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Woman in the formation of priests: a cultural revolution ?

Marie-Laetitia Calmeyn o.v.
This intervention in the symposium of the Congregation for the doctrine of the faith on the role of women in the Church (Rome, 26-28 Sept. 2016) examines the « eucharistic grace of woman » through the mediation of feminine Biblical characters : the woman with the perfume, Mary the mother of Jesus, Mary Magdalene, Eve. The encounters of Christ with these women brought him to his perfection in the fulfilment of his priesthood.

Selon l’épître aux Hébreux – seul écrit du Nouveau Testament qui, d’une manière claire, donne au Christ le titre de grand prêtre –, c’est en tant qu’il est « conduit à sa perfection » (He 2,10 ; 5,9) que Jésus est consacré grand prêtre. À travers l’offrande qu’il fait de sa vie, Notre Seigneur manifeste sa « perfection de Fils »1, de Fils du Père et de fils de l’homme. Les évangiles décrivent la manière dont il se laisse conduire dans l’Esprit Saint par ceux qu’il mène à leur propre perfection (cf. He 4), par ceux qu’il sanctifie (cf. Jn 17). Parmi eux, il y a Marie et Joseph, les apôtres et disciples. Nous pourrions, en ce sens, méditer longuement le contenu de ce verset lucanien : Jésus « croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2,52). Cette croissance vécue dans l’obéissance laisse supposer que le Seigneur a appris à prier et à célébrer, que ses parents lui ont enseigné les psaumes, les fêtes, qu’ils lui ont donné de découvrir et de contempler l’amour de l’homme et de la femme (vécu dans une radicale chasteté) et, par là même, l’amour de Dieu. Ensuite, durant sa vie publique, il y a les rencontres parfois ponctuelles mais pas moins saisissantes. Il est en effet impressionnant de voir comment le Seigneur se laisse « informer » par la foi d’une cananéenne ou d’un centurion, comment il se laisse abreuver par une samaritaine, toucher par une femme hémorroïsse, oindre par l’amour d’une pécheresse, émouvoir de compassion par la mort d’un homme, interpeller par l’enthousiasme des enfants, comment il se laisse blesser et mettre à mort par les pécheurs que nous sommes et comment, ressuscité, il se laisse annoncer par ses apôtres et disciples. Chacune de ces rencontres le conduit à sa perfection, dans l’accomplissement de son sacerdoce.

La prière sacerdotale précise que ceux qui sont sanctifiés par et dans le Fils seront eux-mêmes conduits à leur perfection par ceux qu’ils sanctifient (Jn 17,19-21). Cette unité dans la grâce sacerdotale est biblique et traditionnelle. Elle se trouvait déjà exprimée en Ex 19,6 : « Et maintenant, si vous entendez ma voix et gardez mon alliance, vous serez ma part personnelle parmi tous les peuples, puisque c’est à moi qu’appartient toute la terre. Et vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte ». Et dans l’Apocalypse nous lisons : « il a fait de nous un royaume, des prêtres » (Ap 1,6). Le mot hiéreus y est appliqué aux chrétiens (cf. Ap 5,10). Ils sont les serviteurs qui dans le Royaume rendront un culte à l’Agneau de Dieu. C’est ainsi qu’ils règneront pour les siècles (Ap 22).

Vatican ii explicite comment ce sacerdoce se réalise dans le déploiement de la grâce baptismale tout entière ordonnée à l’eucharistie (cf. LG 10). C’est la vie des baptisés, et plus largement la vie de tous les hommes, qui constitue la matière du sacrement. En célébrant l’eucharistie in persona Christi, le ministre ordonné est le signe que l’Église ne se donne pas à elle-même le sacerdoce qu’il sert. Elle le reçoit du Christ. L’unité de l’Église et en particulier l’articulation sacerdoce baptismal - sacerdoce ministériel ne se vit et ne se comprend qu’à la lumière de l’unique sacerdoce du Christ2. Le fait que l’appel au sacerdoce ministériel se détermine à travers la vie et l’appel de l’Église manifeste qu’il naît de l’Église, à l’intérieur de l’Église. Même si la grâce déborde celle-ci, c’est, d’une manière ou d’une autre, toujours par l’Église, c’est-à-dire concrètement à travers la vie d’hommes, de femmes, d’enfants, que naît et grandit une vocation sacerdotale. La question posée dans le cadre de ce symposium nous centre sur le rôle des femmes dans la formation sacerdotale : « Qu’apporte la femme, en tant que femme, dans la formation des séminaristes et prêtres ? »

