Guardini avait magistralement exposé dans L’univers religieux de Dostoeïski (trad. fr. 1947, cf. NRT 70, 1948, p. 326) la manière dont les romans de D. reflètent un monde moderne qui n’est plus pénétré de Dieu, à travers le tragique des personnages croulant sous le poids d’une vie d’homme néantisée par l’athéisme. Il estimait que dans cette perspective on pouvait reconnaître le Christ dans le Prince Lev Nikolaïevitch Mychkine de L’Idiot. De son côté, Balthasar, dans le 2e vol. de L’Apocalypse de l’âme allemande, confronte longuement l’appel à la transcendance chez D. à la mort de Dieu chez Nietzsche. Sans chercher à rivaliser avec ces théologiens (voir en dernier lieu A. Brombard, De l’homme divisé à l’homme divinisé, 2020, cf. NRT 143, 2021, p. 156), Marguerite Souchon, agrégée de russe et enseignante au Lycée du Parc à Lyon, veut donner des clés pour entrer dans l’œuvre de D. en y cherchant ce qu’il révèle de lui-même et donc de son propre cheminement de foi. Ainsi cet ouvrage écrit dans une langue vive et légère reprend-il en grande partie les étapes de la vie de son écrivain, mais à partir de la question de Dieu, avant de considérer comment cette expérience est décrite comme une divinisation à l’œuvre dans les personnages des romans de D.

Elle expose d’abord l’univers singulier de la Russie traditionnelle et révolutionnaire du xixe s., qu’elle appelle le « peuple-Dieu », mais où les héros ne peuvent que vivre une rupture avec Dieu.

Puis, à l’enseigne de « l’Homme-Dieu » (qui n’est pas encore le Christ), elle fait entrer dans le sens même de la liberté dostoïevskienne, à savoir la lutte pour la responsabilité personnelle devant laquelle les personnages de D. se crispent si souvent : « le christianisme fait un devoir à l’homme de lutter contre le milieu ; en rendant l’homme responsable, il proclame sa liberté » (Journal d’un écrivain, cité p. 93). Elle nous donne un cours (très vivant) d’herméneutique de la formule fameuse (ou fumeuse) : « la beauté sauvera le monde » qui, précise-t-elle, fonde « la preuve téléologique de l’existence de Dieu » (p. 101).

Enfin, apparaît le « Dieu-homme » qui n’est autre que le « Christ russe », permettant à l’A. d’expliquer le « poème du Grand Inquisiteur ». On revient à la terre de ce peuple-Dieu ayant perdu Dieu mais dont la vocation est messianique.

Un ouvrage plaisant à lire, qui ose les raccourcis, obligatoires d’une introduction, grâce à un style enlevé et drôle, dont la thèse mériterait d’être déployée et qui aidera le lecteur à ne plus craindre de se retrouver lui-même dans chaque héros de cette œuvre métaphysique. — A. Massie s.j.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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