoie aux « hypocrites » que Jésus appelle vigoureusement à la conversion (cf. Mt 23,13-36), en contraste avec Nathanaël qui est « sans ruse » (cf. Jn 1,47). La demande véritable de pardon trouve toute sa force dans la confession inébranlable du nom de Dieu, le « miséricordieux », Lui qui invite à « revenir » vers Lui dans une sincère conversion pour Lui obéir et emprunter un chemin d’avenir, conforme à sa sainte volonté. Faire ainsi cette confession, c’est se mettre sous la miséricorde divine pour en recevoir le salut. L’acte de repentance est tout autant humilité qu’espérance en Dieu pour qu’avec Lui, le vrai bien soit accompli.
La Commission théologique internationale le précise avec netteté :
Le processus complet de purification de la mémoire, en tant qu’il requiert une combinaison correcte de l’évaluation historique et du regard théologique, doit être vécu par les fils de l’Église non seulement avec une rigueur tenant compte des critères et des principes indiqués, mais aussi en invoquant l’assistance du Saint-Esprit, afin de ne pas tomber dans le ressentiment ou dans l’autoflagellation ; il s’agit de parvenir à confesser le Dieu dont « la miséricorde va de génération en génération » (Lc 1,50), qui désire la vie et non la mort, le pardon et non la condamnation, l’amour et non la crainte. Il faut ici mettre en évidence le caractère d’exemplarité que le fait d’admettre honnêtement les fautes passées peut exercer sur les mentalités, dans l’Église et dans la société civile. Cela demande un engagement renouvelé d’obéissance à la Vérité et, par conséquent, de respect pour la dignité et les droits des autres, surtout des plus faibles. En ce sens, les nombreuses demandes de pardon formulées par Jean-Paul ii constituent un exemple qui met en évidence un bien et en stimule l’imitation29.
VIII Vivre une fraternité, signe du salut
Or, quel est le bien à vivre selon la volonté de l’Éternel, notre Dieu ? Toute la Révélation manifeste que Juifs et chrétiens sont « frères à l’évidence », pour reprendre le titre de mon dialogue avec Jean-François Bensahel30.
N’est-il pas vrai que les chrétiens reçoivent intégralement les Écritures d’Israël, qu’ils bénissent le Très-Haut en l’appelant « Dieu d’Israël », qu’ils sont appelés à être disciples du Messie d’Israël et que leur foi vient des douze apôtres de ce Messie qui sont tous juifs ? Chrétiens et Juifs sont appelés à vivre de la même injonction : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces » (Dt 6,5 ; Mt 22,37), et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18 ; Mt 22,39). Ils attendent ensemble la venue en gloire du Messie d’Israël qui établira la paix dans la justice et l’unité. Avant qu’Il ne vienne, ils sont conviés à agir ensemble pour qu’à la lumière de la Torah et des prophètes, ils aident leurs contemporains à vivre en toute justice et respect envers l’homme et la femme qui sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, et à qui est confiée la planète pour qu’elle soit gardée et cultivée.
De fait, on pourrait dire que de l’antique tronc du peuple d’Israël, le Peuple élu avec sa Loi et son culte reçus de Dieu, sont sorties deux interprétations suite à la destruction du Temple de Jérusalem en 70 : d’une part, celle des Juifs pharisiens qui, grâce à l’Académie de Jabneh en 90, ont recueilli la lumière de la Loi pour qu’elle soit vécue de façon synagogale, et d’autre part, celle des apôtres juifs éclairés par la lumière de Jésus, mort et ressuscité. Quelles discussions passionnées cela n’a-t-il pas entraîné dans les communautés juives de Judée et de la diaspora au cours des années 30 à 90 durant le premier siècle (cf. Ac 25,19) !
