Homosexuels et transgenres en Église. Une éthique repensée

Bernard Massarini
Morale e diritto - reviewer : Xavier Dijon s.j.

Bernard Massarini, prêtre lazariste, accompagne depuis longtemps des personnes homosexuelles et transgenres, se mettant au service de leur foi dans le Christ. Cette sympathie évangélique fait sans conteste la force de cet ouvrage, mais peut-être conduit-elle aussi ce pasteur à émousser les positions traditionnelles prises à l’encontre des pratiques homosexuelles. Qui pourrait d’ailleurs l’en blâmer lorsqu’on sait combien est délicate la distinction à maintenir entre, d’une part, la réprobation des comportements qui ne correspondent objectivement pas au plan de Dieu sur la créature humaine, d’autre part l’accueil inconditionnel des personnes amenées à adopter ces pratiques-là, distinction d’ailleurs judicieusement rappelée d’emblée dans la préface que signe Mgr Jean-Christophe Lagleize, évêque de Metz.

On appréciera donc en cet ouvrage à la fois le réel respect de ce fils de saint Vincent de Paul pour les personnes que leur orientation sexuelle a si souvent marginalisées dans la société et dans l’Église, de même que son indignation lorsqu’il rapporte les paroles et attitudes blessantes que des chrétiens ont tenues à leur égard. On saura gré également à l’A. d’avoir exposé, d’abord, échelonnées de 1975 à 2019, les prises de position du Magistère de l’Église en cette matière délicate (« Une parole d’Église en chemin »), ensuite les diverses associations de chrétiens qui s’aident mutuellement à vivre leur foi chrétienne dans leur condition sexuelle minoritaire (« Une Église déjà au service des personnes concernées par ces diverses affectivités »), et encore, à l’« Annexe A » de l’ouvrage, le texte du jésuite américain James Martin donnant « Quelques éclairages spirituels pour catholiques LGBT ». Mais on pourra aussi interroger la lecture particulière que fait B. Massarini des arguments philosophiques et théologiques déclinés au long de l’histoire pour rendre raison de la binarité sexuelle.

Tout se passe en effet comme si l’A., souhaitant favoriser l’accueil auquel ont droit les personnes homosexuelles et transgenres dans la vie quotidienne des communautés, cherchait – assurément en parfaite bonne foi – à rendre leur comportement objectivement moins illicite au plan des principes eux-mêmes. On peut certes comprendre cette tentation dans la mesure où les personnes concernées vivent leur étrange sexualité comme une condition qu’elles n’ont le plus souvent pas choisie elles-mêmes puisqu’elle s’impose à elles dès leur jeune âge : où donc se cacherait leur culpabilité ? demandent-elles, posant d’ailleurs cette question avec d’autant plus d’insistance que, jusqu’à présent, on ignore l’origine (biologique ? psychologique ?) de telles dysphories. Or il reste tout de même à voir si la mise en cause principielle de la sexualité comme appel spécifique et exclusif à la relation de l’homme et de la femme n’entraînera pas, pour l’ensemble du corps social, un dommage bien plus grand que son pur et simple respect. On voudrait le montrer, dans le cadre étroit de cette recension, à partir de la lecture que fait l’A., d’abord de l’Écriture sainte, ensuite de la tradition philosophique, enfin des mouvements présents dans la société contemporaine.

Plusieurs textes de l’Écriture sont abordés dans l’ouvrage, mais c’est en y indiquant que, malgré les apparences, ils n’impliquent pas nécessairement de faire peser une condamnation sur l’homosexualité comme telle. Ainsi, dans le second récit de la Création (Gn 2), le tâtonnement de Dieu lui-même à propos d’Adam, qui a fini par trouver son juste partenariat non pas dans les animaux mais dans la femme, ne pourrait-il pas se prolonger aujourd’hui, comme le suggère le rabbin américain Greenberg, dans une nouvelle demande adressée à Dieu par les personnes LGBT de pouvoir s’émerveiller à leur tour devant leur partenaire de même sexe (cf. p. 108 et 172) ? Ainsi encore, le crime dénoncé à Sodome (Gn 19) ne recouvre-t-il pas davantage l’infraction aux lois sacrées de l’hospitalité que le vice appelé contre nature ? À propos des imprécations de l’épître aux Romains contre les païens qui délaissent les rapports naturels (cf. Rm 1,26), l’A. reconnaît que, selon la conviction de l’Apôtre, « l’homme n’est fait que pour la femme comme l’espèce mâle est faite pour l’espèce femelle sur la terre » (p. 172) mais il regrette aussitôt, cette fois dans l’épître aux Corinthiens, l’emploi du terme sodomites plutôt que dépravés pour dénoncer l’immoralité païenne (cf. 1 Co 6,9). Quant à Jésus, « ses enseignements ne livrent pas d’éléments sur la sexualité » (p. 102) : ainsi, dans la question des pharisiens sur la répudiation (Mt 19,5), le Seigneur renvoie ses interlocuteurs à la fidélité des conjoints et non pas à la fécondité du mariage. L’A. en tire hardiment la conclusion que l’instauration du règne de Dieu intéresse bien davantage Jésus que la perpétuation de l’espèce, et que donc la mission procréatrice de l’union sexuelle peut être relativisée au bénéfice des personnes homosexuelles, elles-mêmes incapables d’engendrer.

