Le jésuite Henri Laux signe ici un très beau livre, absolument passionnant, dont le sujet est très clair dans le titre.

Dans une 1e partie bien documentée (pp. 17-78), le professeur du Centre Sèvres retrace le conflit historique entre Spinoza et le christianisme autour de théologoumènes de Dieu, du Christ et de l’Écriture. Les réactions de ses contemporains sont évoquées en détail, de même que les premières réponses de Spinoza. Le rapport de ce dernier à Jarig Jelles, un proche mennonite du philosophe qu’il poussa à rédiger une Profession de foi, sert à montrer qu’il y a eu « une rencontre de Spinoza avec le christianisme » (p. 72).

Une seconde partie – remarquable également – sonde (pp. 79-158) la manière avec laquelle les grands théologiens chrétiens du xxe siècle ont affronté la pensée de Spinoza. L’A. nous montre l’existence de deux courants assez distincts. D’un côté un bloc de penseurs à peu près inintéressés (Balthasar, Lubac…) à la question spinoziste ou qui sont dans une attitude très polémique à son égard (Barth), de l’autre au contraire des théologiens de tendance « dialogale » (p. 145) qui mobilisent les ressources de la pensée spinoziste : Tillich, mais aussi Moingt ou Breton. Regrettons seulement que Hegel n’ait pas été compté parmi les théologiens classiques qui se sont inspirés de l’auteur de l’Éthique, et que la réception blondélienne de Spinoza n’ait fait l’objet que d’une rapide note de bas de page (p. 147, n. 1). Mais nous pinaillons : l’important est de voir, à la suite du P. Laux, que l’œuvre de Spinoza a fini par être comprise « pour elle-même » et à féconder le travail de la pensée chrétienne elle-même.

Se pose alors naturellement la question-clé, où l’ouvrage se fait magistral : qu’apporte donc Spinoza à la « pensée chrétienne aujourd’hui » (chap. 3, pp. 159-226) ? Deux thèmes sont abordés : la question de l’affirmation de Dieu, tout d’abord. Celui de la « condition humaine » ensuite. Cette dernière est fortement valorisée par Spinoza, à travers la capacité de l’entendement humain à laisser la vérité se découvrir, à travers une « finitude positive » par contraste avec la misère pascalienne, à travers un sens profond de l’histoire humaine. Jamais la raison n’apparaît ici hégémonique, mais elle est le fondement d’une liberté de pensée où l’homme prend sa dignité. Sur la question de Dieu, il y a également un gain pour les chrétiens à lire Spinoza qui nous fait sentir « l’ampleur de l’affirmation de Dieu : Dieu au commencement, compris comme infinie présence ; alors le panthéisme déploie le mouvement d’une totalité unifiée ; le Christ déborde son histoire propre par la présence de son esprit en tout temps et en tout lieu ; et expérience de Dieu il y a enfin, affective et rationnelle à la fois dans sa dimension d’éternité » (p. 222).

À quoi le chrétien peut-il s’intéresser au final dans la philosophie de Spinoza, se demande en conclusion l’A. La réponse fuse : « À tout » (p. 227). Effectivement, ce livre en est une démonstration brillante, la pensée de Spinoza peut inspirer aujourd’hui encore la pensée chrétienne, comme elle enflammait jadis la jeunesse du Stift de Tübingen. Peut-être seulement faudrait-il encore, une fois ce riche ouvrage refermé, reprendre les classiques analyses de Delbos, qui montrent aussi quel « bougé » insondable règne dans la pensée de Spinoza, laquelle n’a rien d’un bloc marmoréen mais est mobile en elle-même. Ce mouvement, qui l’empêche de clôturer, est aussi une invitation pour le chrétien à reprendre la route après la rencontre avec Spinoza et à ne pas s’arrêter en si bon chemin… — E. Tourpe

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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