Ce n'est pas un hasard si Freud, dans sa découverte de la
psychanalyse, retrouve la tragédie grecque. Ce n'est pas un hasard
non plus s'il met au coeur de cette découverte le personnage
d'OEdipe, l'homme aveugle. L'expérience analytique a
immanquablement à faire avec le tragique de la condition humaine.
Toujours au singulier. Et cette expérience butte aussi sur un point
aveugle. En effet, elle tourne autour d'un point fixe sur lequel
elle vient s'échouer. Remobilisant le travail de pensée du patient,
elle ne sait pas ce qu'il peut découvrir en chemin. Elle ne
franchit pas le seuil d'une réponse venue d'ailleurs mais peut
rendre capable de se mettre à son écoute. D'où l'intention imprévue
de la psychanalyse. Le point aveugle est donc aussi bien ce qui
échappe à l'analysant qu'à l'analyste. Le premier avance en
s'aveuglant, en se leurrant au moyen d'un objet fantasmé qu'il
confond avec l'objet inatteignable de son désir. De son côté,
l'analyste ne peut occuper définitivement la place du sujet supposé
savoir aux yeux du patient. En position symbolique, il laisse
ouverte la porte à l'altérité.
C'est dire qu'il y a croisement entre l'analyse et l'ordre éthique
et religieux. Concordance sans concordisme. Le concept de
sublimation vient évidemment à l'esprit pour penser la relation. Il
n'est pas inapproprié pour autant qu'on y entende non une nouvelle
idéalisation (fût-ce celle de l'analyse) mais la possible remise
aux mains de l'analysant de donner sens à sa vie et à son
tragique.
Cet ouvrage a le mérite de la sobriété. Reprenant les éléments-clés
de l'expérience analytique, ses moments et ses procédures, sans
lourdeur théorique ni didactisme simplificateur, le texte fait son
chemin et conduit à reconnaître qu'il n'a pas le dernier mot. On
aurait souhaité que l'A. mette davantage en tension la place vide,
la part manquante en chacun et le nom de Dieu. Comment ce nom et
tout ce qu'il comporte peut-il «fonctionner» sans obturer le
manque? - H. Thomas, O.S.B.