C’est une question dont on ne parle plus guère depuis le changement de siècle. Dans les années qui ont suivi le concile, par contre, on a vu proliférer la production de livres proposant des prières en langues vivantes, destinées ou non à la liturgie. La surprise causée par la traduction des oraisons latines dans les langues vernaculaires a suscité à ce moment de nombreuses créations. Un des premiers auteurs, et des plus emblématiques, fut Huub Oosterhuis, à l’époque jésuite hollandais1. En français, on retiendra particulièrement les œuvres de Didier Rimaud, poète et jésuite lui aussi, Les arbres dans la mer et Des grillons et des anges2.
On a le sentiment que cette vogue est aujourd’hui terminée. Est-ce parce que ces pionniers nous ont appris à prier dans nos langues respectives ? Ou la production est-elle jugée suffisante, et chaque groupe s’est-il installé dans ses habitudes ? Ou serait-ce par dépit, ou découragement ? Le lecteur qui poursuivra la lecture de cet article comprendra quelle est la position de son auteur en ce domaine.
Le champ d’analyse sera limité ici aux trois oraisons de la célébration eucharistique : la prière d’ouverture de la messe, la prière sur les offrandes et celle après la communion. On n’envisagera donc ni la prière des psaumes ni la liturgie des heures, ni même la prière eucharistique, sinon pour dire d’entrée de jeu l’urgence qu’il y aurait à travailler celle-ci jusqu’en ses profondeurs ; car si elle est sans conteste le cœur de l’Eucharistie, sa compréhension et sa pratique restent fortement marquées par l’analyse scolastique qui en a été faite, en dépit de sa dynamique fondamentale. À preuve le nombre de célébrations où le Sanctus apparaît comme une rupture entre ce qui précède et ce qui suit3, sans parler des célébrants qui se croient autorisés à faire la fraction au moment du récit d’institution, alors qu’on se trouve dans l’action de grâce… et que le chant de l’Agneau de Dieu n’est pas omis en ce cas, alors que sa fonction est d’accompagner la fraction4 !
Nous commencerons par jeter un coup d’œil sur l’héritage qui nous a été transmis en ce domaine, pour nous mettre ensuite à l’écoute des critiques formulées à propos des oraisons du missel actuel ; nous analyserons la structure de ces prières et leur signification dans la dynamique de la messe ; nous relèverons alors les traits spécifiques du langage liturgique et terminerons par quelques notes sur la théologie de la prière liturgique.
I L’héritage
Disons d’emblée que nous héritons d’un trésor5. Remarquons d’abord que les liturgies d’Occident sont les seules à disposer de ces pièces, différentes pour chaque formulaire de messe ; elles sont le plus souvent au nombre de trois : oraisons d’entrée, d’offrande et de communion. Dans les liturgies orientales, les prières de ce genre sont chaque jour identiques. Une récente édition des oraisons occidentales (non exclusivement romaines) ne compte pas moins de 14 forts volumes6 ! Et de nombreux grands liturgistes du passé ont consacré des commentaires à ces prières, tels Dom Guéranger, dans son Année liturgique7, ou Dom Capelle, l’ancien abbé de l’abbaye du Mont César8. Les oraisons du missel actuel ont fait l’objet elles aussi d’études approfondies9.
Quelques perles
Parmi ces oraisons se trouvent des splendeurs. Citons-en quelques-unes, en guise d’ouverture. D’abord une des plus théologiques, une oraison sur les offrandes située depuis la réforme conciliaire au Jeudi saint :
Seigneur, accorde-nous la grâce de vraiment participer à cette eucharistie car chaque fois qu’est célébré ce sacrifice en mémorial, c’est l’œuvre même de notre Rédemption qui s’accomplit.
Son vocabulaire est théologique, bien sûr, avec des termes comme mémorial et rédemption. Mais sa force réside dans l’affirmation de la présentification de l’action de Jésus, autre manière de clamer l’aujourd’hui si caractéristique de la liturgie. Située en introduction de la prière eucharistique du Jeudi saint, cette affirmation prend une force étonnante ! Si nous pouvions l’entendre, l’écouter, la méditer…
Écoutons aussi une des « collectes », les plus connues, celle du jour de Noël :
Père, toi qui as merveilleusement créé l’homme et plus merveilleusement encore rétabli sa dignité, fais-nous participer à la divinité de ton Fils, puisqu’il a voulu prendre notre humanité.
Cette oraison est l’œuvre de saint Léon le Grand, ou du moins fortement inspirée par lui. Son balancement littéraire a une force théologique étonnante : en deux lignes sont tissés les liens entre la création et la recréation de l’humanité, entre les deux natures du Christ, comme entre notre condition de créature et notre dignité d’enfants de Dieu, participants à la divinité du Christ. Il faut faire remarquer que si les mots ne proviennent pas directement de l’Écriture, les idées sont foncièrement bibliques, ce qui est une caractéristique des oraisons latines. Depuis Vatican II, sa finale est reprise par le prêtre à chaque Eucharistie, lors de la préparation des dons.
Le 27ème dimanche de l’année, pour sa part, est bien pourvu ; il comporte deux oraisons particulièrement riches de sens. À l’ouverture, on prie comme ceci :
Dans ton amour inépuisable, Dieu éternel et tout-puissant, tu combles ceux qui t’implorent bien au-delà de leurs mérites et de leurs désirs ; répands sur nous ta miséricorde en délivrant notre conscience de ce qui l’inquiète et en donnant plus que nous n’osons demander.
Et après la communion :
Accorde-nous, Seigneur notre Dieu, de trouver dans cette communion notre force et notre joie afin que nous puissions devenir ce que nous avons reçu : le corps du Christ.