Quand Paul vi a nommé des femmes docteurs, comme Catherine de Sienne et Thérèse d’Avila, il a franchi un pas important qui reflétait ce que bon nombre de prêtres exprimaient déjà. Il n’est pas rare d’entendre dans un récit de vocation comment une mère, une sœur, une amie, a permis à un homme de croître vers le sacerdoce, de comprendre sa vocation sacerdotale. Et, si c’est entre autres grâce à des figures comme Thérèse de l’Enfant-Jésus ou Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein) que Jean-Paul ii parlera du génie féminin, ce sont bien toutes les femmes qui sont concernées lorsqu’il écrit :

Immense est la force spirituelle de la femme. Une fois libérée, elle ose une intrépidité beaucoup plus grande, une promptitude pour les sacrifices telle que l’homme (masculin) n’ose y penser. C’est justement dans cette conscience que l’Église répète les paroles du Cantique des Cantiques : « Oh comme tu es belle mon amie ! »3.

Benoît xvi fera à plusieurs reprises référence à cette grâce eucharistique de la femme4 qui selon le pape François déborde et fonde le sens hiérarchique de l’Église, le sens de l’ordination sacerdotale.

Le chemin parcouru depuis Vatican ii est important et nous invite à faire un pas de plus, à préciser davantage : quel est donc le rôle de la femme dans la formation des prêtres ?

Il m’a semblé que le seul lieu possible pour aborder un tel sujet est ce qui fonde et oriente la formation sacerdotale elle-même, c’est-à-dire : la Parole de Dieu dans la Tradition, dans la vie de l’Église, la Parole de Dieu en tant qu’elle s’inscrit dans notre cœur, éclaire notre vocation d’homme et de femme, oriente nos engagements, informe notre agir et donne sens à la mission.

Je vous propose donc de nous référer à quatre figures bibliques qui, parmi tant d’autres, ont conduit Notre Seigneur « à sa perfection ». Si nous ignorons le nom de la première, on la reconnaît aisément à travers son geste. Il s’agit de la femme qui versa un parfum très précieux sur la tête de Jésus. Dans l’évangile selon saint Matthieu, ce geste permet à Jésus d’introduire ses disciples dans son sacerdoce.

Présentes à la croix, les deux figures suivantes sont assez traditionnelles : Marie, mère de Jésus et Marie-Madeleine. Nous verrons comment chacune exprime à travers son être le mystère pascal, comment chacune s’associe au sacerdoce de Jésus en y entraînant les disciples.

La quatrième est peut-être un peu plus originale : c’est la figure d’Ève. Cette dernière nous donnera de préciser, d’une part l’importance du vis-à-vis homme-femme dans la formation des prêtres et, d’autre part, le rôle spécifique de la femme par rapport au sacerdoce. Marquée par les douleurs de l’enfantement, son consentement perpétuel et intime au salut fait d’elle une aide plus qu’assortie : une aide sacerdotale, c’est-à-dire qui permet à l’homme de discerner le salut à l’œuvre à travers les gémissements de la création. Nous tâcherons ainsi de montrer comment ces quatre figures éclairent le quotidien d’une femme au service de la formation des prêtres.

I « On redira, à sa mémoire ce qu’elle vient de faire »

Comme Jésus se trouvait à Béthanie, chez Simon le lépreux, une femme s’approcha de lui, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum très précieux, et elle le versa sur sa tête, tandis qu’il était à table. À cette vue les disciples furent indignés : « À quoi bon ce gaspillage ? dirent-ils ; cela pouvait être vendu bien cher et donné à des pauvres. » Jésus s’en aperçut et leur dit : « Pourquoi tracassez-vous cette femme ? C’est vraiment une bonne œuvre qu’elle a accomplie pour moi. Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. Si elle a répandu ce parfum sur mon corps, c’est pour m’ensevelir qu’elle l’a fait. En vérité je vous le dis, partout où sera proclamé cet Évangile, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire ce qu’elle vient de faire. »

