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Petite présentation de la christologie historique du Pape S. Léon le Grand*

Laurent Pidolle
The Tome to Flavian of Pope St. Leo the Great (440-461), the christological masterpiece, is well known. Far less known is the historical christology where it comes from. This article, taking up the argument from a book soon to appear, reveals how much Scripture received from Tradition is the soul of this christology which shows us Christ completing the whole of history by drawing it to himself from the height of the cross. It is the permanence of Israel, its Manichean antithesis and the lingering remains of paganism which bring Leo’s christology to flower from the very heart of liturgical and kerygmatic preaching to the Christians of Rome.

Introduction

À la lecture des sermons de S. Léon le Grand (Léon Ier, Pape de 440 à 461), on ne peut qu’être frappé par la dimension historique de sa christologie. Historique non pas au sens où ce Pape ferait beaucoup allusion aux événements de son époque — ce qui n’est guère le cas —, mais au sens où il livre le Mystère du Christ à ses auditeurs en suivant l’histoire évangélique, en s’appuyant sur la dynamique historique et scripturaire de la promesse et de son accomplissement et en aidant les fidèles à vivre du Mystère qui continue à se réaliser dans l’aujourd’hui de l’histoire. Souvent, on s’est arrêté à la dimension ontologique de la christologie de S. Léon (et du Concile de Chalcédoine), c’est-à-dire à la considération des deux natures du Christ et de leur unité en sa Personne. C’est indispensable de le faire, mais sans oublier que ce dogme — et tout dogme — est le fruit de la méditation croyante des Écritures dans lesquelles est consigné tout le Mystère du Christ dans son économie divino-historique.

Ainsi, le but de cet article est de manifester le sens de l’histoire qui se trouve dans la christologie des sermons de S. Léon et, ce faisant, d’argumenter en faveur de la dimension historique de la christologie patristique. Comme pour les autres Pères, ce sens de l’histoire apparaît déjà dans le fait que notre Pape rend raison du Mystère du Christ à un moment et en un lieu de l’histoire: la Rome du ve siècle où vivent ensemble chrétiens, juifs, et quelques païens. Nous verrons aussi que ce sens de l’histoire s’exprime surtout à partir des Écritures: la forme du serviteur qu’est l’humanité du Christ (cf. Ph 2,6-7), l’accomplissement par le Christ (cf. Mt 5,17), l’attraction de tout au Christ (cf. Jn 12,32) et finalement le Mystère du Christ comme le Mystère de la miséricorde divine (cf. 1 Tm 3,16).

I Le contexte eucharistique et historique de sa christologie

Nous connaissons actuellement 97 sermons1 et 173 lettres2 de S. Léon. Celui-ci n’a donc pas écrit une christologie dans le sens moderne du terme. Même ce qui a été appelé dans l’histoire le «Tome à Flavien» est une lettre3 qu’il envoie à l’évêque de Constantinople pour la sauvegarde du mystère de la vraie foi dans le Christ et le salut d’Eutychès qui mettait à mal celle-ci. Ainsi, que ce soit dans ses lettres ou dans ses sermons, la christologie de Léon procède de sa confession et de sa proclamation du Mystère du Christ dans le cadre historiquement situé de son ministère pastoral pétrinien. Le lieu principal de sa christologie est l’Eucharistie: le Mystère et les mystères de la vie du Christ y sont actualisés pour notre salut, le sens des Écritures y est dévoilé pour notre connaissance de Dieu ici-bas.

La prédication liturgique de Léon est également kérygmatique. En effet, le P. Studer — qui fut un grand spécialiste de notre auteur — affirme que le christocentrisme de Léon, trait le plus important de sa théologie, n’est pas dû uniquement au fait de répondre aux hérésies christologiques du moment. Ce christocentrisme ne concerne pas le dogme de l’unique Christ en deux natures, mais aussi la prédication du Christ Seigneur et Sauveur. B. Studer ajoute alors: «L’aspect kérygmatique est cependant beaucoup plus important», car Léon prêche toujours la présence salvifique du Christ dans l’Église4. Même l’affirmation du dogme de la double consubstantialité5 se situe dans un contexte kérygmatique6. Cet aspect se voit encore mieux dans le texte original latin de Léon qui use avec beaucoup de tact de la rhétorique antique: la concision, le rythme et la beauté des formules latines rendent celle-ci davantage performative7.

Aussi, la christologie léonienne naît du kérygme et de l’Eucharistie qui actualise l’Écriture et la rend opérante dans l’aujourd’hui de l’histoire. Cela se réalise sous l’influence de l’Esprit Saint qui œuvre dans le ministère sacré et dans l’Église en prière.