La finale hausse considérablement la signification de la « communion », si souvent accomplie de manière individuelle, sinon individualiste. Ici, la finalité en est clairement énoncée : la communion eucharistique fait la communauté chrétienne !
Citons encore une oraison où le génie des traducteurs francophones a atteint l’excellence :
Seigneur tout-puissant et miséricordieux, ne laisse pas le souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton Fils, mais éveille en nous cette intelligence du cœur qui nous prépare à l’accueillir et nous fait entrer dans sa propre vie (2ème dimanche de l’Avent).
Un exemple historique
Le génie des oraisons romaines tient à plusieurs facteurs. Et d’abord à leur extrême concision ; dans toutes les langues où elles ont été traduites, la formulation nouvelle est plus longue que l’original. Ceci attire l’attention sur la redoutable difficulté de ces traductions ; on y reviendra. Une autre qualité tient à leur caractère universel : la plupart d’entre elles, même celles qui sont nées en des circonstances très précises, peuvent être priées en des contextes radicalement différents, sans que l’on s’en aperçoive.
Cette dernière caractéristique est magnifiquement illustrée par les oraisons dues au pape Vigile lors du siège de Rome par les Goths, de juillet 537 au 27 juin 538. Dans un article remarquable, A. Chavasse a naguère restitué en son contexte ces messes que l’on trouve dans le sacramentaire de Vérone10, un ancêtre de notre Missel actuel. De manière surprenante, ces oraisons, écrites pour la liturgie dominicale de la communauté chrétienne de Rome par son Pasteur, nous permettent de suivre les évolutions de cette guerre que nous rapporte par ailleurs l’historien Procope. Lorsque les armées ennemies sont au pied des murs de la ville, on lève les bras au ciel, pour s’exclamer, par exemple :
Sois présent à nos supplications, Seigneur ; et puisque nous mettons notre confiance dans les intercessions des apôtres, fais que nous ne soyons troublés ni par les menaces des adversaires ni par aucune autre attaque11.
Lorsque enfin les Goths abandonnent le siège, le 11 avril 538, 1er dimanche après Pâques, on peut prier en ces termes :
Nous proclamons ta grandeur, Seigneur, en te suppliant avec insistance : toi qui nous as débarrassés des ennemis qui nous menaçaient, libère-nous aussi de nos péchés ; ainsi tu nous accorderas des bienfaits plus grands encore, et tu nous feras obéir à tes commandements12.
On peut apprécier la manière dont l’auteur de ces oraisons colle à l’actualité la plus brûlante, tout en insérant dans la prière la mention d’un autre ennemi, le péché, qui se chasse moins facilement. Jouant sur les deux sens de l’ennemi, militaire et spirituel, ces oraisons parviennent à formuler la prière d’une façon qui fait allusion aux circonstances concrètes d’une ville assiégée, et qui permet cependant d’être adressée à Dieu en des situations tout à fait différentes. Ultérieurement, certaines de ces oraisons furent insérées dans les livres liturgiques, sans plus aucun rapport avec leur Sitz im Leben originel. Mais elles ont porté la prière des chrétiens. On y reconnaît volontiers un modèle !
II Des critiques
Mais ce corpus, malgré ses indéniables qualités, est aujourd’hui l’objet de critiques. Que d’adjectifs péjoratifs n’entend-on pas énoncer à propos des oraisons latines : usées, intemporelles, absconses, répétitives, sans saveur et, pour tout dire, loin de la vie. Comment entendre ces mots d’oiseau ? Les personnes qui les énoncent n’ont, pour la plupart, aucune idée de leur provenance, de leur intérêt et de leurs qualités. Mais elles perçoivent vivement le décalage culturel de ces textes par rapport aux mentalités actuelles. Sans pouvoir le formuler adéquatement, elles ressentent que ces oraisons proviennent d’un autre monde et leur permettent difficilement de porter leur prière dans l’aujourd’hui de leur vie chrétienne. Les limites culturelles de ce corpus leur sautent au cœur. Sans pouvoir situer historiquement l’origine de telle ou telle oraison dans la méditation christologique de saint Léon ou les préoccupations militaires et pastorales de Vigile, ces personnes, prêtres comme laïcs d’ailleurs, ressentent fortement l’écart entre l’univers dont proviennent ces prières et les questions de leur vie actuelle. Car nous avons changé et de siècle et de millénaire…
Poussons davantage l’analyse de cette critique qui s’exprime souvent de manière vive, mais non articulée. La toute grande majorité des oraisons qui figurent aujourd’hui dans le Missel romain proviennent d’avant la Renaissance, c’est-à-dire d’une époque où les humains se trouvent démunis dans un monde sur lequel ils n’ont guère d’emprise. Une des caractéristiques de la modernité consiste précisément en la recherche des moyens de ne plus subir les événements et les évolutions naturelles, mais de les domestiquer de quelque manière afin de rendre la vie plus humaine. Le déclic de la modernité, c’est d’échapper à la fatalité, en cherchant à rendre le monde plus habitable, sans en subir irrémédiablement les avatars naturels. Un trait de la culture pré-renaissance se lit dans de nombreuses oraisons du Missel qui passent d’emblée de l’œuvre du Christ à l’eschatologie, sans aucun appel à la responsabilité humaine. Typiques à ce propos sont les oraisons de Noël, dont voici un exemple :
Seigneur, tu as fait resplendir cette nuit très sainte des clartés de la vraie lumière ; de grâce, accorde-nous, qu’illuminés dès ici-bas par la révélation de ce mystère, nous goûtions dans le ciel la plénitude de sa joie.