Était-il pensable que ces discussions s’instaurent entre « frères » (cf. Ac 15,23) appelés par Dieu lui-même à vivre une fraternité particulière en raison même de son dessein de salut, malgré la différence fondamentale au sujet de Jésus de Nazareth ? Mais ceux qui finirent par s’appeler « chrétiens » (Ac 11,26) furent exclus de la synagogue en raison de leur refus d’appliquer certains préceptes de la Loi de Moïse, en particulier la circoncision, tandis qu’eux-mêmes, trop influencés par les païens devenant disciples de Jésus, ne comprirent plus leurs frères et sœurs judéo-chrétiens et finirent par oublier la racine juive de leur foi.
Une fissure – la Déclaration de repentance parle de « divorce31 » – s’est opérée et elle n’a cessé de grandir au long des siècles à tel point qu’un antijudaïsme théologique s’est transmis de génération en génération au long des siècles dans l’Église et parmi les chrétiens. Cet antijudaïsme a « paganisé » le Christ, selon la pensée de Jean-Marie Lustiger, en forgeant dans les esprits chrétiens l’oubli (ou le « refus ») dramatique de l’Élection d’Israël et de Jésus, « tel qu’il se donne », lui, le Messie d’Israël32.
La Déclaration de repentance des évêques de France souligne que cet antijudaïsme n’est pas sans lien avec la « faute historique » pour laquelle l’Église a fait repentance le 30 septembre 1997 à Drancy.
IX Octobre 1940 – Juin 1941
Cet acte de repentance a donc été mûri au printemps de l’année 1997. C’est ainsi que le 11 juillet 1997, Serge Klarsfeld écrit au Cardinal Jean-Marie Lustiger en s’adressant amicalement à lui : « Éminence, cher Aron Lustiger. » En effet, un lien d’amitié s’était noué depuis plus de vingt ans entre eux, selon la confidence que fait le Cardinal au père Jean Dujardin à qui, le 15 juillet, il transmet la lettre que lui adresse Serge Klarsfeld : « Nous nous sommes connus et retrouvés au temps où j’étais son curé ; il habite en effet presqu’en face de l’église Ste Jeanne de Chantal. (…) Ainsi vont les desseins de la Providence33. »
Que dit donc Serge Klarsfeld à l’Archevêque de Paris ? Il vaut la peine de lire sa lettre34 :
Membre du Comité Exécutif du crif, j’ai appris que l’Église catholique de France engageait un effort de purification de mémoire et de réconciliation mutuelle avec la communauté juive. Cet effort ne doit pas se fonder sur une vision myope et superficielle conduisant à une autoflagellation tourmentée. Je soumets à votre appréciation collective l’étude que j’ai faite et dont le moteur était la recherche de la vérité et elle seule. Le rôle des Églises catholique et protestante dans la sauvegarde de ¾ des juifs de France a été déterminant, conjugué qu’il était avec la réaction profonde de la population chrétienne face aux persécutions qui frappaient les familles juives ; c’est-à-dire à partir de l’été 1942. La grande faute de l’Église catholique se situe pendant l’été 1940 et en 1941 quand elle emboîta le pas aux dirigeants de Vichy et contribua à faire des Juifs le bouc émissaire de la défaite. Dans cette phase initiale marquée par le Statut des Juifs, il doit y avoir contrition et non pour la phase qui a succédé, celle du temps des rafles des familles. Ce serait insulter la vérité que de se repentir sans raison valable et d’agir ainsi.
Ne pas avoir discerné que par la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs, « on entrait dans un engrenage fatal » conduisant à l’extermination des Juifs de France, fut une « lourde erreur », constate le père Henri de Lubac35.
Cette loi, on le sait, a été remplacée par une loi du 2 juin 1941 qui établit le second statut des Juifs. Celle-ci sera appliquée dès avril 1942 et surtout à partir de son Décret d’application daté du 6 juin 1942. Parallèlement, une ordonnance du Préfet de Paris en date du 29 mai 1942, imposée par les Allemands pour la zone occupée, oblige tout Juif à porter « l’étoile des Juifs » dont les caractéristiques sont soigneusement décrites : elle doit être jaune. Cette ordonnance, qui prend effet dès le 7 juin 1942, prévient que « les Autorités allemandes précisent que la date d’entrée en vigueur doit être rigoureusement respectée ». Il y est aussi mentionné que « des mesures de police, notamment le transfert dans un camp de Juifs, peuvent être ordonnées ». La première grande rafle fut celle du Vélodrome d’Hiver à Paris, les 16 et 17 juillet 1942. La majorité des Juifs qui y furent internés furent transférés au camp de Drancy.