L’assemblée chrétienne à laquelle s’adresse notre Pape est constituée de fidèles déjà affermis dans la foi et de nouveau-nés à la foi. Dans un sermon pour la Pentecôte, Léon distingue en effet les «spirituels», les «instruits», des «nouveaux enfants de l’Église», ceux qui viennent d’être baptisés au cours de la vigile de Pentecôte8. «Nous devons aujourd’hui le ministère de notre parole aux fidèles nombreux qui ne font qu’arriver à la foi; et il vaut mieux être à charge aux doctes en disant des choses qu’ils savent que de priver les ignorants de ce qu’ils doivent apprendre»9. De nombreux fidèles arrivent à la foi au temps de Léon. Ceci est confirmé par les découvertes archéologiques: en cette première moitié du ve siècle à Rome, on construit de nouvelles basiliques (Ste-Sabine, Ste-Marie-Majeure, St.-Pierre-aux-liens …) et de nombreux baptistères10 alors que, pendant longtemps, les baptêmes n’étaient célébrés qu’au Latran11. Nous sommes donc à une époque très contrastée. D’un côté, la «Rome éternelle» a chuté, prise successivement par les flux et reflux barbares d’Alaric en 410, de Genséric en 455 et menacée par les Huns d’Attila et les Vandales postés en Afrique et en Sicile. Sa population a fondu, beaucoup de ses monuments sont en ruines et les institutions civiles sont en pleine déroute, à tel point que c’est Léon qui amène le Préfet de la Ville à la rencontre d’Attila et que c’est encore lui qui organise les collectes publiques pour subvenir à la très grande misère12. De l’autre côté, nous assistons à une très forte croissance de l’Église: des Romains encore païens se convertissent, ainsi que des Barbares de différentes nations, soit en découvrant le Christ, soit en intégrant l’Église catholique (beaucoup d’entre eux sont déjà chrétiens, mais touchés par l’hérésie arienne)13.

L’époque de Léon se caractérise aussi par une lutte doctrinale face à de nombreuses hérésies: arianisme, nestorianisme, monophysisme eutychien, priscilianisme, manichéisme…14. Le 13 juin 449, Léon rédige ou fait rédiger, à partir d’extraits de ses sermons le Tome à Flavien, «le document christologique le plus important de l’Église latine» à cette époque, selon le jugement du grand christologue A. Grillmeier15. Face à des relents de nestorianisme tendant à distinguer deux sujets dans le Christ16 et face au monophysisme eutychien des moines palestiniens17 qui niaient l’intégralité de la nature humaine du Christ, Léon élabore une formule de synthèse christologique reprise par le Concile de Chalcédoine en 451: «Les propriétés de chacune des deux natures étant donc sauves, et se réunissant en une seule personne […]». Cet apport historique de Léon au dogme christologique est bien connu.

La christologie de Léon s’élabore aussi en vue d’apporter des réponses aux chrétiens qui s’interrogent sur la permanence des communautés juives alors que tant de barbares passent au Christ. Les fidèles de Rome sont aussi menacés par la présence de manichéens et par des relents de paganisme. Passons rapidement en revue ce triple contexte.

Léon et les chrétiens de Rome se trouvent face à une communauté juive parmi les plus anciennes de la Diaspora, attractive par la force de ses rites, interpellante par sa résistance à ne pas croire au Christ, alors même que de nombreux païens étaient baptisés chaque année. Ce refus obstiné de l’Évangile par ceux qui, prioritairement, devaient le recevoir18, ne peut manquer d’interroger les néophytes chrétiens19. Ce à quoi le pasteur doit répondre. À la lecture des sermons de Léon, on peut lire en filigrane que les arguments de la Synagogue doivent tourner autour du privilège de l’élection divine, de la filiation abrahamique, de l’ancienneté d’Israël face à la jeune Église, du refus de l’abaissement de Dieu dans l’Incarnation et dans la mort en croix, et donc de la divinité de Jésus, du non-respect des préceptes de la Loi par les chrétiens et même de leur vol des Écritures qui appartiennent à Israël. Léon répondra en privilégiant le sens de la continuité et de l’accomplissement des Écritures.