Oui, nous avons à vivre illuminés par la révélation de Noël. Mais comment ? Quel est le poids de Noël sur notre histoire d’hommes ? Pareilles questions ne sont pas prises en compte dans le corpus actuel. On peut difficilement lui en faire le reproche, vu son origine historique. Mais ces oraisons provoquent aujourd’hui le sentiment d’un court-circuit ; l’eschatologie absorbe l’histoire.
Si cette critique peut être qualifiée de « masculine », d’autres tiennent davantage à la sensibilité féminine. Très peu de place, en effet, dans les oraisons romaines, à l’affectivité ! Elles demandent éventuellement à Dieu de nous combler de sa tendresse. Mais elles ne s’étendent pas sur les conditions de l’orant, encore moins sur ses états d’âme ; c’est ce qui les rend d’ailleurs si objectives, et brèves. Elles sont centrées sur le mystère chrétien, dont elles détaillent les mille facettes ; elles se préoccupent moins de la manière d’y introduire les pauvres humains que nous sommes.
Critique « spirituelle », aussi. Les oraisons latines exposent le mystère chrétien à la manière du premier millénaire, que nos frères d’Orient ont probablement mieux conservée que nous. Car à partir du 12ème siècle s’est introduite en Occident une piété plus sensible, davantage centrée sur l’humanité du Christ ; lancée par des maîtres comme saint Bernard, elle a produit des fruits aussi somptueux que François d’Assise et Charles de Foucauld. C’est une fois de plus à Noël que la différence d’approche est la plus perceptible ; jamais nos oraisons de Noël n’auraient pu naître à partir de la spiritualité de la crèche !
Bref, étant donné l’enracinement des oraisons du Missel dans la culture du premier millénaire, il ne faut pas s’étonner qu’elles fassent peu de place à la responsabilité de l’homme dans la société ou aux sentiments que les humains peuvent éprouver. Ce sont des dimensions qui leur sont inconnues. Ce saut par dessus l’histoire s’exprime en de nombreuses oraisons, telle la post-communion du 4ème dimanche de Pâques :
Tu nous as sauvés par le sang de ton Fils ; ouvre-nous une demeure dans le Royaume des cieux.
Ce genre de court-circuit est typique de l’univers mental d’avant la Renaissance et les Grandes Découvertes, période où l’homme n’avait guère la possibilité de faire des projets et d’imaginer quelque maîtrise sur ses conditions de vie. La culture qui a produit les oraisons anciennes constitue sans doute une des raisons du faible impact de ces splendeurs sur la vie spirituelle des catholiques du 21ème siècle.
Dernière critique, plus spécifiquement liturgique. Vu l’importance du nouveau Lectionnaire et des trois lectures bibliques lors des célébrations dominicales, beaucoup s’attendent à ce que les prières de la messe soient en résonance avec la Parole entendue, ce qui n’est pas le cas. Ce ne peut l’être pour l’oraison d’ouverture, priée avant la liturgie de la Parole. Mais, plus fondamentalement, les oraisons romaines sont écrites en fonction du mystère eucharistique, et non en écho aux lectures bibliques.
Les connaisseurs objecteront que ces remarques valent pour les oraisons des deux premières parties du Missel, le propre du Temps et les fêtes des saints, mais que de nombreuses prières de la troisième partie (les « Messes rituelles » accompagnant sacrements ou sacramentaux, et les « Messes pour diverses nécessités ») ont été composées nouvellement. L’observation est exacte. Mais il faut reconnaître que ces textes sont très peu utilisés, dans les pays francophones du moins, et presque ignorés. De plus, s’il y a eu là, de fait, une tentative de renouvellement, il faut constater qu’elle a souvent été réalisée de manière assez mécanique ; on a plus d’une fois utilisé une phrase d’un document du Concile pour en faire une oraison, alors que ce sont là des genres littéraires différents. Si l’effort a été louable, on peut estimer qu’il n’a pas parfaitement abouti.
Les traductions
Aux observations énoncées ci-dessus s’ajoute le fait que les oraisons de nos célébrations actuelles sont des traductions du latin. Il faut saluer ici l’énorme effort consenti dans les années post-conciliaires pour traduire tous les textes latins du Missel dans les langues vernaculaires, parmi lesquelles nous nous limiterons ici au français. Les personnes de ma génération se souviennent que le nouveau Missel a d’ailleurs été édité, à l’époque, en plusieurs fascicules. Comme les traducteurs ne pouvaient réaliser rapidement la traduction de cette masse de textes, on a pris la décision de faire paraître le Missel français en fascicules, une fois réalisées les traductions de tel temps liturgique ! Précisons que ces traductions ont été faites avec un soin particulier ; l’équipe des traducteurs comportait des historiens de la liturgie, des pasteurs, mais aussi des poètes chargés de veiller à la beauté de la langue. On citera parmi eux le nom de Patrice de la Tour du Pin, poète reconnu et chrétien de cœur, à qui l’on doit plus d’une tournure heureuse de ce corpus. Il s’est si bien pris au jeu qu’il a publié lui-même ultérieurement des recueils de prières, dont le plus connu est sans doute son Concert eucharistique13.
On entend aujourd’hui des critiques à l’égard de ces traductions. Il faut d’abord prendre vive conscience de la difficulté de la tâche. La première tient au génie propre de la langue latine qui, comme on l’a relevé ci-dessus, s’exprime de manière extrêmement concise. La seconde provient des différences culturelles, particulièrement évidentes lorsqu’il s’agit de traduire ce latin d’Église dans le lingala du Congo ou le tagalog des Philippines.