On sait quelles réactions publiques ont entraînées ces rafles. Mgr Jules Saliège36, archevêque de Toulouse, aidé par le père Henri de Lubac qui est allé à Toulouse pour « obtenir » de lui un texte malgré « sa paralysie quasi-totale de ce jour-là37 », put rédiger une déclaration le 23 août 1942, « à lire dimanche prochain sans commentaire » dans toutes les églises de son diocèse. Il fut suivi par Mgr Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban, le 30 août 1942. Puis, ce fut la lettre du Cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon, qui fut lue le 6 septembre 1942 dans les églises de son diocèse. La Déclaration de repentance mentionne trois autres évêques38.
Mais bien avant août-septembre 1942, au moment de la loi portant « statut des Juifs » d’octobre 1940, pourquoi un tel silence des évêques ? Ce statut devint encore plus dur par la loi du 2 juin 1941. Quelle fut alors la réaction des évêques ?
L’assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, au moins celle de la zone occupée, se réunit les 24 et 25 juillet 1941. Bien que cette réunion ait lieu en zone occupée, le Cardinal Gerlier y est présent. Ces Cardinaux et Archevêques ont eu très vraisemblablement connaissance de deux textes39 rédigés par des théologiens catholiques à la suite de ce second « statut des Juifs » de 1941.
D’une part, il y a le projet de Déclaration de la Faculté de théologie de Lyon, datée du 17 juin 1941. Il semble que le Cardinal Gerlier a approuvé ce texte. En son 6e paragraphe, on lit ceci :
L’Église ne saurait oublier que les Israélites sont les descendants de ce peuple dont elle est le terme, de ce peuple dont est issu le Christ, notre Sauveur, et la Vierge Marie, et les Apôtres ; qu’ils ont en commun avec nous les livres de l’Ancien Testament dont nous lisons les pages inspirées dans notre liturgie (…). Aussi ne voulons-nous pas paraître approuver, fût-ce par notre silence, une propagande injurieuse pour les Israélites.
L’argumentation n’est pas simplement tirée du respect de la dignité humaine, mais est proprement théologique.
D’autre part, il y a un texte40 du jésuite, le père Michel Riquet, daté du 11 juillet 1941, dont la grande argumentation est celle de la charité. Il précise d’emblée que « la loi du 2 juin 1941 nous paraît un scandale pour la conscience chrétienne aussi bien qu’un défi à l’intelligence française ». Le père Riquet, évoquant « 5000 Juifs étrangers » internés « sans préavis », en appelle « à la vérité et à la charité » ; il en déduit :
Ce qui étonnerait les chrétiens et scandaliserait les non-chrétiens, c’est qu’un tel abus ne se heurte à aucune protestation d’un épiscopat qui, pendant des années, n’a cessé de revendiquer la liberté religieuse dans le droit commun. L’approbation tacite de cette injuste oppression des consciences (qui ne dit mot consent) afflige aujourd’hui un grand nombre de jeunes chrétiens. Elle déconsidère l’Église (…).
Malgré ces deux textes, le procès-verbal de cette réunion ne porte aucune mention du statut fait aux Juifs, ni d’ailleurs d’une discussion sur l’un ou l’autre de ces deux textes. Ce 24 juillet 1941, les Cardinaux et Archevêques ont signé une déclaration publique qui a deux parties.