Le manichéisme, en ce qu’il dénie toute valeur à l’Ancien Testament et remet en cause la chair véritable du Christ, s’oppose à Israël et en constitue comme une antithèse historique. Les Manichéens sont redevenus florissants à Rome à l’époque de Léon parce qu’ils fuyaient l’Afrique du Nord pillée par les Vandales ariens20. Face aux thèses manichéennes, Léon va manifester la dignité de l’Ancien Testament et citer abondamment ses promesses et ses prophéties concernant le Mystère du Christ, Dieu fait homme. Il s’appuie sur le Nouveau Testament, normalement reconnu par les Manichéens, pour leur montrer que Jésus reçoit sa chair d’Israël et qu’il n’est pas venu abolir la Loi.

Les critiques païennes21 reprochant au christianisme d’être une apostasie du judaïsme ont aidé Léon et les chrétiens à réfléchir sur leurs liens à Israël et à l’histoire et à parler du Christ en conséquence. Une question posée par Celse était: «Dieu s’est-il contredit en donnant une loi à Moïse et une autre à Jésus? Condamne-t-il ses propres lois ou change-t-il sa pensée?»22. Ces questions étaient d’autant plus pertinentes que, pour les philosophes païens, le critère de véracité d’une doctrine était son antiquité23. Pour Julien, les chrétiens ont institué une nouvelle loi et ont aboli celle des Juifs24.

La pensée de Porphyre25, un autre auteur païen mort au début du ive siècle, a eu une forte et longue influence26. Après Celse, Porphyre est le premier polémiste païen qui porte son attention sur les Écritures pour les critiquer27. Et il le fait en lien avec l’histoire. Pour lui, la religion chrétienne n’est pas fondée historiquement. Elle prétend sans doute s’enraciner dans la tradition juive, mais les chrétiens ne font que s’approprier l’histoire du peuple juif, dont pourtant ils ne respectent pas les traditions nationales. Selon lui, le christianisme implique une conception absurde et irrationnelle de la divinité. Le Dieu des chrétiens serait «un tyran aux caprices imprévisibles qui a accompli et accomplira une suite d’actions totalement arbitraires: la création du monde à un moment du temps, l’élection du peuple juif, l’Incarnation, la Résurrection, enfin la destruction du monde qu’il avait lui-même créé»28. Enfin, on trouve aussi chez Porphyre l’objection du retard du salut: si le Christ est le seul et universel Sauveur, qu’en est-il de la masse immense des hommes qui ont vécu avant lui et qui n’ont donc pas pu être sauvés?29

Dans tout ce contexte historique, la tâche du pasteur sera de proclamer le Mystère du Christ dans l’intégralité de la foi, d’aider les fidèles à en rendre davantage raison et de les aider aussi à en accueillir la puissance pour y conformer de plus en plus leur vie.

II Le sens de l’histoire

Que Léon ait le sens de l’histoire dans sa christologie peut s’entendre de deux manières: d’une part, il a conscience de la dimension historique du Mystère du Christ et, d’autre part, il croit que l’histoire a un sens.

1 La dimension historique de sa christologie

La prédication de Léon s’efforce, comme il le dit lui-même, de «faire en sorte que l’intelligence ait une vue claire de ce que l’histoire a fait connaître»30. Et il ajoute humblement: «Nos maîtres sont la multitude des esprits célestes exultant dans la louange de Dieu et les bergers instruits par les anges [cf. Lc 2,10-15]»31 afin de connaître et d’adorer le Verbe dans le Christ homme et le Christ homme dans le Verbe. L’intelligence du Mystère du Christ se tire de l’histoire, plus précisément de l’histoire évangélique. Pour affermir la foi des chrétiens dans la vérité et leur en donner l’intelligence, Léon est très attentif à l’«histoire» ou au «récit» évangélique: dans l’ensemble des sermons, evangelica historia revient 9 fois et evangelica narratio 4 fois32, principalement au début des sermons. Ceux-ci commencent par une attention à l’evangelica historia qui vient d’être proclamée aux oreilles des fidèles. L’histoire, en son sens de récit (narratio) des événements réalisés, nous rend contemporains du Mystère (sacramentum) du Christ et nous met en contact avec lui: «la Pâque du Seigneur n’est pas tant un événement passé qu’il convient de rappeler qu’un fait présent qu’il faut honorer»33. La plupart du temps, dès le début du sermon, Léon reprend la lecture évangélique (evangelica lectio)34, ce qu’E. Cavalcanti appelle le reiterare, procédé de réitération qui est le premier pilier de la méthode communicative de Léon35. Ce procédé est issu de la liturgie elle-même qui, par les récurrences de son cycle annuel, rend présent l’aujourd’hui du sacramentum salutis, plus particulièrement dans un de ses divers aspects. En voici un exemple:

Le récit évangélique ayant parcouru comme de coutume, bien-aimés, l’histoire sacrée de la Passion du Seigneur, je pense que celle-ci s’est si bien fixée en vos cœurs à tous que la lecture en est devenue comme une vision pour chacun des auditeurs. La vraie foi, en effet, a cette puissance de ne pas être absente en esprit des faits auxquels le corps n’a pu être présent; que le cœur du croyant se reporte vers le passé ou qu’il se tourne vers l’avenir, la connaissance qu’il a de la vérité, grâce à elle, n’est limitée par aucun écart de temps. L’image des réalités opérées pour notre salut est donc présente à nos sens et tout ce qui sera alors l’âme des disciples touche aussi nos sentiments36.

