Mémoire juive et nationalité allemande. Les juifs berlinois à la Belle Époque
J. EhrenfreundFilosofía - reviewer : Albert Chapelle s.j.
Pour montrer comment et pour qui fut écrite l'histoire juive, l'A. a opéré un dépouillement de première main d'archives et de journaux de l'époque. La recherche historique juive professionnalisée - scientifique - avait joué le rôle moteur dans une intégration imaginée, ou prétendue, alors sans mesure. Ainsi de M. Philipson (1872): «Tout le monde sait que les universités allemandes sont les plus hauts lieux de la science dans le monde civilisé… C'est pourquoi le judaïsme, après de multiples migrations, a choisi dans l'Allemagne sa demeure permanente» (p. 241). L'A. fait découvrir les lieux de la mémoire juive berlinoise, ses rituels et sa pédagogie (y compris livres pour enfants, manuels scolaires et romans historiques). Au moment où l'Allemagne se construisait nationalement à travers la relecture de son passé culturel, la minorité juive redéfinissait son identité et sa place au sein du nouvel état, en se dotant, suivant le modèle dominant, d'institutions historiques spécifiques (et non pas par l'engagement politique comme dans la France de l'affaire Dreyfus).
Mais «cet usage particulier de la nationalité et du discours historique n'a pas résisté à la nationalisation intégrale de la société allemande inhérente au nazisme» (p. 252). Le nationalisme intégral ici comme ailleurs exclut la transcendance divine et donc, si sécularisée qu'en soit la mémoire, l'élection juive. «Cet examen du judaïsme contemporain, cette étoile éteinte dont la lumière brisée et dispersée voyage encore à travers l'espace et le temps» (p. 253) laisse songeur. Du point de vue sociologique de l'A., cette immense entreprise était fragile et se brisa en raison du repli identitaire ethnocentrique de l'Allemagne. Sans doute. La nation est-elle devenue une idole si meurtrière? Sans doute encore, comme aux temps bibliques. Et l'identité juive demeure-t-elle toujours aussi irréductible à l'idolâtrie, y compris à celle de la sécularisation? - A. Chapelle, S.J.