Sept ans après la disparition de Michel Henry, il devient possible
de recevoir et d'étudier l'ensemble de son oeuvre avec recul. C'est
ce que nous propose Frédéric Seyler dans son travail de thèse sur
l'éthique de l'affectivité dans la phénoménologie de Michel Henry.
Cette recherche considère la totalité du corpus henryien (en
particulier les derniers ouvrages sur le christianisme) comme étant
le fruit d'une démarche strictement phénoménologique. On saluera ce
choix qui s'éloigne des débats franco-français sur le statut
'théologique' des derniers livres et qui propose une vision unifiée
de l'oeuvre. Qui plus est, en traitant la question de l'éthique
constamment abordée par Michel Henry mais jamais traitée pour
elle-même, F. Seyler touche à l'un des enjeux fondamentaux de
l'oeuvre: celui de l'action.L'A. commence par repérer dans
l'opposition Barbarie/Culture les critères axiologiques d'une
'normativité critique' opérant tout au long de l'oeuvre. Ces
critères n'étant toutefois pas extérieurs à la vie, mais produits
par elle, l'éthique se révèle dès lors non comme un discours
axiologique séparé, mais comme une éthique originelle qui n'est
autre que l'affectivité elle-même, éthique que prescrit la vie en
son immanence radicale et qui, ultimement, se laisse comprendre
comme entrée dans la 'seconde naissance', c'est-à-dire comme
filiation dans la vie absolue. Les fondements d'une telle éthique
sont développés dans la première partie selon trois aspects
essentiels: la reconnaissance de l'immanence de la vie comme la
réalité véritable (le savoir de la vie), l'action comme praxis
immanente portée dans l'automouvement de la vie, la communauté
comprise comme intersubjectivité affective des vivants dans la vie.
Pourtant, si seule la praxis est à même de réintroduire chacun dans
la seconde naissance, quel statut donner à l'éthique de
l'affectivité explicitée par la phénoménologie de la vie? Telle est
la question qui commande la seconde partie. L'A. y répond en
développant le concept de quasi-performativité appliqué au discours
de la phénoménologie de la vie capable, par la contre-réduction
qu'elle opère au savoir de la vie (réduction qui est une praxis
rendue possible par la vie elle-même), de désigner une parole autre
qu'elle-même, la parole de la vie, et d'y reconduire son lecteur.
On lira avec intérêt l'application de ce principe au problème plus
général d'une 'traduction inversée' par laquelle pourrait se faire
le passage des représentations et médiations du monde à la parole
de la vie qui en constitue la réalité. En établissant la
possibilité d'une éthique de l'affectivité au sens de la
phénoménologie de la vie - éthique qui soit elle-même pratique -
l'A. a donc pleinement répondu aux questions qu'il s'était posées.
Peut-être pouvons-nous seulement regretter une trop grande
discrétion par rapport à la troisième partie de l'avant-dernier
ouvrage de Michel Henry Incarnation, dans lequel le concept
d''in-carnation' permet une ressaisie de l'éthique de
l'affectivité, non plus seulement en termes d'oubli de la vie et de
seconde naissance, mais selon ceux du péché et du salut. - A.
Vidalin