La réitération liturgique annuelle de l’histoire évangélique permet aux auditeurs de s’en faire comme une image en leur cœur: «la lecture en est devenue comme une vision». Cela est dû non seulement aux différents sens de l’être humain, ici l’ouïe et la vue imaginative, mais aussi à la vraie foi qui a la puissance — le mot est fort — de rendre notre esprit [mens], notre cœur [cor] présents aux réalités opérées pour notre salut et, ainsi, de connaître la vérité, sans que le temps soit un obstacle37.

Léon a un souci constant de l’intelligence de la foi38. C’est le Mystère du Christ lui-même, la Vérité en personne, qui convoque et appelle l’intelligence: «La lecture évangélique, bien-aimés, qui, par les oreilles du corps, a frappé l’ouïe intérieure de nos esprits, nous appelle à l’intelligence du grand mystère»39. Comme le dit M. Pratesi, la foi qui vient de la lectio ouvre «à une plus profonde compréhension du sens profond de l’histoire (biblique) et, en particulier, de son moment culminant dans le Christ: un chemin de la fides à l’intellegentia»40, on pourrait ajouter: à la christologie. C’est même «la plénitude de l’intelligence [qui] a été promise à la foi sincère»41. Ajoutons que, s’il apparaît ici que l’intelligence suit la foi (credo ut intellegam), Léon n’en pense pas moins que l’intelligence du Mystère permet un accroissement de foi (intellego ut credam): «il convient […] que les âmes raisonnables s’attachent par-dessus tout à des pensées qui produisent en elles un accroissement de foi»42.

Léon découvre le Mystère du Christ dans le sens littéral du Nouveau Testament. C’est le cas de son enseignement sur la double nature du Christ, qu’il reçoit de l’hymne aux Philippiens (Ph 2,6-11) transmis par la tradition antérieure (Hilaire, Augustin, Cassien) et qu’il découvre également dans toute l’histoire évangélique. Le Mystère du Christ se réalise dans l’histoire quand le Fils de Dieu, éternellement dans la forma Dei, se dépouille en prenant la forma servi (cf. Ph 2,6-7) pour notre salut. Cette expression scripturaire est un élément fondamental de la dimension historique de la christologie léonienne pour plusieurs raisons: elle lui permet de confesser ensemble les deux natures et l’unicité du Christ en prenant en compte les divers états historiques de ce dernier43: uniquement Dieu avant l’Incarnation de par la forma Dei, puis Dieu et homme par l’assomption de la forma servi à la plénitude des temps, enfin Dieu et homme glorifié à la droite du Père. Le Verbe assume ce qu’il n’était pas, notre humanité, tout en restant ce qu’il est éternellement comme Fils du Père, vrai Dieu né du vrai Dieu. Davantage que ses prédécesseurs, Léon est attentif à montrer que son humanité véritable, sa forma servi, lui vient de Marie sa Mère, dans la descendance de David. Que Jésus soit juif, né sous la Loi, à la fois fils et Seigneur de David, importe à Léon et à l’Église pour affirmer le caractère concret et historique de son humanité. Notre Pape affirme aussi un accomplissement de la forma servi au long de l’histoire terrestre de la Vérité qui est le Christ: la Vérité en personne accomplit l’humble forme du serviteur par son humiliation dans l’histoire, de la crèche à la croix. Enfin, la forma servi de Jésus, déjà annoncée dans l’histoire de la promesse en Melchisédech, figure de l’unique grand Prêtre, est l’exemplaire évangélique qui donne forme à l’agir des croyants et permet ainsi à l’accomplissement de continuer dans l’histoire de l’Église.