Ils attirent d’abord l’attention sur « le redressement social, moral et religieux du Pays ». Pour cela, il est nécessaire de « sauvegarder la pureté et l’intégrité des forces vives de l’Église » que sont « le Dépôt de la Foi », « nos Écoles », « l’Enseignement Religieux » dans le public avec la création d’une « Commission Nationale du Catéchisme », et enfin, « l’Action Catholique » : « Si des voix s’élevaient pour réclamer la disparition de ces Mouvements, nous serions obligés de protester de toutes nos forces contre ce qui nous paraîtrait inévitablement être un attentat à l’âme de la France41. » Mais de protestation contre le statut des Juifs, il n’est pas question !
Dans une seconde partie, ils évoquent la « contribution de l’Église au redressement national » et, pour cela, affirment en premier : « Nous voulons que, sans inféodation, soit pratiqué un loyalisme sincère et complet envers le Pouvoir établi42. » Puis après avoir énuméré les divers apports de l’Église, « nous voulons insister en terminant sur la nécessité et le bienfait d’un franc réalisme de source chrétienne (…). Comme il est nécessaire de le pratiquer et de l’enseigner, ce réalisme chrétien ! » Pas une fois, le mot « juif » ou « israélite » n’apparaît !
Cette absence est en droite ligne avec le compte-rendu de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques, qui, réunie à Lyon le 31 août 1940, « décide de se taire43 », selon le propos de Serge Klarsfeld.
Voilà le « silence » sur lequel notre Déclaration de repentance porte ! Celle-ci conclut ainsi : « Aujourd’hui nous confessons que ce silence fut une faute. »
X Au nom de l’amitié
Faire repentance en raison de cette « faute », c’est confesser le saint nom de Dieu et se fier, le cœur contrit, à sa miséricorde ; c’est reconnaître le « lien » particulier qui unit « spirituellement » l’Église catholique au peuple juif ; c’est décider de marcher conformément à ce « lien » qui est voulu par Dieu et qui nous fait reconnaître que les Juifs sont des « frères aimés dans la foi44 » ; c’est s’engager humblement et résolument dans « une fraternité à fortifier et à vivre45 » ; c’est comprendre que « le dialogue et l’amitié avec les fils d’Israël font partie de la vie des disciples de Jésus46 ».
Si le projet de Déclaration de la Faculté de théologie de Lyon de 1941 avait une argumentation théologique, l’Église a depuis développé sa compréhension théologique du « lien » qui l’unit spirituellement au peuple juif. En raison de ce « lien », le silence des chrétiens par rapport à l’antisémitisme n’est plus possible ni tolérable. Il violerait le dessein de Dieu. Il trahirait l’engagement pris devant Dieu par la Déclaration de repentance.
Enfin, un tel silence renierait la foi de l’Église, telle qu’elle est énoncée par le paragraphe 4 de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate, et par l’enseignement magistériel qui en a découlé. Il briserait l’amitié entre chrétiens et Juifs, qui a pourtant tant de raisons d’exister, selon le propos du pape François qui la justifie en écrivant ceci :
Un regard très spécial s’adresse au peuple juif, dont l’Alliance avec Dieu n’a jamais été révoquée, parce que « les dons et les appels de Dieu sont sans repentance » (Rm 11,29). L’Église, qui partage avec le Judaïsme une part importante des Saintes Écritures, considère le peuple de l’Alliance et sa foi comme une racine sacrée de sa propre identité chrétienne
Si par malheur nous revenions à un tel silence, alors nous devrions à nouveau entendre du peuple juif, à travers ses saintes Écritures qui sont aussi celles des chrétiens, le vigoureux appel des prophètes à laisser nos idoles par lesquelles nous « paganisons » le Christ et demeurons aveuglés sur l’alliance à laquelle Dieu – le Dieu d’Israël – est fidèle envers son Peuple. Car ce n’est pas seulement « avec [les Juifs]48 » que nous écoutons sa Parole, mais c’est aussi par eux, pour notre bonheur et notre salut.
Notes de bas de page
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1 Conférence donnée à Colmar dans le cadre des Amitiés judéo-chrétiennes sur la Déclaration de repentance du 30 septembre 1997. Ce texte en garde le style oral.