(Mt 26,6-12)

Cette onction chez Simon le Lépreux fait écho à celle qui eut lieu chez Simon le pharisien dans l’évangile selon saint Luc (cf. Lc 7). C’étaient les pieds du Seigneur qui alors avaient été oints. Jésus fait de ce geste posé par une pécheresse le lieu même de son enseignement : « c’est parce qu’elle a beaucoup aimé que ses nombreux péchés lui sont pardonnés ». Ce n’est pas la première fois qu’un geste posé par une femme se présente comme une occasion pour introduire les disciples au mystère du Christ. Saint Luc en fait même le « leitmotiv » de son évangile. Le consentement de la Vierge au moment de l’incarnation : « qu’il me soit fait selon ta parole », figure l’attitude de tout disciple, sans cesse appelé à écouter cette Parole de Dieu qu’est Jésus et à la mettre en pratique.

Le récit de l’onction selon saint Luc et celui que relate l’évangile selon saint Matthieu semblent décrire un seul geste, une seule onction des pieds à la tête, et qui correspond, comme le laisse penser la Tradition, au relèvement d’une femme. L’évangile selon Matthieu insiste davantage sur le caractère gratuit de l’acte posé. L’offrande, qui selon certains aurait pu bénéficier aux pauvres, vient mettre en lumière le destin unique du Dieu fait homme, l’accomplissement de son sacerdoce : le don qu’il fait de sa vie. Paradoxalement, ce même geste vient révéler l’endurcissement des cœurs qui dans l’Évangile selon saint Jean se concentre sur la figure de Judas (cf. Jn 12,6), sur celui qui livrera le Seigneur. Le geste de la femme permet à Jésus de témoigner de la liberté avec laquelle il donne sa vie, malgré la trahison, invitant ainsi les disciples à entrer plus encore dans la dimension gratuite du sacrifice. « Si elle a répandu ce parfum sur mon corps, c’est pour m’ensevelir qu’elle l’a fait. » À cette parole de reconnaissance : « En vérité, je vous le dis, partout où sera proclamé cet Évangile on redira à sa mémoire ce qu’elle vient de faire » fait écho le commandement que le Seigneur laissera à ses disciples : « Faites ceci en mémoire de moi. » Si la proclamation de l’évangile en appelle à la mémoire du geste posé par la femme, c’est précisément parce qu’il nous révèle la personne du Christ et plus précisément l’accomplissement de son sacerdoce, l’offrande de sa vie « pour la rémission des péchés » (Mt 26,28), dans lequel s’inscriront les apôtres.

Cette onction – de la tête aux pieds – du corps de Jésus conduit notre réflexion sur ce qui forme au fond un cœur de prêtre. Si la mémoire d’un prêtre peut être marquée par les enseignements qu’il a reçus, son être sacerdotal n’est-il pas plus profondément façonné par ces gestes que l’on ose à peine nommer tant la profondeur nous échappe, ces gestes qui révèlent la façon dont la femme s’associe quotidiennement à la grâce du salut ? Il suffit très simplement de penser au quotidien de certaines mères de famille, consacrées, veuves, femmes célibataires, bref, à ces actes bien souvent cachés (parfois lourds à porter) et dont la gratuité se manifeste à travers ce surcroît de délicatesse qui enveloppe un comportement, une relation, une demeure, ce surcroît qui fait que les lieux deviennent « habitables ». À travers le visage de mes frères prêtres s’exprime « la mémoire de ce qu’elles ont fait », et de ce qu’elles font pour accompagner ce chemin dans et vers le sacerdoce, ce chemin vers et dans la totale gratuité, ce chemin de salut. Qu’il me soit aussi permis d’évoquer toutes celles qui dans le secret de leur cœur se sont associées à ce sacerdoce en renonçant à un amour humain dont elles rêvaient et en acceptant d’y voir un don encore plus grand : celui du pardon pour tout homme. Ces gestes forment le cœur d’un prêtre.

II « Voici ton fils… Voici ta mère »

Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui. Après quoi, sachant que désormais tout était achevé et pour que l’Écriture fût parfaitement accomplie, Jésus dit : « j’ai soif. » Un vase était là, rempli de vinaigre. On mit autour d’une branche d’hysope une éponge imbibée de vinaigre et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « c’est achevé » et, inclinant la tête, il rendit l’esprit.