Ces critiques ont abouti à ce que la Congrégation pour le Culte divin demande de remettre sur le métier ces premières traductions afin de les rendre plus fidèles au latin. On peut penser qu’il y a là une erreur historique. Le but de la liturgie actuelle n’est pas que ses textes soient plus fidèles à la liturgie du 4ème siècle romain, mais plus adaptés aux chrétiens qui aujourd’hui, en plus de 300 langues différentes, adressent leur prière au Dieu de Jésus-Christ. On échappe difficilement au sentiment qu’il y a là une bévue, et beaucoup de temps perdu. Même des évêques particulièrement avertis n’hésitent pas à critiquer les projets de re-traductions ; en se voulant plus fidèles au latin d’origine, elles s’écartent encore plus des chrétiens d’aujourd’hui14.
Concluons donc la première partie de cette réflexion en disant que si, grâce au Concile et aux décisions qui l’ont suivi, nous avons eu le courage de passer aux langues vivantes dans le culte catholique, il faut aussi en tirer les conséquences culturelles et recréer petit à petit des corpus d’oraisons qui portent la prière des chrétiens d’aujourd’hui, en diverses cultures d’ailleurs.
III Analyses liturgiques
Il n’est pas inutile, pour procéder à ce renouveau, de rappeler quelques données fondamentales sur la signification de ces oraisons, leur structure et leur traits spécifiques. Car on crée rarement dans le vide.
1 Signification et fonction des oraisons dans la célébration
L’oraison d’ouverture, ou collecte, se situe à la fin des rites d’entrée, juste avant la liturgie de la Parole. Le liturgiste anglican Gregory Dix a naguère prétendu qu’elle devait avoir été originellement en rapport avec les textes bibliques du jour, comme aujourd’hui encore aux jours de fête15. Cette idée a rencontré un vif succès ; beaucoup de compositions nouvelles s’inspirent en effet des textes bibliques. Deux remarques s’imposent cependant : aucune des anciennes prières d’ouverture ne fait allusion aux lectures qui les suivent, ni dans le Missel de Trente ni dans l’actuel ; de plus, comment s’appuyer sur des textes que l’on n’a pas encore entendus ? Tout au plus pourrait-on y faire écho, comme lors des fêtes. L’oraison d’ouverture est donc à considérer comme la fin des rites d’entrée, offrant à l’assemblée un temps de prière avant l’écoute de la Parole.
La fonction de l’oraison sur les offrandes est plus délicate à définir. D’une part, elle fait très souvent allusion au moment de la célébration où elle se situe, en traitant de la préparation des dons que l’on vient de présenter. L’analogie avec la prière d’ouverture fait ainsi dire à certains que la fonction de cette prière consiste à conclure l’apport des dons. Mais d’autre part toutes ces oraisons ne correspondent pas parfaitement à cette définition ; on y trouve souvent des thèmes proprement eucharistiques, même épiclétiques, comme à la veille de Pentecôte :
Sur nos offrandes, Seigneur, répands la bénédiction de l’Esprit ; que ton Église en reçoive cette charité qui fera d’elle, au milieu du monde, le signe visible du salut.
Il vaut donc mieux reconnaître que cette prière a une fonction charnière entre l’apport des dons et la prière eucharistique, penchant tantôt vers la conclusion des rites précédents, annonçant tantôt l’Eucharistie à venir.
Pour sa part, le contenu de la prière après la communion ne fait aucun doute : elle demande que ceux qui ont communié en retirent tous les fruits spirituels et fassent passer dans leur vie ce qu’ils ont reçu lors de la célébration. Ainsi par exemple la prière du premier dimanche du Temps ordinaire :
Nous t’en prions, Dieu tout-puissant : toi qui refais nos forces par tes sacrements, donne-nous aussi de pouvoir te servir par une vie qui te plaise.
Dans les usages, cette prière est parfois malencontreusement déconnectée de la communion elle-même, à cause de l’intrusion des annonces dont ce n’est manifestement pas la place.
2 Leur structure
Celle-ci est rarement bien comprise, dans la pratique. Le modèle le plus clair est celui de la prière sur les oblats. Elle comporte un invitatoire16 qui s’exprime ainsi : « Prions ensemble, au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église ». On comprend qu’après la préparation des dons, qui est un office proprement diaconal et qui est normalement accompli en silence, cet invitatoire soit suivi d’une réponse du peuple, avant l’oraison du prêtre17. Dans les deux autres cas, celui de l’oraison d’entrée et celui de l’oraison après la communion, l’invitation se borne à dire : « Prions le Seigneur ». Elle devrait être suivie d’un moment de prière silencieuse, lui-même couronné par l’oraison prononcée par le prêtre. Ce fonctionnement de l’eucologie est rarement observé. Le parallèle avec la prière universelle peut permettre d’en mieux comprendre la logique :
oraison | prière universelle |
invitation : « Prions le Seigneur » | invitatoire : « Après avoir écouté la Parole de Dieu, prions, frères et sœurs,… » |
prière silencieuse de tous oraison (« collecte ») | intentions/prières, avec refrain ou silence oraison |
Amen | Amen |
Le début est pareil dans les deux cas, sinon que la prière universelle présente habituellement un invitatoire plus développé, tandis que l’oraison, une simple invitation ; l’essentiel est que les deux types de prière commencent par inviter l’assemblée à prier. Mais la prière proprement dite ne se réduit pas au texte de l’oraison ; elle se réalise, dans l’oraison d’ouverture de la messe, par un temps de prière silencieuse de toute l’assemblée, ensuite reprise, « collectée » par le prêtre qui énonce la prière (la « collecte ») à haute voix, au nom de toute l’Église. Dans la prière universelle, par contre, la prière silencieuse est remplacée par les « intentions », qui offrent à la prière de l’assemblée un objet (« Prions pour que notre assemblée entende la parole des Béatitudes ») ou des bénéficiaires (« Prions pour ceux dont la foi est vacillante »).