Une clef christologique fondamentale que Léon reçoit aussi de l’histoire évangélique est la parole du Christ en Mt 5,17: «Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir». Léon affectionne particulièrement cette parole — dans l’ensemble des sermons, il la cite expressément 5 fois et il emploie 91 fois le verbe «accomplir», implere — grâce à laquelle Jésus situe le présent de sa venue dans un rapport non pas d’abolition, mais d’accomplissement de la Loi et des Prophètes qui l’ont précédé. Quel est le sens de cet accomplissement pour notre auteur? C’est principalement l’avènement inouï du Christ à la plénitude des temps, présence corporelle, humble et rayonnante de la Vérité en personne, de la Vie en personne, de la Miséricorde en personne, présence livrée jusque dans le mystère pascal où tout est accompli. Cet avènement est l’accomplissement de l’histoire: l’histoire particulière de la promesse faite à notre père Abraham que toutes les nations seraient bénies en sa descendance — le Christ — et, de ce fait, l’histoire universelle, car c’est la surabondance et l’universalité qui caractérisent le temps de l’accomplissement pour Léon. Notre auteur a réalisé une vraie «christologie d’accomplissement», voire aussi d’intégration grâce à Jn 12,3244.

En effet, une autre clef christologique que Léon découvre dans l’Évangile est Jn 12,32 qu’il lit ainsi, certainement dans une version de la Vetus Latina: «Élevé, j’attirerai tout à moi»: «de ceux-ci [= tant de signes et de mystères de l’Ancien Testament] le Seigneur déclarait qu’il n’était pas venu détruire la Loi, mais l’accomplir [Mt 5,17]. Que le Juif se garde de penser qu’il lui est bon de s’attarder charnellement à la surface de la lettre; il est convaincu d’être en contradiction avec ses Écritures qui font reconnaître chez nous leur vraie dignité, car nous nous instruisons de leurs prédictions et nous enrichissons de leurs accomplissements. En effet, selon cette parole du Seigneur: «Élevé, j’attirerai tout à moi» [Jn 12,32], rien n’est demeuré des institutions de la Loi, rien des figures prophétiques, qui n’ait passé intégralement dans les sacrements du Christ»45.

Jésus ne détruit pas la Loi, puisque, comme tout, il l’attire à Lui par l’élévation de sa croix et, de ce fait, l’accomplit parfaitement. C’est donc par la croix que Mt 5,17 se réalise pleinement. La Pâque du Christ accomplit tout l’Ancien Testament qui, tout entier, l’annonçait. L’Ancien Testament devient grâce et vérité, non seulement par la simple présence du Christ, mais par sa présence livrée dans le mystère pascal. Par l’accomplissement qu’il effectue dans sa Pâque, le Christ non seulement n’abolit, ne détruit, ou ne vide la Loi, mais dévoile et révèle même tout l’Ancien Testament, à tel point que sa valeur devient égale — le mot est fort — à celle du Nouveau Testament pour parler de «la gloire de la grâce de Dieu» qui resplendit dans le Christ: «Pour raconter la gloire de la grâce de Dieu, en effet, la profondeur de l’un et de l’autre Testament se répondent d’une voix égale, et ce qui était profond sous le voile des figures devient clair par la lumière révélée»46.

Comme le dit H. de Lubac, faisant référence à Ambroise et à Augustin, «toutes les anciennes Écritures “ouvrent le mystère de la Croix”, mais elles sont en retour ouvertes par lui, par lui seul. Il est la clé qui, seule, fait pénétrer dans leur sens. Elles apparaissent désormais baignées dans sa lumière»47. Elles obtiennent et font reconnaître ainsi «leur vraie dignité», en nous manifestant le Mystère du Christ déjà présent en elles, mais dans l’ombre48. C’est la raison pour laquelle Léon peut dire, juste après, quelque chose de fondamental: «le respect dû aux promesses n’a pas été abrogé puisque s’est manifestée la plénitude des grâces»49: la réalisation de l’accomplissement, la venue de la plénitude dans le Christ ne dispense pas le chrétien du respect dû à la promesse, au contraire elle le promeut50. Et cela en raison de la dimension intégrative de la christologie de S. Léon. Le Christ ayant tout attiré à Lui, tout est en Lui. «Tu as attiré tout à toi, Seigneur, car, le voile du temple déchiré, les choses saintes des saints se retirèrent loin des pontifes indignes de telle sorte que la figure se changea alors en [ou mieux: se tourna vers la] vérité, la prophétie en [vers la] manifestation, la Loi en [vers] l’Évangile»51. Les sancta sanctorum, en étant attirés au Christ, s’éloignent des pontifes indignes et du Temple désormais ouvert, de telle sorte que la figure s’est changée en vérité — ou mieux, selon l’étymologie de vertere: «s’est tournée vers la vérité»52 —, la prophétie en manifestation et la Loi en l’Évangile. Le Crucifié est la Vérité qui attire à Lui la figure, la Manifestation qui attire à Lui la prophétie, l’Évangile qui attire à Lui la Loi. Figure, prophétie et Loi symbolisent tout l’Ancien Testament attiré au Christ pour être, non pas aboli, mais accompli en Lui53. Nous n’avons pas rencontré cette interprétation précise de Jn 12,32 chez les Pères antérieurs. Dans cette exégèse propre à Léon54, il apparaît ainsi clairement que Jn 12,32 est la clef de compréhension de Mt 5,17.

