Composer une anthologie n'est jamais chose simple. Mais on
appréciera sans aucun doute celle réalisée par F. et R. B., à
partir des quelque 1.500 p. des Cahiers du témoignage chrétien,
ainsi que des différentes livraisons des Courriers du Témoignage
chrétien. Car si le titre de cette publication est fort connu, et
si la formule «France, prends garde de perdre ton âme» est dans
presque toutes les mémoires, si les noms de Chaillet, de Lubac,
Fessard et tant d'autres (dont les A. eux-mêmes) qui ont collaboré
à cette entreprise clandestine, restent bien présents dans la
culture contemporaine, rien de tel qu'un contact direct avec les
sources. Un autre intérêt majeur de l'ouvrage est de mettre en
évidence une chose peut-être moins connue. Les Cahiers furent
certes destinés avant tout à dénoncer l'idéologie nazie de manière
très argumentée et sans compromission. Ce que l'on sait moins,
c'est que cette dénonciation se fit «tous azimuts», et pas
seulement sur le plan «religieux», selon une approche très
détaillée de toutes les composantes du nazisme, y compris sa
composante nationaliste. Et ce fut à coup sûr une belle réussite de
la part des rédacteurs des Cahiers que de défendre un nationalisme
acceptable (même si on perçoit çà et là des relents du chauvinisme
à la française) face à un nationalisme exacerbé jusqu'à l'extrême
de la barbarie. Il est aussi intéressant de voir comment la
résistance prônée par les rédacteurs dut se situer face à d'autres
formes de résistance, en particulier celle animée par le
communisme, l'autre grand totalitarisme du moment: il fallait
allier pragmatisme (sur le moment se débarrasser du nazisme était
la priorité absolue) et action à long terme (il n'était pas
question de se bercer d'illusion à propos du communisme, qui
n'était finalement pas meilleur que son frère ennemi allemand). Il
convient également de souligner l'aspect ardu de l'entreprise
amenée à se situer vis-à-vis des autorités ecclésiastiques dont, a
priori, on ne discutait pas les positions, alors que ce n'est
aujourd'hui un mystère pour personne que ces autorités ne firent
pas nécessairement tous les bons choix.
Voici dès lors un livre qui peut et doit retenir l'attention d'un
grand nombre: pour son intérêt historique; pour son caractère
«exemplaire», car il indique très nettement que l'engagement du
chrétien dans la cité ne se fait pas n'importe comment et exige
impérieusement une réflexion rigoureuse. - B. Joassart, S. J.