Qui donc prie ? Tout le peuple de Dieu, même si la prière n’est formulée que par une seule personne. Le concile l’a souligné, en utilisant aussi une autre expression pour désigner la prière universelle : la prière des fidèles. Lorsqu’on a entendu ces mots, il y a quarante ans, on s’est précipité sur ce moment de la célébration, heureux de trouver enfin dans la messe une prière « pour nous », les fidèles ; et dans combien de cas la préparation de la messe ne s’est-elle pas réduite à « préparer les intentions » ? Malheureusement, cette réaction montre que notre idée de l’Église était bien misérable, puisqu’on identifiait ainsi « fidèles » à laïcs, distincts du prêtre. Mais se réjouir d’avoir enfin une prière « à soi », c’était abandonner toutes les autres au prêtre… En fait, dans cette expression, fidèles est pris au grand sens de baptisés, ceux qui ont professé la foi, laïcs et prêtres tout ensemble. Le contraire de fidèles est infidèles, et non prêtres, comme dans une ecclésiologie brisée en deux, qui sépare d’emblée les prêtres et les laïcs.
On peut ainsi affirmer que toutes les prières liturgiques sont des prières des fidèles, c’est-à-dire de toute l’Église, des prières dans lesquelles les membres de l’Église exercent cependant chacun leur rôle propre, le président de l’assemblée y invitant, et rassemblant comme en un faisceau, grâce au texte de l’oraison, la prière silencieuse de tous les chrétiens présents. La Présentation générale du Missel romain précise (n. 45 = n. 69 de la nouvelle édition) que le peuple de Dieu exerce ici sa fonction sacerdotale ; elle souligne ainsi, à sa manière, que les oraisons ne sont pas la propriété du prêtre, puisqu’il commence par inviter toute l’assemblée à prier. La prière eucharistique elle-même est une prière de toute l’Église ; tous répondent d’ailleurs « Cela est juste et bon » au projet énoncé par le prêtre : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu », expression qui pourrait se traduire par : « Faisons (ensemble) l’Eucharistie ». Et l’Amen conclusif de toutes les prières, rappelons-le, n’est pas un piètre « Ainsi soit-il » de résignation, mais une acclamation signifiant fondamentalement : Oui, nous croyons que Dieu accomplira ce que nous lui demandons avec foi.
3 Les traits spécifiques du langage liturgique
Avant de relever les caractéristiques du langage liturgique, il est indispensable d’attirer l’attention sur la différence essentielle entre énoncé et énonciation, c’est-à-dire entre le texte lui-même et la manière dont il est proféré. Car les formulations les plus heureuses peuvent être réduites à rien par une manière banale de les énoncer, et des textes sans grand relief peuvent acquérir un certain poids si la personne qui les prononce leur accorde le crédit qu’ils méritent. Remarquons d’abord que le même énoncé peut être dit ou chanté, ce qui modifie déjà considérablement son impact sur une assemblée ; une oraison peut être dite avec ou sans conviction, une hymne chantée à une ou plusieurs voix. Ceci attire l’attention sur le fait que les textes du Missel n’offrent finalement qu’un support à la prière, et que tout l’art de la liturgie est de transformer des textes en prière vive.
On n’insistera jamais assez sur ce point. Combien d’actes liturgiques sont malheureusement bâclés ! Et l’on incrimine « la liturgie », alors qu’il faudrait s’en prendre aux liturges qui font mal leur métier ! On est parfois témoin, à la fin des oraisons par exemple, d’un « pour les siècles des siècles » qui sert à fermer le missel, et d’un Amen qui par le fait même résonne comme une morne conclusion. On mesure ici à quel point les siècles durant lesquels la liturgie fut célébrée en latin pèsent encore sur nos célébrations ; car en cette langue, il suffisait que le prêtre lise les textes du missel pour que la messe soit dite18. Il faut en être bien conscient : la liturgie étant répétitive par nature, elle risque constamment de tomber dans la routine. Souvent ce constat mène à la conclusion qu’il faut varier l’énoncé des prières. Si cette conclusion n’est pas fausse, il faudrait d’abord songer à soigner leur énonciation ! Ceci dit, qui est capital, analysons les traits caractéristiques du langage liturgique, parcours qui contribuera d’ailleurs à sa meilleure énonciation.
Un langage poétique
La liturgie n’est ni un cours académique ni une harangue de tribun ni un pensum à subir durant « le sacrifice de la messe ». Elle met en œuvre plusieurs types de langage, tous destinés à toucher notre vie pour la mener à Dieu. La caractéristique première du langage liturgique est d’être de nature poétique, c’est-à-dire, étymologiquement, de faire ou de produire quelque chose (le terme poésie provient du verbe grec poien qui signifie faire, accomplir). Comme l’a définie un poète, la poésie est « un type d’écriture qui ne remplit pas toute la ligne de la page », de manière à ce que chaque lecteur puisse poursuivre lui-même l’écriture ou la pensée émise dans les premiers mots. L’action liturgique doit laisser place à la réception personnelle de l’assemblée, en prolongement d’une lecture ou d’une oraison. C’est dire aussi l’importance du temps, de la durée, et des silences entre les actions, sans quoi les choses défilent sans qu’on ait le temps de les goûter. Le bon rythme fait partie de l’art de célébrer.
Le caractère « poétique » du langage liturgique est parfois critiqué, comme n’étant pas assez direct, concret, ou engagé. Mais quel amoureux a-t-il jamais pensé que sa bien-aimée le traitait de légume quand elle lui disait « mon chou » ? Cet exemple montre que le langage est extrêmement polyvalent ; encore faut-il l’énoncer (l’importance de l’énonciation, à nouveau !) sur le bon registre, ici poétique, amoureux et qui crée (poien, faire) une relation. Ceci vaut particulièrement pour les hymnes, mais aussi, mutatis mutandis, pour les autres genres littéraires, comme les oraisons.