(Jn 19,25-30)

Ce qui se vit à la croix se trouve annoncé dans le dernier verset de la prière sacerdotale : « Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux » (Jn 17,26). Si la femme reçoit le disciple bien-aimé comme son fils, c’est parce qu’unie à Jésus et au Père, jaillit désormais en elle le don de vie éternelle que Dieu fait à l’homme. Et si le disciple bien-aimé peut recevoir Marie comme mère, c’est parce qu’il aime Jésus de l’amour même dont il est aimé, c’est-à-dire de l’amour du Père, qui trouve en Marie sa première expression. L’évangéliste décrit cette heure en termes d’« achèvement ».

L’achèvement dont il est question correspond à celui dont parle l’auteur de l’épître aux hébreux, il s’agit de la perfection à laquelle Jésus est conduit. Sa filiation divine et humaine, son amour se manifestent jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême. Cet achèvement conduit à l’accomplissement des Écritures : « Après quoi, sachant que désormais tout était achevé et pour que l’Écriture fût parfaitement accomplie, Jésus dit : “J’ai soif” » (Jn 19,28). C’est après avoir confié le disciple bien-aimé à sa mère et sa mère au disciple que le Seigneur se laisse traverser par la soif de l’humanité. À travers eux, à travers la manière dont ils s’unissent à son sacerdoce, le Seigneur fait sienne la soif de tout homme. Parce qu’elle devient alors celle-là même de Dieu, cette soif va irriguer toute l’histoire du salut. Ainsi se réalise cette parole de Jésus adressée à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Jn 4,10)

En prenant le vinaigre, Jésus va jusqu’au bout de ce que l’homme lui donne de vivre. Il se laisse conduire jusqu’à sa perfection par l’humanité. C’est en se faisant ainsi frère universel qu’Il est parfaitement fils du Père, qu’il est l’unique grand prêtre (la mention de l’hysope accentue le caractère sacerdotal, cf. He 9,19-22). Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « c’est achevé » et, inclinant la tête, il rendit l’esprit.

En saint Jean, cette alliance trouve un premier lieu d’expression aux Noces de Cana (Jn 2). La mère de Jésus y avait appelé les disciples à l’obéissance : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». Comme à la croix, la foi des serviteurs des noces s’insère dans la foi et l’obéissance de la « femme ». Il y a une unité profonde qui se profile. Celle-ci se réalisera dans l’offrande que le Seigneur fait de sa vie, cette offrande qui trouve son achèvement à travers l’offrande de sa mère et du disciple bien-aimé et plus encore dans le don que le Seigneur leur fait : « Voici ton fils, voici ta mère ».

Faire ce que Jésus dit, c’est accueillir jusqu’au bout la parole qu’il est, et donc toute sa personne traversée par la soif, la souffrance et la mort de l’homme et plus profondément encore par l’amour qui sauve. Sauver et constituer son Église, pour le Christ, c’est la créer sacerdotale, c’est la rendre tout entière participante de son sacerdoce, c’est faire d’elle « un royaume de prêtres et une nation sainte » (Ex 19,6).

À l’interpellation de Marie à Cana : « Il n’y a pas de vin », répond non seulement le miracle qui consistait à changer l’eau en bon vin, mais plus profondément encore la soif de Jésus, l’achèvement, la façon dont il rejoint l’humanité jusqu’à l’extrême, nous donnant par la grâce de l’Eucharistie de nous unir à cette humanité.

La présence de la mère à Cana et à la croix nous invite à redécouvrir ce rôle décisif de la femme dans la formation des prêtres. S’unissant au sacerdoce de son Fils, Notre-Dame y introduit le disciple bien-aimé. Ces quelques lignes de Hans Urs von Balthasar peuvent nous éclairer en ce sens :

Avant que n’intervienne dans l’Église le ministère masculin, l’Église comme femme et « aide de l’homme » (Gn 2,20) est à l’œuvre. Et une action ministérielle ne peut être exercée, en tant que telle, par des prêtres dans une Église dont le mystère est celui du Fils incarné, crucifié et ressuscité, que si elle est assumée d’abord par la femme qui est « plus que ministre » et qui contient en elle tout le ministère, l’unique qui prononce le « oui » nécessaire à l’incarnation du Verbe5.

