Ce cours est précieux, original, difficile, libérateur. Il a été
donné à l'Institut d'Études théologiques de Bruxelles à partir de
1972 et a pour objet d'établir le lien entre herméneutique et
théologie. Il comporte quatre parties. La première, intitulée «La
tradition vécue», occupe plus de la moitié de l'ouvrage. Elle
examine les ressources du langage théologique et conduit à
reconnaître dans l'Église le «critère de la vérité théologique»
(II) que manifeste «la vie de l'Écriture dans l'Église» (III) et
qui implique la propriété foncièrement anagogique de la théologie
(IV). L'introduction offre au préalable une réflexion sur le
problème contemporain du statut du texte et de son interprétation;
la conclusion détaille enfin le caractère spirituel de l'exégèse
chrétienne - les quatre sens - et ses conséquences sur la
philosophie de la liberté et du langage. «Le texte est porteur de
la vérité de Dieu et de notre propre existence» (p. 41). Le langage
est signe de l'être, il est le lieu de l'alliance des libertés dans
l'histoire où se livre la charité du Verbe de Dieu (p. 107). Tout
l'ouvrage entend justifier de telles affirmations qui prennent acte
de la subjectivité moderne - de Spinoza à Ricoeur, en passant par
Schleiermacher, Kant et Hegel (ils sont étudiés spécifiquement au
début ainsi qu'à la fin du texte). Rien de plus classique dans un
cours sur l'herméneutique. Mais ce qui est original, c'est
l'importance accordée en ces pages à la mystique, en tant qu'elle
assume le projet de la modernité et conduit, dans sa dynamique
même, à la connaissance et à l'union spirituelle (on notera la
longue prière sur le thème du «langage de cet Indicible», p.
186-188), spécialement celle que l'on peut expérimenter dans les
Exercices spirituels de saint Ignace. Les quatre semaines déroulent
en effet l'acte de l'esprit par lequel on suit l'histoire de Jésus,
où l'on se découvre soi-même comme liberté en mouvement vers la
vérité de Dieu toujours livrée dans le mystère du Christ. La
contemplatio ad Amorem résume ce mouvement quadruple: fondement,
dans la reconnaissance du péché - et des biens reçus - qui est
«don» de l'Esprit (première semaine); lumière de la vie de Jésus
qui dit la «présence» de l'Esprit (deuxième semaine); dépassement
dans la passion du Verbe livré où est exprimée l'«action» de
l'Esprit (troisième semaine); accomplissement de la communion
pascale, dans l'«intimité» de la liberté spirituelle (quatrième
semaine). Nourri de Fessard (La dialectique des Exercices
spirituels), Blondel (L'Action) et Lubac (Exégèse médiévale), le P.
Chapelle trouve dans ce mouvement (voir les tableaux, p. 108, 118,
122) de quoi fonder la méthode théologique, qui développe en
correspondance les quatre sens traditionnels de l'Écriture -
histoire, allégorie, tropologie, anagogie - et qui donne à
l'exégèse de l'Église son essence spirituelle (c'est la méthode
pratiquée à l'Institut d'études Théologiques [Bxl]: ce n'est pas
nous qui interrogeons l'Écriture affirmait le P. de Lubac, c'est
l'Écriture qui nous interroge). Alors se résout le dilemme de la
modernité: «le Livre des Écritures transforme la fable du monde en
un miroir de Dieu» (formule lubacienne et patristique qui fait
pièce à celle de Descartes, p. 112). Alors le lecteur peut aussi
sortir du «cercle herméneutique» dans lequel s'enferme l'interprète
au regard du texte: le discours théologique est lui-même
constitutif de l'interprétation; s'il y a cercle, c'est celui de
l'Église qui sauvegarde l'irréductibilité de la liberté sauvée à
tout objectivisme - qui risque de nier le sens de l'histoire comme
alliance spirituelle -, comme à tout subjectivisme - qui
n'offrirait aucune détermination à la vérité (p. 203). Au
contraire, le mystère livré dans la vie du Verbe, en sa lettre
faite corps vivant, donne de prier, de penser, «de quoi aussi
rendre grâce» (p. 218).Un tel ouvrage est certes exigeant, note A.
Leproux, ancien étudiant du P. Chapelle et professeur au Studium de
Paris (sa fine et belle préface en fournit d'ailleurs les bonnes
portes d'entrée): nombre de points affirmés ici tranquillement sont
en en fait longuement détaillés dans d'autres ouvrages de l'auteur,
comme Les fondements de l'éthique, Épistémologie, Anthropologie,
etc., ou, sur un plan moins académique, dans le livre posthume Au
creux du rocher. Pourtant, Herméneutique demeure central et
nécessaire pour qui veut comprendre la place de l'Écriture dans
l'acte théologique et le statut de cet acte lui-même. Il prépare
ainsi la prochaine édition du cours «À l'école de la théologie». -
A. Massie sj