Un langage symbolique
Le terme symbole signifie, étymologiquement, la mise ensemble d’éléments différents, dont la rencontre produit du sens et réunit. Ainsi en va-t-il des couleurs, celles d’un drapeau national ou celles d’un club de football : leur simple vue permet de reconnaître le groupe en question, de s’y identifier ou non, de ressentir intérieurement une appartenance ou une différence. De même le Credo est-il nommé Symbole de la foi : son énonciation unit les participants dans une expression synthétique de la foi. Le langage symbolique est de nature évocatrice ; il est du genre « Il était une fois… », qui d’emblée ouvre un horizon de possibles. L’évangile de Jean s’en est fait une spécialité, par exemple lorsqu’après la trahison de Judas, il note : « Il faisait nuit » (Jn 13, 30) : il ne s’agit évidemment pas d’une indication (seulement) chronologique ! Ceci explique la part prédominante des textes bibliques dans la liturgie, des Psaumes notamment, qui ont modelé le langage liturgique et même ecclésial : si les premiers mots du psaume 22, « Le Seigneur est mon berger », vous énervent en vous rapportant à une culture archaïque, la suite vous en indique la portée : « je ne manque de rien ». Et vous serez bien forcé de constater qu’on nomme les prêtres les pasteurs (plus encore en protestantisme) et que la gestion ecclésiale prend souvent le nom de pastorale… Le langage est un jeu bien subtil !
Un langage rituel
Le terme « rituel » indique en fait deux caractéristiques du langage liturgique.
Il est d’abord articulé à une action, à un site qui lui offre son contexte signifiant. Les lectures bibliques sont prononcées à l’ambon, site spécifique (à ne pas confondre avec une tribune ou un micro où l’on fait également les annonces paroissiales) qui permet à l’assemblée de « comprendre » d’emblée de quel type de parole il s’agit. La prière eucharistique est dite ou chantée à l’autel, en présence des oblats, en union avec toute l’assemblée ; elle est proprement in-dicible en un autre lieu, car l’autel lui fournit pour ainsi dire sa pertinence. On comprend ainsi que la force du langage liturgique dépend dans une grande mesure de sa juste intégration à l’action célébrante.
Signaler que le langage liturgique est de nature rituelle attire aussi l’attention sur le fait qu’il se répète, ce qui est le propre du rite. La répétitivité implique des exigences ; internes d’abord, quant à la qualité des textes qui doivent avoir suffisamment d’épaisseur pour supporter la répétition, à l’encontre de l’usure. Un bel exemple en est, lors de la prière sur les oblats, le répons de l’assemblée : « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde », expression sur laquelle on peut, heureusement, méditer longuement. De même aussi l’acclamation d’anamnèse, qui offre un riche résumé de l’action eucharistique. Mais qui a jamais entendu prêcher sur les textes liturgiques19 ?
La répétitivité a aussi des exigences externes, celles, encore une fois, de leur énonciation, chantée ou simplement dite. On pense notamment ici au dialogue de la préface, si riche de sens car il constitue comme un contrat entre les membres de l’assemblée (la proposition : « Rendons grâces au Seigneur notre Dieu », et la signature : « Cela est juste et bon »). Mais ce dialogue est si souvent bâclé, marmonné par le prêtre cherchant encore la bonne page du missel… Ce sont de tels comportements qui tuent la liturgie !
On perçoit ici, sur le vif, le caractère « traditionnel » de la liturgie, similaire à celui des hymnes nationaux ou syndicaux, des « chants de la tribu », familiale ou régionale ; ils « marchent » — c’est-à-dire accomplissent leur fonction symbolique de rassemblement — parce qu’ils sont bien connus et qu’on ne s’amuse pas à en changer toutes les semaines…
On a souligné la force que représentait cette répétitivité du langage liturgique. Elle est de nature rituelle, telle qu’on la retrouve lors des grandes manifestations. On peut en mesurer l’impact lorsque, au volant de sa voiture par exemple, on se met à fredonner tel chant liturgique… Le rite est un phénomène humain de forte puissance.
4 Le site des oraisons
De quel lieu les prier ? On reconnaît aujourd’hui assez facilement, et universellement, que certaines manières de mettre en œuvre la réforme liturgique ont été trop exclusives. On rappellera ici que la place du prêtre, face ou dos à l’assemblée, n’est mentionnée qu’au numéro 299 (ex 262) de la Présentation générale du Missel romain. C’est dire qu’elle n’est pas le seul élément important de la réforme, alors que celle-ci se résume, pour beaucoup, dans l’expression « la messe face au peuple ».
On conçoit facilement que la nature même de la proclamation de la Parole exige que le lecteur soit situé face à l’assemblée à laquelle il s’adresse. Mais la prière elle-même, étant adressée à Dieu, n’impose donc pas la même position. Quarante ans après la réforme, il nous faut encore apprendre la mobilité dans nos célébrations, et l’adaptation aux différents types d’action que nous accomplissons — notamment pour la communion, réalisée le plus souvent de manière individuelle, en si fort contraste avec sa signification intrinsèque.
Selon les lieux, le type d’assemblée et le nombre de participants, il faut trouver le bon site des différents acteurs. Ainsi par exemple on peut concevoir qu’au début de la célébration, le président se situe face à l’assemblée pour la saluer, puis se tourne comme elle vers l’abside ou vers l’autel pour le moment pénitentiel, l’éventuel chant du Gloire à Dieu et l’oraison. Cette disposition évitera à l’assemblée de penser que ces mots lui sont adressés à elle-même.
5 Une brève théologie de la prière liturgique
Suggérons enfin quelques notes de théologie de la prière, notamment de la prière vocale, celle qui use de paroles, et même de paroles dont nous ne sommes pas les auteurs.