Mais comment décrire cette « œuvre » féminine qui donne sens au ministère sacerdotal ? Nous avons évoqué ces gestes posés par des femmes et qui marquent l’être du prêtre, ces gestes sont le signe d’une sensibilité, d’une attention toute particulière à l’être humain. Si la femme est un vis-à-vis pour l’homme (nous y reviendrons), la mère porte en elle l’être humain dès son commencement. Son être participe à ce commencement de vie et à sa croissance. C’est pourquoi elle bénéficie spontanément d’une connaissance très unifiée de la personne humaine. La femme consacrée reçoit ce don à travers sa relation au Christ à qui elle s’unit et qu’elle porte en elle. Le discernement féminin sera donc marqué par cette attention à la personne, au corps, aux souffrances, à la faiblesse. Il sera attentif à la manière dont le Salut s’y révèle pour en témoigner, pour le communiquer à travers toute sa personne. On découvre à travers la Vierge Marie comment « ce discernement du corps » est sacerdotal. Il ne se vit qu’en communiant à l’offrande du Christ. Jésus offre au Père ce qu’il contemple au cœur de son Église et donc de l’humanité : la soif, la souffrance, la mort et plus profondément son amour, sa fidélité, sa beauté. Il nous donne d’y recueillir cette vie éternelle promise à chacun.

La figure de Notre-Dame peut sembler un peu lointaine, inatteignable, ne pouvant rejoindre nos préoccupations. Cependant, ce qui caractérise sa maternité, c’est qu’elle est porteuse d’une grâce immédiatement communicable, il s’agit de la grâce qui épouse le mieux notre humanité : cette miséricorde plus profonde que le péché et dont témoigne la vocation sacerdotale. Le « oui » de Marie se prolonge à travers la personne de Marie-Madeleine et en chacune et chacun de nous.

III « Va trouver mes frères et dis-leur… »

Marie se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Or, tout en pleurant, elle se penche vers l’intérieur du tombeau et elle voit deux anges en vêtements blancs, assis là où avait reposé le corps de Jésus, l’un à la tête et l’autre aux pieds. Ceux-ci lui disent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur dit : « Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis. » Ayant dit cela, elle se retourna, et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le prenant pour le jardinier, elle lui dit : « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et je l’enlèverai. » Jésus lui dit : « Marie ! » Se retournant, elle dit en hébreu « Rabbouni ! » – ce qui veut dire : « Maître. » Jésus lui dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Marie de Magdala vient annoncer aux disciples : « J’ai vu le Seigneur » et qu’il lui a dit cela.

(Jn 20,11-18)

Si, comme nous venons de le voir, l’offrande de Jésus nous introduit dans l’achèvement, il semble que celui-ci trouve son sens plénier à la lumière de la résurrection. Après lui être apparu, Jésus envoie Marie de Magdala auprès des disciples, non pas seulement pour raconter ce qui s’est passé, mais pour annoncer ce qui est en train de se passer : le Christ est ressuscité, il monte vers le Père, manifestant ainsi sa perfection de Fils, son sacerdoce, le salut accordé à l’homme.

À la demande de Marie-Madeleine au sujet du corps de son Seigneur : « Dis-moi où tu l’as mis », le Christ ne répond-il pas précisément « Marie ! » ? Le Seigneur ressuscité apparaît au cœur de l’humanité et lui révèle sa vocation. Marie est envoyée en mission auprès des apôtres pour leur annoncer la bonne nouvelle, ce qu’elle a vu et ce qu’elle a entendu : « Il monte vers son Père et Notre Père, vers son Dieu et Notre Dieu ». L’événement de la résurrection se communique par ses sens (à travers ce qu’elle a vu et entendu), à travers sa personne. On peut imaginer la beauté dont elle devait rayonner. En communiquant ce qu’elle a vu et entendu, Marie exprime ce qu’elle vit, la façon dont elle se laisse rejoindre par la grâce de la résurrection, par la vie éternelle. C’est à travers une femme, et plus précisément cette femme, que le Ressuscité se manifeste aux apôtres, qu’il leur donne de participer à sa perfection. C’est pourquoi saint Jean présente l’apparition aux disciples dans le prolongement de cette annonce. Jésus désormais uni au Père leur donne l’Esprit Saint : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez ils leur seront retenus » (Jn 20,22-23). Dans les récits d’apparitions qui suivent, le Seigneur se donne à toucher (cf. Jn 20,24-29). Il rejoint de plus en plus ses disciples en leur humanité, les associant à son pardon, à son sacerdoce6.

