Mémoire juive et nationalité allemande. Les juifs berlinois à la Belle Époque

J. Ehrenfreund
Philosophy - reviewer : Albert Chapelle s.j.
L'A. enseigne l'histoire de l'Europe contemporaine à l'Université de Bar Ilan (Israël). Le livre examine la question de la rencontre entre cultures juive et allemande à Berlin durant l'empire willelminien (1871-1914). Rejetant le terme d'assimilation, l'A. montre comment les transferts et les contacts culturels ont permis l'élaboration d'une culture judéo-allemande tentant de trouver les termes d'une intégration des Juifs comme Juifs dans la nation allemande. La minorité juive prend toute sa part de la nationalisation de l'espace social allemand. Elle poursuit à cet effet une modernisation de la culture mémorielle juive. Cette politique passe par le «discours et la pensée historique» (p. 204). Elle vise à redéfinir l'identité juive et à construire l'imaginaire social en référence à la culture allemande. Le discours historique judéo-allemand doit fournir au groupe les repères renouvelés sur lesquels faire reposer son existence. Il «sert de base à une mythologie nouvelle qui se concentre sur le culte de la souffrance passée» (p. 246) comme sur la richesse ancienne de la contribution juive à la culture allemande (Mendelsohn). «La solidarité nationale et minoritaire trouve dans le rappel d'événements douloureux (ghetto, expulsion d'Espagne…) un ferment solide qui peut servir de base à des revendications politiques» (p. 247) et le messianisme traditionnel devient mission culturelle universelle.
Pour montrer comment et pour qui fut écrite l'histoire juive, l'A. a opéré un dépouillement de première main d'archives et de journaux de l'époque. La recherche historique juive professionnalisée - scientifique - avait joué le rôle moteur dans une intégration imaginée, ou prétendue, alors sans mesure. Ainsi de M. Philipson (1872): «Tout le monde sait que les universités allemandes sont les plus hauts lieux de la science dans le monde civilisé… C'est pourquoi le judaïsme, après de multiples migrations, a choisi dans l'Allemagne sa demeure permanente» (p. 241). L'A. fait découvrir les lieux de la mémoire juive berlinoise, ses rituels et sa pédagogie (y compris livres pour enfants, manuels scolaires et romans historiques). Au moment où l'Allemagne se construisait nationalement à travers la relecture de son passé culturel, la minorité juive redéfinissait son identité et sa place au sein du nouvel état, en se dotant, suivant le modèle dominant, d'institutions historiques spécifiques (et non pas par l'engagement politique comme dans la France de l'affaire Dreyfus).
Mais «cet usage particulier de la nationalité et du discours historique n'a pas résisté à la nationalisation intégrale de la société allemande inhérente au nazisme» (p. 252). Le nationalisme intégral ici comme ailleurs exclut la transcendance divine et donc, si sécularisée qu'en soit la mémoire, l'élection juive. «Cet examen du judaïsme contemporain, cette étoile éteinte dont la lumière brisée et dispersée voyage encore à travers l'espace et le temps» (p. 253) laisse songeur. Du point de vue sociologique de l'A., cette immense entreprise était fragile et se brisa en raison du repli identitaire ethnocentrique de l'Allemagne. Sans doute. La nation est-elle devenue une idole si meurtrière? Sans doute encore, comme aux temps bibliques. Et l'identité juive demeure-t-elle toujours aussi irréductible à l'idolâtrie, y compris à celle de la sécularisation? - A. Chapelle, S.J.

newsletter


the journal


NRT is a quarterly journal published by a group of Theology professors, under the supervision of the Society of Jesus in Brussels.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgium
Tél. +32 (0)2 739 34 80