Tout d’abord, pourquoi formuler des prières, notamment des prières de demande, sinon « pour que nous devenions capables d’accueillir ce que Dieu s’apprête à nous donner », comme le dit avec bonheur saint Augustin20 ? Accueillir, comme un don venant de Lui, le pain quotidien que nous demandons dans le Notre Père et la capacité de pardonner. Autrement dit, la fonction de la prière n’est pas d’informer Celui « qui sait ce dont nous avons besoin » (Mt 6,8), mais de nous avertir nous-mêmes, de nous rendre vigilants dans la prière. Sa visée n’est pas seulement de nous adresser à Dieu, mais aussi de nous affecter nous-mêmes, nous qui sommes réunis ici pour former son peuple.
Ensuite, la prière est fondamentalement de l’ordre du désir. Saint Augustin nous dit encore : « Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer »21. Pour reprendre les exemples cités au début de cet article, quand la liturgie nous fait supplier Dieu « de nous donner plus que nous n’osons demander », nous sommes comme pris au piège ; la prière que la liturgie met sur nos lèvres et dans nos cœurs nous tire beaucoup plus loin que nous n’aurions osé l’exprimer. C’est tout l’intérêt de la prière liturgique de se servir de formules qui ont été rodées par des siècles de priants ; elles nous provoquent au-delà de ce que « nous osons demander ».
Enfin, on peut légitimement éprouver quelque difficulté à propos de la formulation de telle ou telle prière liturgique. Ici encore, saint Augustin nous sert de guide, lui qui écrit : « On est libre, lorsqu’on prie, de dire les mêmes choses avec des paroles diverses, mais on n’est pas libre de dire autre chose ! »22. Tout l’intérêt d’une prière qui ne sort pas de nos propres lèvres, c’est d’être provoqués par elle, de nous laisser questionner par elle dans notre rapport à Dieu, à nous-mêmes et aux autres. Quand nous recevons les paroles des psaumes, elles nous recréent ; elles nous font nous exclamer : « Ô Seigneur notre Dieu, qu’il est grand ton nom par tout l’univers » (Ps 8,2), ou encore : « Ma lumière et mon salut, c’est le Seigneur » (Ps 26,1), paroles qui ne seraient sans doute jamais sorties de nos propres lèvres sans cette biblique inspiration. Les psaumes nous provoquent à dire : « je ne manque de rien » (Ps 22,1), « je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite, je suis inébranlable » (Ps 15,8), mais aussi : « Moi je crie vers Toi, Seigneur, dès le matin ma prière te cherche. Pourquoi me rejeter, Seigneur, pourquoi me cacher ta face ? » (Ps 87,14-15).
Probablement n’aurions-nous jamais eu l’audace de faire sortir de tels cris de notre cœur, surtout devant Dieu ; mais la liturgie nous y aide. Elle nous fait reconnaître que c’est là notre vérité. La prière vocale, biblique et liturgique, nous incite à nous détacher de nous-mêmes, et du dieu que nous nous fabriquons plus ou moins consciemment. Elle nous inflige un travail sur nos propres résistances. Elle tend à conformer notre désir au désir de Dieu. Pourvu que nous voulions bien lui ouvrir les portes de notre cœur de croyant.
Conclusion
Cet article a tenté de faire le tour des difficultés que rencontrent aujourd’hui les chrétiens d’Occident à l’égard des prières liturgiques. Inutile de nier qu’elles sont importantes.
Le défi apparaît donc clairement : comme nos prédécesseurs ont créé des oraisons au fil des siècles selon les besoins qui étaient les leurs, ainsi nous trouvons-nous dans l’obligation culturelle de suivre leur exemple. Ceci ne signifie pas qu’il faille rayer d’un trait de plume les trésors du passé ; les pages précédentes ont suffisamment montré leur intérêt. Mais s’il faut s’en inspirer, il faudra aussi les recréer, et risquer des compositions nouvelles.
Cela ne se fera pas en un jour, d’autant plus que la liturgie se célèbre aujourd’hui dans les langues vernaculaires, et que tous les peuples ne ressentent pas les mêmes urgences ; ils ne disposent pas non plus des mêmes ressources pour mener cette œuvre à bien.
Ainsi nous trouvons-nous acculés à la création. On aimerait que ce soit une œuvre d’Église plutôt qu’une concurrence entre individus. Plusieurs pays, notamment ceux où l’on parle le français, ont travaillé ensemble à la réforme liturgique depuis les années conciliaires ; ils disposent pour ce faire d’une expérience, et de ressources. On aimerait donc que leurs autorités les invitent à s’atteler à la formulation de prières liturgiques pour notre temps. Puissent-elles entendre cette invitation !
Notes de bas de page
1 H. Oosterhuis, Bid om vrede, Utrecht, Amboboeken, 1966 ; trad. franç. : Quelqu’un parmi nous, Tournai, Desclée, 1968 ; F. Cromphout, Een tijd van spreken, Tielt-Utrecht, Lannoo, 1969 ; trad. franç. : Un temps pour parler, Bruxelles, éd. Foyer Notre-Dame, 1971.
2 Paris, Desclée, 1975 et 1979. L’ensemble de ses textes est aujourd’hui édité sous le titre Chants et poèmes. T.1 : Anges et grillons, Paris, Cerf, 2008 ; T. 2 : À force de colombe, id., 2007 ; T. 3 : À l’enseigne de Pâque, id., 2007.
3 Le terme « préface » étant compris comme « avant-propos » et non en son sens latin de praefatio : proclamation (de la louange de Dieu) qui donne la note fondamentale de cette prière.