Marie-Madeleine parle de ce qu’elle a vu, de ce qu’elle a entendu… Cette expression correspond à la manière dont le Seigneur apparaît en son corps qui est l’Église. Et, comme le précise saint Jean, l’annonce de ce que nous avons vu, de ce que nous avons entendu et contemplé, de ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie, est ce qui fait grandir la communion (1 Jn 1,1-4). Cette description de l’annonce apostolique donne de reconnaître la façon dont Marie-Madeleine inaugure cette mission.

Comme enseignante en théologie, on peut être confrontée à la perplexité des séminaristes et prêtres face au langage de la femme qui a plus immédiatement tendance à intégrer la corporéité, le vécu. On peut les rassurer en leur disant que leur étonnement est l’expression même d’un salut à l’œuvre. Tout en étant confronté aux conséquences du premier péché qui en nous séparant de Dieu a aussi abîmé, obscurci la relation homme-femme, il s’agit plus encore d’y découvrir la grâce qui s’y révèle.

IV L’« aide assortie »

L’homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais pour un homme, il ne trouva pas l’aide qui lui fût assortie. Alors le Seigneur Dieu fit tomber une torpeur sur l’homme, qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, le Seigneur Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme. Alors celui s’écria : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée « femme », car elle fut tirée de l’homme celle-ci ! C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. Or tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre.

(Gn 2,20-22)

Ce vis-à-vis de l’homme et de la femme montre comment, tout en reconnaissant la ressemblance, l’homme confesse aussi l’altérité : celle-ci sera « appelée » femme. En hébreu, le verbe « appeler » est un passif divin. L’homme nomme les animaux mais en ce qui concerne la femme il reprend le nom donné par Dieu. Elle est à la fois semblable : « l’os de mes os, la chair de ma chair » et autre. Cette altérité est la marque même du créateur. Elle éveille l’homme et suscite l’admiration. Elle signifie l’origine de sa création. L’être humain n’est pas seulement issu de ses parents, il est voulu et donné à lui-même par son Créateur. Le vis-à-vis homme-femme permet de reconnaître et de confesser cette origine, de se situer par rapport au Créateur et donc de quitter son père et sa mère. La relation au Seigneur est le lieu même à partir duquel l’être humain contemple ce don qu’est l’autre et par là même le don qu’il est pour lui-même, sa propre humanité : non pas seulement son être homme ou femme, mais plus profondément encore cet homme qu’il est, ou cette femme qu’elle est : l’être personnel. Même s’il se vit sous un mode particulier, c’est-à-dire marqué par le célibat pour le royaume, ce rapport à l’altérité est assez décisif dans la formation d’un prêtre pour qu’il puisse y intégrer son humanité et garder un cœur de chair. Nous y reviendrons.

On ne peut oublier l’abîme inscrit par le péché originel dans cette relation fondatrice. L’homme et la femme détachés de Dieu ne perçoivent plus le don qu’ils sont l’un pour l’autre et pour eux-mêmes, ils se défient l’un de l’autre. Hors de Dieu, l’altérité n’est plus perçue comme un chemin d’accès à la communion, à ce surcroît de vie, qui dans l’ordre de la création s’exprime à travers le don de l’enfant. À cause du péché, l’altérité perd son sens originel, devient un lieu obscur dont on se défend, dont on a honte, une différence qu’il faut effacer en la maîtrisant, en la convoitant. Si comme le décrit le livre de la Genèse, ces conséquences du péché sont révélées, c’est parce qu’il n’y a qu’à la lumière de Dieu qu’on peut les porter, c’est-à-dire en demeurant en relation avec le Seigneur qui nous rejoint plus profondément que le péché, qui se rend présent au cœur de la malédiction, jusqu’à la faire sienne. Cette présence de Dieu à sa créature s’exprime avec force à travers « les douleurs de l’enfantement ». Notons qu’il s’agit de la seule malédiction concernant l’être humain où le Seigneur est sujet, puisqu’il dit « Je multiplierai les peines de tes grossesses » (Gn 3,16). Touchant l’origine même de la vie, il s’agit de la conséquence la plus profonde, la plus difficile à porter. C’est pourquoi le Seigneur s’y rend présent. La femme se trouve ainsi très intimement associée au salut de Dieu. Par l’incarnation, la Vierge Marie témoigne du consentement entier de la femme à ce salut.