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2 Drancy, on le sait, fut la ville où se trouva le principal camp d’internement puis de déportation des Juifs à partir d’août 1941 jusqu’en août 1944.
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3 On trouve la « Déclaration de repentance des évêques de France » dans Doc. cath. 94 (19 oct. 1997), p. 870-872.
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4 Voir P. d’Ornellas, « Jules Isaac, un génie providentiel. La vérité historique, l’indispensable servante de la foi », SENS 437 (juil.-août 2021), p. 294-324.
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5 « Mysterium Ecclesiae perscrutans », est-il écrit. Ceci renvoie à la Constitution Lumen gentium promulguée le 21 nov. 1964, dont le 1er chapitre s’intitule : « De Ecclesiae mysterio ». Il est donc nécessaire de lire ce chapitre à la lumière de l’apport du §4 de la Déclaration Nostra Aetate promulguée 11 mois plus tard.
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6 Cf. J. Isaac, L’enseignement du mépris, Fasquelle, 1962, p. 7.
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7 Voir les annexes x à xix de J. Dujardin, L’Église catholique et le peuple juif. Un autre regard, Paris, Calmann-Lévy, 2003. Pour la France, j’ajoute deux textes récents : « Déclaration pour le Jubilé de fraternité à venir » du 23 nov. 2015, remise par Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, au Card. André Vingt-Trois, archevêque de Paris et Président de la Conférence des évêques de France ; « Déclaration fraternelle du protestantisme au judaïsme. Cette mémoire qui engage », du 4 déc. 2017.
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8 Jean xxiii, Discours du 23 déc. 1960, cité par Le Monde du 24 déc. 1960.
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9 Audience du 1er sep. 1999.
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10 Mgr O. de Berranger, « Genèse de “la déclaration de repentance des évêques de France” (30 septembre 1997) », Revue d’histoire de la Shoah 192 (2010/1), p. 447-459, ici p. 459.
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11 Mme Giselle Lustiger, la mère du Card. Lustiger, a été arrêtée le 10 sep. 1942, pour infraction au port de l’étoile jaune, et internée à Drancy avant d’être mise dans un convoi à destination du camp d’extermination d’Auschwitz où, comme beaucoup d’autres Juifs, elle fut gazée ; sa mort est advenue en février 1943. Voir l’article de J.-M. Guénois dans lefigaro.fr du 4 avr. 2012.
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12 Responsable du Secrétariat national pour les relations avec le judaïsme, au sein de la Conférence des Évêques de France. Cette note se trouve dans les archives de l’Institut Jean-Marie Lustiger.
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13 Conseil Représentatif des Institutions Juives de France.
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14 Décret no 93-150 du 3 fév. 1993. Le 16 juil. 1995, le Président de la République, M. Jacques Chirac, prononça un discours fameux dans lequel il reconnut que « la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. (…) Reconnaître les fautes du passé et les fautes par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. »
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15 Effectivement, M. Lionel Jospin prononça un grand discours : « Infamie, que la politique antisémite qui précéda, prépara et inspira la rafle du “Vel d’Hiv” et tant de crimes contre l’esprit et contre les personnes. Cette rafle fut décidée, planifiée et réalisée par des Français. (…) Pas un soldat allemand ne fut nécessaire à l’accomplissement de ce forfait. (…) Par cette journée, nous observons le “devoir de mémoire”. Je crois en ce devoir. J’y vois une exigence républicaine. Comme le soulignait, avec tant de force, Élie Wiesel : “Oublier, c’est se choisir complice.” Nous ne voulons pas oublier. (…) Nous savons à quel point le travail des historiens est essentiel. Ce sont eux qui, jour après jour, par leurs recherches et leurs publications, livrent un combat fondamental pour la vérité, contre les “assassins de la mémoire”. (…) “Souviens-toi !”, “N’oublie pas !”. Ces prescriptions immémoriales doivent nous inspirer. »
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16 Archives de l’Institut Jean-Marie Lustiger.