Maintenant l’Ancien Testament est dans le Christ et son accomplissement le fait parler dans le présent du Christ. Ce n’est donc pas seulement le Nouveau qui permet à notre Pape d’élaborer sa christologie, mais aussi l’Ancien: «Tel est donc, bien-aimés, ce sacrement [= le Mystère du Christ] auquel, depuis le commencement, servirent tous les mystères. C’est à présent que le sang du juste Abel raconte la mort du suprême Pasteur et que, dans le parricide commis par les Juifs, on reconnaît Caïn, meurtrier de son frère […]»55.

Le «à présent» désigne le maintenant du présent de l’accomplissement réalisé sur la croix dans lequel toute l’Église se trouve, le temps poursuivant son cours. L’Ancien Testament, dans ses événements, manifeste et raconte désormais aussi le Mystère du Christ et instruit réellement les croyants. On comprend mieux ainsi l’affirmation de Léon parlant des Écritures de l’Ancien Testament: «nous nous instruisons de leurs prédictions et nous enrichissons de leurs accomplissements»56. Léon ne pouvait pas mieux montrer l’importance et l’actualité de l’Ancien Testament pour les chrétiens57. Ce sont les idées manichéennes refusant que le Christ ait été préfiguré dans l’Ancien Testament et certainement aussi des réactions juives qui le poussent ainsi dans sa réflexion.

Jn 12,32 et son commentaire léonien constituent la clef herméneutique de l’accomplissement de la Loi et de l’histoire. À la charnière de l’histoire se dresse, comme en son sommet, le Christ crucifié et exalté qui attire toute l’histoire à lui et devient ainsi source de l’histoire sainte de tout homme.

2 La raison et le but de l’histoire: la croissance du Christ comme Mystère de la miséricorde divine

On sait que la double tâche de la théologie est à la fois l’écoute de la foi (auditus fidei) et l’intelligence de la foi (intellectus fidei). Il s’agira donc d’écouter le Christ dans son Église et de le connaître, d’en avoir une intelligence profonde.

Du côté de l’auditus fidei, on a vu que Léon écoute et scrute l’Évangile de la vérité. Il sait que la Vérité est advenue en personne dans l’histoire, à la plénitude des temps: c’est le Verbe manifesté dans la chair (cf. 1 Tm 3,15-16), plein de grâce et de vérité (cf. Jn 1,14). Par tous les sens spirituels dont le lieu est le cœur, Léon capte la lumière de la vérité dans toute l’histoire évangélique qui coïncide avec l’aujourd’hui liturgique et sacramentel de l’Église célébrante58. Il trouve la même lumière dans les figures accomplies de l’Ancien Testament et converties dans la Vérité, ainsi que dans la prophétie convertie en manifestation et dans la Loi convertie en l’Évangile. Il écoute et fait écouter toute l’Écriture qui parle du Christ et qui parle en Lui puisqu’elle a été tout entière accomplie par attraction à Lui sur la croix59.

Du côté de l’intellectus fidei, pour Léon, l’intelligence de la foi ne se tire pas de la philosophie et ne s’élabore pas grâce à elle comme chez d’autres Pères, mais elle vient des Écritures reçues de la Tradition60, plus précisément de leur dynamique historique de promesse — accomplissement dans le Christ Vérité61: «[…] Mais si, au milieu même des miracles que le Sauveur réalisait sous le regard des foules, bien peu sentaient la présence de la Vérité […], d’où notre foi prendrait-elle l’intelligence, d’où notre constance recevrait-elle la force, si nous ne lisions qu’avaient été prédits les faits dont nous savons qu’ils ont eu lieu62.

Léon demande: «d’où notre foi prendrait-elle l’intelligence, […] si nous ne lisions qu’avaient été prédits les faits dont nous savons qu’ils ont eu lieu?» Cela signifie que l’intelligence de la foi procède de l’accomplissement dans l’Évangile de ce qui avait été annoncé, promis dans l’Ancien Testament, autrement dit de la dynamique historique: annonce prophétique (du Mystère du Christ) — accomplissement évangélique de ce Mystère.