La rédemption accomplie dans le Christ nous donne non seulement de redécouvrir l’ordre de la création, c’est-à-dire comment la vie est un don, mais plus profondément encore comment elle signifie le pardon. La création, l’homme et la femme deviennent l’un pour l’autre le signe même de l’amour du Christ. Ce salut ne réfère pas seulement au don de la vie, mais donne plus immédiatement accès à la vie éternelle. C’est ce rapport à la vie éternelle qui permet de choisir librement le célibat pour le Royaume, de le vivre, certes en déployant sa masculinité ou sa féminité, et plus profondément encore toute sa personne. C’est alors que l’on peut s’associer librement au sacrifice du Christ : car le sacerdoce ne consiste pas seulement à donner sa vie, mais en donnant sa vie à donner la vie du Christ. C’est cette vie du Christ que le prêtre est appelé à servir au cœur de ses relations, c’est elle qui lui donne de vivre dans la chasteté (reconnaître le don qu’est l’autre) et dans la charité (reconnaître qu’il est pardon).

Il peut y avoir chez ceux qui ont choisi de vivre un célibat pour le Royaume une tendance à se défier de la convoitise avant même qu’elle n’apparaisse, en évitant la relation. Il en résulte un endurcissement grandissant, une perte d’humanité et donc un défaut de discernement. Il me semble que différentes formes de cléricalisme découlent de ce phénomène.

Jean-Paul ii décrit comment c’est à la lumière de l’amour de Dieu pour sa créature, à la lumière de l’amour du Christ que l’on intègre sa propre humanité7. Pour garder un cœur de chair qui soit aussi un cœur de prêtre, il importe de consentir au salut au cœur des relations.

Nous percevons ainsi à la lumière du livre de la Genèse comment la femme marquée par les peines de l’enfantement peut aider à reconnaître ce salut auquel elle consent intimement. C’est ainsi qu’elle pourra à travers sa présence, ses gestes, sa parole, inviter le séminariste ou le prêtre à se configurer toujours davantage à ce salut qui se fait chair, au Christ. La relation ne s’exprime plus dès lors seulement en termes de complémentarité, mais plutôt – et oserais-je un nouveau mot – en termes de « contemplarité ». Il s’agit de contempler la façon dont l’homme se laisse configurer au sacerdoce du Christ, pour le lui signifier dans l’exercice du sacerdoce commun. On peut, dès lors, selon une proposition de ce symposium, parler d’une véritable « révolution culturelle ». Car lorsque l’homme et la femme se situent ainsi l’un vis-à-vis de l’autre à la lumière de l’unique sacerdoce du Christ signifiée dans le ministère, ils recueillent pour le monde la Vie de Dieu et peuvent la faire croître à travers les différentes sphères de la société.

Que l’on soit enseignante en théologie auprès de séminaristes ou catéchiste qui accompagne leurs premières expériences pastorales, que l’on soit intendante au séminaire, ou bien une religieuse qu’ils croisent à l’hôpital où ils sont envoyés, que l’on soit une amie, une sœur, une mère, le rôle de la femme dans la formation sacerdotale est d’accompagner séminaristes et prêtres vers et dans leur consentement perpétuel au salut de Dieu pour l’homme.

Ce qui caractérise le discernement féminin, c’est qu’il est capable d’éclairer ce cheminement vers et dans le sacerdoce au cœur de la relation homme-femme. C’est lorsque l’autre est reconnu comme le signe même de la présence du Créateur et Seigneur, comme l’expression d’un salut qui peut être recueilli dans le secret du cœur, que la relation se vit comme un chemin de liberté. L’homme accède de plus en plus à toutes les dimensions de son humanité. Comment le séminariste assume-t-il sa masculinité, sa personnalité ? Comment le rayonnement de son être devient-il de plus en plus l’expression même de ce sacrifice qu’il vit à travers le célibat pour le Royaume (dans l’Église latine), sacrifice qui exprime la façon dont il s’unit de plus en plus à celui du Christ pour le célébrer ? Former un cœur de prêtre, c’est d’abord veiller à ce que ce cœur demeure ou devienne un cœur de chair, c’est-à-dire qui assume la chair en l’intégrant, et cela n’est possible que s’il assume et intègre plus encore la chair du Christ, que s’il s’unit à Sa Personne.