Derrière ces controverses exégétiques se pose la question de fond : si, en son acte créateur, Dieu a configuré le corps de l’homme et de la femme de telle sorte que, en leur union de chair, ils soient aptes à procréer, dira-t-on que la jouissance affective inhérente à cette rencontre charnelle peut tout de même se vivre en dehors de cette ordination au don de la vie ? Pour l’A., la réponse positive ne fait pas de doute : à preuve la légitimité de l’union, pourtant inféconde, de couples âgés ; à preuve encore le rééquilibrage opéré par Vatican ii insistant sur la communauté de vie et d’amour que crée le mariage, davantage que sur sa finalité procréatrice : pourquoi, alors, condamner comme immorale, pour cause d’incapacité d’engendrement, l’union entre personnes de même sexe ? Mais la mise en évidence du caractère spirituel de la relation sexuelle permet-elle pour autant d’escamoter le réalisme des corps différenciés qui portent en leur constitution propre – masculine et féminine – la profondeur de l’intention créatrice ? Certes, « tout ce que Dieu a créé est bon » (citation de 1 Tim 4,4 placée en exergue de l’ouvrage), encore faut-il que, en sa liberté, la créature réponde de manière ajustée à cette bonté-là, faite chair.

À cet égard, l’A. regrette que le discours de l’Église ait mobilisé, au plan philosophique, la morale stoïcienne d’obéissance à la nature, laquelle enjoint à la raison de dominer les passions. Cette pesanteur de l’ordre rationnel se retrouve également chez Thomas d’Aquin pour qui la loi éternelle assigne à chaque être la poursuite de sa propre fin, en l’occurrence à l’homme mâle pourvu de semence, la finalité de perpétuer l’espèce. Mais la Modernité n’a-t-elle pas remis en cause cette idée de la nature au profit du sujet personnel ? D’où l’affirmation forte et – disons-le – dangereuse : « Ce n’est plus par nature que les humains sont ordonnés entre eux mais par leur volonté propre qui choisit la loi qui va les régir », avec cette conséquence : « Le législateur positiviste doit alors édifier la société sur deux principes : la liberté et l’égalité, la liberté devenant la première référence de la loi » (p. 145). Telle est bien la situation actuelle du droit de nos pays occidentaux, en particulier dans les législations qui régissent, de lois bioéthiques en lois bioéthiques, la vie, l’amour et la mort. Si, en effet, le législateur ne s’est trouvé précédé par aucun en-deçà qu’il aurait à lire dans la nature des corps, sa loi sera nécessairement livrée à la pression des lobbies qui auront réussi à faire valoir leurs intérêts. C’est que, dans le rapport de forces qu’ils engagent entre eux, les citoyens n’ont désormais plus rien en commun que la liberté de se détacher de tout, y compris de la raison qui se cache en leur chair. Voilà qui ouvre, soit dit en passant, un bel avenir aux fantasmes transhumanistes.

Dans les débats que connaît la société contemporaine, B. Massarini regrette que l’Église s’en tienne, en son discours éthique, à la seule hétérosexualité, n’ayant à recommander aux personnes qui ne peuvent s’y tenir rien d’autre que la continence, alors qu’un tel état d’abstention sexuelle relève dans l’Église de la vocation particulière à la vie consacrée. Il regrette aussi que l’Église se mette en marge de tout ce mouvement qui a conduit nos sociétés à adopter des voies de liberté telles que le mariage pour tous, les études de genre, et le choix par chaque personne de son propre sexe. L’A. justifie sa prise de distance à l’égard de l’enseignement traditionnel de l’Église par l’expérience propre des personnes qui ne se reconnaissent pas dans l’orientation hétérosexuelle ; or, l’expérience, ajoute-t-il, « est aussi un lieu théologique » (p. 18). Mais peut-on admettre sans autre examen que toute expérience dit Dieu ? Si, en particulier, l’expérience homosexuelle, si stable et fidèle – et donc si subjectivement honorable – qu’elle soit, fait objectivement l’impasse sur la différence sexuelle voulue par le Créateur, pouvons-nous encore dire qu’elle est théologique ?

À vrai dire, l’éthique repensée que nous propose l’A. aurait pu se limiter au nécessaire rappel de l’accueil bienveillant que méritent les personnes homosexuelles et transgenres, en tant que créatures du Bon Dieu. Mais B. Massarini devait-il se croire obligé, pour ce faire, de mettre en cause la Tradition de l’Église qui nous livre, du fond de l’Origine, l’appréciation du Créateur sur le surgissement du couple homme-femme : « Cela était très bon » (Gn 1,31) ? En réalité, pour vivre convenablement la tension prérappelée à l’égard des Homosexuels et transgenres en Église, il faudra rester sur le chemin de crête et donc suivre certes l’A. dans ses recommandations de bienveillance à l’égard des personnes, mais aussi creuser plus profondément que l’ouvrage ici recensé la raison du dimorphisme sexuel de l’être humain. La bibliographie donnée en fin d’ouvrage y aidera ; on pourra d’ailleurs y ajouter la thèse doctorale d’E. Roze, Vérité et splendeur de la différence sexuelle, Les Plans-sur-Bex, Parole et Silence, 2019. — X. Dijon s.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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