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17 À ce moment, le p. Georges Cottier travaillait à la notion de « conversion » à laquelle le pape Jean-Paul ii tenait particulièrement. Voir G. Cottier, « L’Église en face de la conversion : le fruit le plus significatif de l’Année sainte », dans Conseil de présidence du Gand Jubilé de l’An 2000, Tertio Millennio adveniente. Commentaire théologique et pastoral. Introd. par le Cardinal R. Etchegaray, Paris, Mame, 1996, p. 117-127.
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18 Propos du Grand Rabbin René Gutman, publié dans les Dernières nouvelles d’Alsace, 2 oct. 1997.
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19 Effectivement, la Commission pour les relations religieuses avec le Judaïsme, présidée par le Card. Edward Cassidy, publia le 16 mars 1998 : Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah. Ce texte est précédé d’un message du pape Jean-Paul ii, daté du 12 mars 1998, par lequel il exprime son « souhait fervent » par rapport à ce document : « Puisse-t-il permettre à la mémoire de jouer le rôle qui lui revient dans l’édification d’un avenir où jamais plus l’indicible injustice de la Shoah ne sera possible. » Dans ce message, il se réfère au Jubilé de l’An 2000 que l’Église va vivre : « C’est pourquoi, elle encourage ses fils et ses filles à purifier leur cœur, à travers le repentir pour les erreurs et les infidélités du passé. Elle les appelle à se placer humblement face au Seigneur et à examiner leur part de responsabilité dans les maux de notre temps. » Ce texte du Vatican ne vise pas des actes particuliers comme le fait la Déclaration de Drancy. En effet, il s’adresse aux catholiques du monde entier et à tout homme de bonne volonté, pour leur offrir une forte méditation sur « la tragédie de la Shoah et le devoir de mémoire » et sur « l’histoire des relations entre juifs et chrétiens qui a été tourmentée » et dont « le bilan au cours de ces 2000 ans a été plutôt négatif » ; il se conclut ainsi : « Se rappeler de cette terrible expérience, c’est devenir pleinement conscient de l’avertissement salutaire qu’elle contient : jamais plus il ne faudra permettre aux semences empoisonnées de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme de s’enraciner dans le cœur humain. »
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20 Le 1er dimanche de Carême, le 12 mars 2000, à Rome, Jean-Paul ii prêche ceci : « L’un des éléments caractéristiques du Grand Jubilé réside dans ce que j’ai qualifié de “purification de la mémoire” (bulle Incarnationis mysterium 11). Comme Successeur de Pierre, j’ai demandé qu’“en cette année de miséricorde, l’Église, forte de la sainteté qu’elle reçoit de son Seigneur, s’agenouille devant Dieu et implore le pardon des péchés passés et présents de ses fils” (ibid.). » 14 jours plus tard, le 26 mars à Jérusalem, Jean-Paul ii déposa dans le Mur Occidental du Temple sa prière de demande de pardon pour « ceux qui, au cours de l’histoire, ont fait souffrir » les Juifs.
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21 Voir les circonstances de ce communiqué dans J.-L. Garin, G. Hugot, « Le cardinal et le petit garçon à la casquette. Sur le cardinal Albert Decourtray », Revue d’Histoire de la Shoah 192 (2010/1), p. 423-432.
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22 Ibid.
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23 Ibid.
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24 Audience du 1er sep. 1999.
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25 Lettre apostolique Tertio Millenio Adveniente 32-33 (10 nov. 1994).
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26 Audience du 1er sep. 1999.
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27 Commission théologique internationale, Mémoire et réconciliation. L’Église et les fautes du passé, Paris, Cerf, 2000, p. 62.
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28 Ibid., p. 59.