Éprouvée par les douleurs de l’enfantement, la femme a un rapport particulier au salut (les douleurs ne se limitent pas à la gestation et à l’accouchement, elles touchent, la vie durant, l’être même de la femme). Rappelons que ces douleurs sont la seule conséquence du péché (de l’homme) que le Seigneur fait immédiatement sienne, dont il est sujet (je multiplierai les peines). La femme est ainsi, à la suite de Notre-Dame, perpétuellement conduite à consentir au plus profond de son être au salut. Ses gestes, sa présence, sa parole signifient ce consentement. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu, l’onction de Marie, la présence de la mère à la croix, la mission et l’annonce de Marie-Madeleine nous sont présentées dans les évangiles comme étant, non seulement des lieux privilégiés pour former les disciples au sacerdoce, mais aussi le lieu même où le cœur de chair devient un cœur de prêtre, c’est-à-dire capable de reconnaître le salut à travers les gémissements de la création, de la naissance à la mort de l’homme, pour se conformer au sacerdoce du Christ, pour le célébrer.

Évidemment, ce n’est pas simplement parce qu’elles étaient des femmes que Jésus s’est laissé toucher, abreuver, contempler, aimer, engendrer à la perfection. Mais c’est parce qu’elles étaient ces femmes-là, fortes du choix de Dieu, de sa présence plus profonde que les douleurs de l’enfantement, de cet amour gratuit et entier, qu’elles ont fait leur pour le relayer de toute leur personne de génération en génération.

Notes de bas de page

  • * Intervention au symposium de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur le rôle des femmes dans l’Église, 26-28 sep. 2016 à Rome.

  • 1 Le mot teleiôsis qui exprime cet accomplissement est le terme utilisé dans le Lévitique pour parler de la consécration sacerdotale. Dans la lettre aux Hébreux, c’est en accomplissant le sacerdoce d’Israël comme celui de Melchisédek que Jésus atteint sa perfection de Fils et de frère universel. Il est consacré grand prêtre.

  • 2 Cf. J.-M. Hennaux, « Le rapport intrinsèque du sacerdoce ministériel et du sacerdoce commun des fidèles. Pour une symbolique du sacerdoce », NRT 131 (2009), p. 211-224.

  • 3 Cf. Jean-Paul ii, « Le don désintéressé », NRT 134 (2012), p. 188-200.

  • 4 Benoît xvi, discours du 2 mars 2006 : « Je suis toujours impressionné, dans le canon romain, par la prière spéciale pour les prêtres (…) où apparaissent sept femmes. Celles-ci se présentent comme les femmes croyantes qui nous aident sur le chemin. »

  • 5 Cf. H. U. von Balthasar, La Dramatique divine. iii. L’action, Namur, Culture et Vérité, 1990, p. 366-377 ; Le complexe antiromain. Essai sur les structures ecclésiales, Paris, Apostolat des éditions - éd. Paulines, 1976, p. 191-235.

  • 6 Comme le précise l’épître aux Hébreux, « tandis que tout prêtre se tient debout chaque jour, officiant et offrant maintes fois les mêmes sacrifices, qui sont absolument impuissants à enlever les péchés, lui au contraire, ayant offert pour les péchés un unique sacrifice, il s’est assis pour toujours, à la droite de Dieu, attendant désormais que ses ennemis soient placés comme un escabeau de ses pieds. Car par une oblation unique il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il sanctifie ». Et comment cette perfection se manifeste-t-elle dans les sanctifiés ? Comme le précise la suite de l’épître : « par la grâce de l’Esprit, le Seigneur inscrit sa loi dans le cœur, il la gravera dans les pensées et pardonnera les péchés. » (cf. He 10,11-18)

  • 7 Jean-Paul ii, « Le don désintéressé » (cité n. 4), p. 188-200.

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