L’intelligence ne se tire pas seulement de la dynamique d’accomplissement de l’Ancien par le Nouveau Testament. Elle se tire aussi de l’intérieur du Nouveau Testament lui-même, quand un passage apostolique vient éclairer le récit évangélique. H. de Lubac a écrit que les enseignements des différentes lettres du Nouveau Testament étaient considérés comme «les exégèses apostoliques» du Fait du Christ narré dans les Évangiles et annoncé par les prophètes63. L’intelligence se tire de l’Écriture éclairée par l’Écriture64. Léon illustre bien cette citation d’Origène que fait H. de Lubac: «Si tu veux comprendre cela, tu ne le peux que par l’Évangile»65. Dans le Tr. 30,3, nous voyons que l’Esprit Saint se sert des Écritures (Loi, Prophètes, Évangiles, lettres des Apôtres) pour nous exhorter et nous instruire afin que nous croyions avec constance et intelligence que «le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous» (Jn 1,14). De nouveau, l’intelligence (et la constance) de la foi est mise en lien avec les Écritures, outil en quelque sorte de l’Esprit Saint.

C’est ce que nous avons vu avec la double forma de Ph 2 servant à rendre raison des actes du Christ dans l’Évangile. Il en va de même pour 1 Tm 3,16 que Léon utilise abondamment pour exprimer le Mystère du Christ. Nous terminerons par là cet article.

Dans sa christologie, Léon s’inspire beaucoup du «mystère»66 présent dans les lettres pauliniennes, particulièrement sous la forme du magnae pietatis divinae sacramentum («le sacrement [ou le mystère] de la grande piété divine» — cf. 1 Tm 3,16) qu’il reçoit du de Trinitate d’Hilaire de Poitiers. Le «sacrement de la grande piété» désigne chez l’évêque de Poitiers identiquement l’économie de l’Incarnation du Seigneur et «le mystère de notre salut». L.F. Ladaria, grand connaisseur de ce Père, affirme que le sacrement de la grande piété désigne, pour Hilaire, autant l’Incarnation que la Passion et la Résurrection du Seigneur. Cette expression enserre toute la vie salvifique du Christ67. Léon reprend la même signification du sacramentum magnae pietatis68. Cette expression est une clef de sa christologie historique car elle lui permet de parler du Christ comme du Mystère de la miséricorde69. Ce Mystère de la miséricorde prend son origine dans la décision trinitaire de sauver l’humanité, se déploie dans l’histoire en étant promis et annoncé dans l’Ancien Testament, donné à la plénitude des temps et en fructifiant jusqu’au dernier jour dans la vie des croyants au moyen des sacramenta de l’Église — les célébrations liturgiques et sacramentelles —, ces sacrements devenant eux-mêmes exemples christiques à imiter. Un seul exemple tiré d’un sermon pour le carême: «[que le vrai Fils de Dieu soit un vrai fils d’homme] c’est sur cela seul que repose la restauration du genre humain, attestée par la Loi, promise par les prophètes [cf. Rm 3,21] et annoncée par tous les mystères de l’Ancien Testament: tellement que personne ne peut douter que ce grand sacrement [ou mystère] de la divine miséricorde, appelé à profiter à tous les siècles, après avoir été longtemps et fréquemment préfiguré, ne se soit accompli au temps fixé d’avance»70.

Un autre apport de cette expression à la christologie historique de Léon, le sacramentum de 1 Tm 3,16, lui permet aussi de parler de l’histoire des sacramenta de Jésus, c’est-à-dire des mystères historiques de sa vie terrestre71 qui culminent vers le sacrement qui les dépasse tous: le paschale sacramentum.

Enfin, ce même sacramentum magnae pietatis est «fait pour durer sans fin», comme le dit Léon le jour de Noël 44172. Une fois accompli dans le Christ et par le Christ, il ne cesse de s’accomplir dans l’Église et donc dans l’histoire et pour l’histoire, afin de la sauver et de se l’incorporer au moyen des sacramenta des célébrations liturgiques et sacramentelles de l’Église. C’est le même mystère de salut qui se prolonge ainsi dans les solennités de l’Église et «fructifie à l’intérieur de lui-même», en fructifiant dans les chrétiens qui sont tout rayonnants de ce mystère par leur imitation aimante du Christ.