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29 Commission théologique internationale, Mémoire et réconciliation… (cité n. 27), p. 69. Sans doute la Commission théologique internationale pense-t-elle, entre autres, à la Déclaration de repentance des évêques de France quand, à propos des « préjugés antijuifs, présents dans les esprits et les cœurs de certains chrétiens » pour lesquels « un acte de repentir (teshuva) » est exigé, elle écrit : « Dans ce domaine, tout ce qui a déjà été fait pourra être confirmé et approfondi » (ibid., p. 77).
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30 J.-F. Bensahel, P. d’Ornellas, Juifs et chrétiens, frères à l’évidence. La paix des religions, Paris, Odile Jacob, 2015.
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31 « La “séparation originelle” surgie dans la seconde moitié du ier siècle a conduit au divorce, puis à une animosité et une hostilité multiséculaire entre les chrétiens et les juifs. »
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32 Cf. J.-M. Lustiger, La promesse, coll. Essais de l’École Cathédrale, Les Plans-sur-Bex, Parole et Silence, 2002, p. 75 et 81 : « Refus du Christ tel qu’il se donne, haine de l’Élection telle que Dieu la donne. C’est le test du mensonge dans la fidélité à l’égard de Dieu. C’est donc le péché. (…) Le péché auquel ont succombé les pagano-chrétiens, que ce soit les hommes d’Église ou les princes ou les peuples, fut de s’emparer du Christ en le défigurant, puis de faire leur dieu de cette défiguration. »
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33 Archives de l’Institut Jean-Marie Lustiger. Dans sa lettre du 15 juil. 1997 au p. Jean Dujardin, l’Archevêque de Paris précise à propos de la lettre de Serge Klarsfeld : « Sa lettre me paraît très intéressante et significative. Il y joint de larges extraits de son volume : “Le calendrier de la persécution des juifs de France”. Si vous ne disposez pas du volume, je vous expédierai les photocopies par la poste. » Voir S. Klarsfeld, Le calendrier de la persécution des Juifs en France. 1940-1944, édité et publié par l’association « Les Fils et Filles des Déportés Juifs de France » et par « The Beate Klarsfeld Foundation », juillet 1993. Qui deviendra en 2001, Le calendrier de la persécution des Juifs de France, dont le tome 1 relate la période « 1er juillet 1940 – 31 août 1942 », publié chez Fayard. Selon Le calendrier de 1993, entre octobre 40 et juillet 41, les autorités juives adressent plusieurs protestations au Maréchal Pétain ou à son Gouvernement : 10 et 22 oct. 1940, Isaïe Schwartz, Grand Rabbin de France ; 23 oct., Julien Weil, Grand Rabbin de Paris ; 21 avril et 30 mai 1941, Consistoire central des Israélites de France ; 1er juil., le président du Consistoire écrit encore une lettre au Maréchal, où on lit ceci : « La Bible est le seul livre saint des Israélites : son enseignement est-il donc pernicieux quand il est suivi par eux, alors qu’il est considéré comme l’expression de la parole divine pour les Chrétiens puisque sous le nom d’“Ancien Testament”, il est un des livres sacrés des Églises catholique et protestante ? » Une seule lettre chrétienne, datée du 26 mars 1941, signée du pasteur Marc Bœgner, exprime explicitement son soutien au Grand Rabbin de France : « Le Conseil national de l’Église réformée de France (…) m’a chargé de vous exprimer la douleur que nous ressentons tous (…) ».
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34 Cette lettre ne se trouve pas dans les archives de l’Institut Jean-Marie Lustiger, mais dans le fonds Jean Dujardin qui a été versé au Centre national des archives de France.
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35 H. de Lubac, Résistance chrétienne à l’antisémitisme. Souvenirs 1940-1944, Paris, Fayard, 1988, p. 55.
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36 Dès le 15 avril 1933, au Capitole à Toulouse, Mgr Saliège avait déjà exprimé son analyse de l’antisémitisme inhérent au nazisme, ainsi que sa souffrance devant les « persécutés » : « Les Israélites me comprendront, et d’autres encore. Je ne saurais oublier que la tige de Jessé a fleuri en Israël et y a donné son fruit. La Vierge, le Christ, les premiers disciples étaient de race juive. Comment voulez-vous que je ne me sente pas lié à Israël comme la branche au tronc qui l’a portée ! » Voir H. de Lubac, Résistance chrétienne à l’antisémitisme (cité n. 35), p. 160-161.
