Personne ! L’existence numérique ou la négation de la chair

Antoine Vidalin
Filosofía - reviewer : Marie-Gabrielle Lemaire

Née au cœur de la « crise sanitaire » qui a vu nos vies basculer dans un contrôle numérique accéléré joint à une certaine désincarnation des relations humaines, la réflexion proposée dans ce livre offre un discernement des enjeux anthropologiques de la « culture numérique ». Celle-ci est plutôt comprise comme un matérialisme qui va à l’encontre du développement de la culture et de la personne humaine, sur ce critère de discernement fondamental : « l’incarnation ne vient pas après l’homme, mais le précède et le rend possible » (p. 11). C’est dans le fait de l’Incarnation de Dieu, compris théologiquement avec le concours de la phénoménologie, en particulier de Michel Henry, que l’A. (prof. aux Bernardins, membre du Comité de rédaction de la NRT) situe l’avènement de notre civilisation. C’est donc aussi à cette lumière que peut être reconnue la déshumanisation opérée dans l’ère numérique.

Analysée depuis les origines, la culture numérique est identifiée dans sa volonté de reproduire le sensible pour ensuite le remplacer par la reproduction codée qui en est faite. Si le numérique se présente d’abord comme une réalité augmentée, il finit par s’imposer comme le seul monde réel. La « culture » numérique s’inscrit en effet dans une tradition matérialiste qu’elle semble conduire à son comble. « Le matérialisme numérique porte en lui une capacité totalitaire à laquelle n’ont même pas osé rêver les totalitarismes du xxe s. Le traitement sanitaire de la pandémie de Covid-19 en constitue une première réalisation inquiétante » (p. 66). Avec lucidité, l’A. perçoit que le processus du tout-numérisable n’en est encore qu’à ses débuts et, contre l’idée d’un auto-développement inévitable auquel nous ne pourrions rien changer, il rappelle à juste titre que « le matérialisme numérique n’est pas venu par hasard. Il a été voulu » (p. 70). L’être humain s’est délibérément démis de sa liberté pour s’affirmer d’une manière de plus en plus absolue, et vide tout à la fois, en tant qu’individu : « non plus une personne vivante constituée par sa relation à Dieu et aux autres, mais Personne ! » (p. 71). Enfin, nous saluons l’apport audacieux du dernier chapitre, « Apocalypse », qui donne le sens spirituel de ce qui précède en le plaçant dans la perspective du combat spirituel et de « l’option absolue : pour ou contre le Christ » (p. 79). L’enjeu de ce combat est « l’homme en tant qu’image de Dieu, appelé à devenir fils de Dieu pour librement collaborer à l’œuvre divine » (p. 86), en somme, tout ce que compromet radicalement le matérialisme numérique. Ce dernier s’en trouve débusqué dans sa racine idolâtrique asservissante. On ne s’en affranchira que moyennant un « jeûne numérique » qui implique de se réconcilier avec la finitude de la chair. La fragilité de la chair est elle-même un chemin de révélation puisque le Verbe s’est fait chair, et que par Lui, « la chair est devenue Verbe » (p. 12). Témoigner du Christ conduit l’A à témoigner de la dignité des enfants de Dieu en apportant ainsi au « monde esseulé » le témoignage qu’il attend de l’Église. — M.-G. L.

newsletter


the review


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80