Félix Ravaisson. D'une philosophie première à la philosophie de la révélation de Schelling. Présentation de fragments inédits
Gaell GuibertFilosofía - reviewer : Emmanuel Tourpe
On retrouve dans le plus récent et difficile ouvrage sur l'Existant la préoccupation que l'on vient de dire sur l'expérience absolue, portée cette fois sur le plan directement linguistique. La thèse déployée par ce livre étonnant est de grande portée: «toute réinterprétation de l'être dans la Révélation devient christologique» (p. 276). On a bien lu: il est question de «rapprocher» Ex 3,14 et Jn 8,28, à savoir les deux «Je suis» au fondement de la manifestation de l'être divin. De quoi s'agit-il exactement?
L'«être» dans lequel on exprime la Révélation divine depuis la Septante n'aurait pas de fondement dans le texte lui-même, qui recèle un terme autrement plus processif en aspect et en temps que ne le suppose l'interprétation métaphysique classique. Il s'agit pour l'essentiel de chercher à montrer comment, dans la Révélation même du Nom de Dieu, c'est le Verbe divin qui déjà se montre. «Car YHWH sera, arrivera, […] comme celui qui sera, viendra dans la réalité de l'existence comme l'Existant, l'Étant, l'Être divin hors de soi, hors de Dieu, dont le programme est de se mettre en mouvement, descendre du ciel vers la terre, i.e de changer d'état, depuis son état divin à un état humain, devenir un être vivant et Dieu vivant puis Vivant en passant par la caducité, la mort, la Résurrection. Ceci est dit de Jésus-Christ sauveur qui accomplit ce qui est annoncé en YHWH sauveur» (p. 261). Cette connexion essentielle entre la Révélation vétérotestamentaire et néotestamentaire sur le plan de l'être révélé a rarement été questionnée en philosophie, et, malgré les risques théologiques évidents pris par l'A., son questionnement n'est pas sans intérêt. Penser l'être divin, dans l'origine même de la Révélation, comme être pour nous, c'est-à-dire fouiller la possibilité de l'Incarnation au Sinaï même, n'est pas absurde. On pourra craindre cependant une certaine surdétermination schellingienne des analyses scientifiques menées ici, avec le risque au final de ne trouver qu'une argumentation de surface, qui dépose un vernis linguistique (remarquable, ceci dit) sur une théologie déployée depuis longtemps par Whitehead ou Moltmann. L'entreprise reste valeureuse et ne doit pas être écartée d'un revers de main, ne serait-ce que pour la rigueur des propos sur les racines et sur le terme être en hébreu en particulier. - E. Tourpe