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37 Cf. ibid., p. 167-168 ; voir aussi H. de Lubac, Mémoire sur l’occasion de mes écrits, Culture et vérité, 1989, p. 50.
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38 Mgr Jean Delay, évêque de Marseille ; Mgr Jean-Joseph Moussaron, archevêque d’Albi ; Mgr Edmond Vansteenberghe, évêque de Bayonne.
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39 Ils sont publiés en entier dans Résistance chrétienne à l’antisémitisme (cité n. 35), p. 69-73.
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40 Le p. de Lubac précise que le p. Riquet a fait remettre son texte au « bureau parisien des archevêques » le 11 ou le 12 juillet, dans Résistance chrétienne à l’antisémitisme (cité n. 35), p. 71 et 78.
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41 Voir La Semaine religieuse du diocèse de Rennes, 77e année, 9 août, no 32, p. 499-501.
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42 Ce 24 juillet 1941, les Cardinaux et Archevêques écrivent une lettre à Pie xii pour commenter cette Déclaration ; ils y précisent leur attitude : « Loyalisme sincère sans inféodation, abstention de toute politique de parti. » Déjà auparavant, dans le compte-rendu d’une réunion du 6 février 1941, à l’archevêché de Lyon où se trouvent 13 évêques de la zone libre « sous la présidence de Son Éminence le Cardinal Gerlier », on lit : « L’A. est unanime à se rallier à la déclaration de l’A. de Paris, donnant au clergé des avis précieux sur son attitude dans les circonstances actuelles, notamment sur la nécessité d’un loyalisme sincère envers les pouvoirs établis. » Dans un « Mot » personnel, le Card. Clément-Émile Roques, archevêque de Rennes, vient conforter les fidèles qui lui « demandent de préciser si, au milieu du désarroi général, une attitude définie s’impose en face du Pouvoir et singulièrement à l’égard du Gouvernement actuel de la France personnifié par le Maréchal Pétain ». La réponse reprend l’affirmation de la Déclaration du 24 juil. sur le « loyalisme sincère et complet », en le justifiant par les « principes de l’Évangile et de la doctrine de l’Église ». L’archevêque de Rennes s’appuie sur un auteur (Louis Capéran, docteur en théologie, directeur au Grand Séminaire de Toulouse) pour justifier ce loyalisme. Il termine ainsi : ce loyalisme envers les pouvoirs établis est possible « à la condition, cependant, qu’ils ne commandent rien de contraire au droit naturel, à la religion ou à la morale ; car, dans ce cas, l’autorité des princes est sans valeur et il faut “obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes” (Ac 5,29). » Voir La Semaine religieuse du diocèse de Rennes (cité n. 41), p. 563-564. Pourtant le « statut des Juifs » ne commande-t-il pas le contraire de ce qu’exigent la religion, la morale et le droit naturel ?
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43 Voir Le calendrier de la persécution des Juifs en France (cité n. 33), p. 20. Du procès-verbal de cette réunion du 31 août 1940, Serge Klarsfeld cite un large extrait qui commence ainsi : « Des dispositions graves seront sans doute décidées prochainement contre les Juifs. » Cependant, aux yeux des Cardinaux et Archevêques présents, ce statut des Juifs semble justifié lorsque ceux-ci sont « des gens inassimilés », pourvu que « ce statut s’inspire des règles de la justice et de la charité ».
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44 Benoît xvi, Discours devant les représentants de la Communauté juive à Paris, 12 sep. 2008.
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45 Ibid.
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46 François, Exhortation La joie de l’Évangile 248 (24 nov. 2013).
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47 Ibid. 247.
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48 Ibid. Il est écrit « avec eux », en signifiant « les Juifs ».