4 Lire à ce propos P. De Clerck, « La fraction simulée pendant la prière eucharistique. Un geste mimétique », à paraître dans les Mélanges Marcel Metzger.
5 La bibliographie est énorme. Citons d’abord des instruments de travail, toujours utiles : P. Bruylants, Les oraisons du Missel romain [1570]. Texte et histoire. T. 1 : Tabulae synopticae fontium Missalis Romani. Indices. T. 2 : Orationum textus et usus juxta fontes, Louvain, Abbaye du Mont César, coll. « Études liturgiques » 1, 1952, 19652, 330 et 344 p. Il existe aussi une concordance des textes latins du Missel de 2002 : M. Sodi - A. Toniolo, Concordantia et indices Missalis romani, Città del Vaticano, 2002.
6 B. Coppieters’t Wallant, Corpus orationum, 14 vol., Turnhout, Brepols, coll. « Corpus christianorum » 160 A-M, 1992-2004. T. I : avec Bibliographie sur les oraisons, p. LXVI-LXXVIII. T. XI : Index biblique et des auteurs, des incipit et explicit. T. XIII : Missels parisien (1738), de St-Vanne (1781) et Missel Romain (1970-75). T. XIV : Missels ambrosien (1980), hispano-mozarabe (1990), Missel Romain (2002).
7 Dom Pr. Guéranger, L’Année liturgique, 9 volumes, Solesmes, 1841-1866 (nombreuses rééditions).
8 Dom B. Capelle, « Commentaire des collectes dominicales du Missel romain », dans Id., Travaux liturgiques, T. 1, Louvain, 1955, 197-266.
9 C. Johnson - A. Ward, The Sources of the Roman Missal, Rome, 1975 ; A. Dumas, « Pour mieux comprendre les textes liturgiques du Missel romain », Notitiae 6, 1970, 194-213 ; « Les oraisons du nouveau Missel romain », Questions liturgiques 52, 1971, 263-270, et « Les sources du nouveau Missel romain », Notitiae 7, 1971, 6 articles au long de l’année. D’ordre plus général : A.M. Triacca-A. Pistolia, La prière liturgique. Conférences Saint-Serge, XLVIIe Semaine d’Études Liturgiques (Paris 2000), Rome, CLV-Éd. Liturgiche, coll. « Bibliotheca ‘Ephemerides liturgicae’ - Subsidia (BEL) » 115, 2001, avec notamment P. De Clerck, « La prière liturgique dans la liturgie romaine. Une typologie », p. 41-53 ; C. Urtasun, Las oraciones del misal. Escuela de espiritualidad de la Iglesia, Barcelona, Centre de Pastoral Liturgica, coll. « Bibliotheca liturgica » 5, 1995, 780 p., qui donne la traduction des oraisons en plusieurs langues européennes ; G. Moore, Vatican II and the Collects for Ordinary Time. A Study in the Roman Missal (1975), San Francisco, Catholic Scholars Press, 1998, 735 p. (étude la plus complète) ; P. Hala, Habeamus gratiam. Commentaire des collectes du Temps ordinaire, Solesmes, Éd. de Solesmes, 2002.
10 A. Chavasse, « Messes du pape Vigile (537-555) dans le sacramentaire léonien », dans Ephemerides liturgicae 64, 1950, p. 161-213 ; 66, 1952, p. 145-219.
11 Veronense 479 : Adesto, domine, supplicationibus nostris ; et apostolicis intercessionibus confidentes, nec minis aduersantium, nec ullo perturbemur incursu : per. Chavasse la situe au 23 août 537.
12 Idem, 569 : Magnificentiam tuam, domine, praedicamus suppliciter inplorantes, ut qui nos inminentibus periculis exuisti, a peccatis quoque benignus absoluas ; ut beneficia nobis maiora concedas, et tuis facias parere mandatis : per.
13 Patrice de la Tour du Pin, Concert eucharistique, Paris, Desclée, 1972. Son œuvre majeure se nomme Une somme de poésie, 3 volumes, Paris, Gallimard, 1983.
14 Par exemple l’intervention de Mgr Donald W. Trautmann, évêque d’Erie (USA), ancien responsable de la Commission épiscopale de liturgie des États-Unis ; on en trouve le texte sur le site de l’U.S.Catholic.
15 G. Dix, The Shape of the Liturgy, Westminster, Dacre Press, 1945, p. 367.
16 On appelle invitatoire une invitation plus ample, qui fournit l’orientation de la prière, ou mentionne ses bénéficiaires.
17 À propos des prières qui accompagnent la présentation du pain et du calice, les rubriques précisent qu’elles sont dites à voix basse (no141-142). L’usage très répandu d’une prononciation à haute voix de ces prières par le prêtre, avec le répons par l’assemblée, peut être interprété comme une trace des temps qui ont précédé le concile où, la prière eucharistique étant prononcée en latin, « l’offertoire » a été un grand moment de la « participation » de l’assemblée ; après cela, celle-ci n’avait plus le droit à la parole. On constate ici la prégnance des modalités de participation de l’avant-concile.
18 En plusieurs langues d’ailleurs, en néerlandais par exemple, l’expression française « dire la messe » s’énonce même en « lire la messe ».
19 La Présentation générale du Missel romain précise : « L’homélie (…) doit expliquer un aspect des lectures scripturaires ou bien d’un autre texte de l’ordinaire ou du propre de la messe du jour, en tenant compte soit du mystère que l’on célèbre, soit des besoins particuliers des auditeurs » (n. 65, ex 41).
20 Saint Augustin, « Lettre à Proba », dans le Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum 44, p. 50 ss. On en trouve les meilleurs extraits dans La Liturgie des Heures, T. 4, p. 195 ss., ici p. 196.
21 Ibidem, p. 199.
22 Ibidem, p. 207.