1 Tm 3,16 et sa lecture par Hilaire de Poitiers a donné à Léon de quoi rendre raison du mystère de l’histoire et de la dispensation divine et historique du salut. Ce verset lui a donné aussi de montrer cette dispensation divine tout entière dans le Christ, manifesté dans la chair, justifié dans l’Esprit, apparu aux anges et élevé dans la gloire. Pour Léon, 1 Tm 3,16 atteste donc la continuité historique entre la dispensation corporelle et historique du Mystère du Christ ici-bas, sa glorification et sa prédication universelle, ainsi que son accueil dans la foi, au cours de l’histoire, ce dont Léon est précisément témoin à Rome à travers l’incorporation des Romains et des Barbares au Christ. Ainsi 1 Tm 3,16 permet à Léon de ne pas séparer le fait historique et unique de l’Incarnation du Fils Dieu de l’ensemble de son Mystère, le sacramentum Christi, réalisation plénière du projet éternel de Dieu et qui englobe l’histoire. Il n’y a aucune séparation entre un «Jésus de l’histoire» et un «Christ post-pascal». La lecture que fait donc Léon du «Mystère» paulinien est la source profonde de sa christologie historique et lui permet de tenir ensemble le fait de l’Incarnation et l’ensemble du Mystère du Christ incorporant à Lui toute l’histoire et la menant à son terme. En effet, 1 Tm 3,16, uni à Ph 2,6-11, a le génie de désigner le Christ dans ses différents états: Jésus, vrai Dieu et vrai homme, son Corps — l’Église — et ses sacrements, son action antérieure au moment de l’Incarnation, sa promesse aux Pères, sa proclamation aux Nations et son rayonnement, sa croissance dans l’histoire tout comme son état actuel à la droite du Père.

Alors, quel est le sens de l’histoire pour notre auteur? L’histoire, traversée tout entière et assumée par un mystère de miséricorde insondable, a comme raison et sens le Christ. Plus nous connaîtrons son mystère, la raison de miséricorde mise en œuvre dans l’histoire, plus nous l’aimerons. Léon nous dit: «Ne nous contentons pas de connaître l’ordre des faits sans arrêter notre attention à la raison de la piété mise en œuvre pour nous; la nature humaine, sachant combien son auteur l’a aimée, l’en aimera dès lors davantage»73. Comme pour Augustin, l’intelligence de la foi procède de l’amour — amour miséricordieux — et a pour fin l’amour74. C’est la raison de la miséricorde qui éclaire l’ordre des faits et c’est donc elle que l’on doit chercher pour comprendre, afin d’aimer.

Si notre Pape insiste tant sur l’intelligence de la foi qui permet de toujours mieux comprendre le mystère de la piété divine, c’est afin de l’aimer en retour, en l’honorant, en le vénérant, en l’adorant et en l’imitant. «Le souvenir de ce qui a été réalisé par le Sauveur du genre humain nous est d’une grande utilité, bien-aimés, si ce que nous vénérons en le croyant, nous l’accueillons pour l’imiter»75. L’imitation de Celui qui, par divine et miséricordieuse piété, est descendu en assumant la forma servi, est le sens et le but de la christologie léonienne. Par cette imitation, la vérité donnée d’en haut fructifie dans l’histoire et ne cesse de la transformer dans le Christ afin que nous Le voyions Lui-même dans la gloire pour l’éternité.

Conclusion

Un passage de la deuxième grande lettre dogmatique de Léon qui date de la fin du pontificat (458) et qui se présente comme une synthèse de sa pensée christologique est une confirmation magnifique du fondement et de l’articulation qu’offrent les versets scripturaires étudiés pour la christologie: «la forme du serviteur, par laquelle la divinité impassible a accompli le sacrement de la grande piété, est l’abaissement humain qui fut élevé dans la gloire de la puissance divine»76. On y retrouve respectivement Ph 2,6-7, Mt 5,17, 1 Tm 3,16 et Jn 12,32, articulés les uns aux autres dans le mouvement de descente et d’élévation de la christologie. Le Mystère du Christ est la descente du Fils de Dieu dans l’histoire, descente disposée par Dieu avant les siècles afin d’élever l’histoire en Lui. C’est bien sa fréquentation orante de l’Écriture reçue de la Tradition qui permet à Léon d’élaborer une véritable christologie de l’histoire. Et cela, au sein même de la liturgie de l’Église qui est le lieu théologique par excellence. Léon expose le Mystère du Christ parce qu’il doit et veut aider ses frères dans la foi à rendre raison de leur espérance face à la permanence de l’Israël inaccompli et à ses antithèses manichéenne et païenne.

On sait l’importance de la lecture du Tome à Flavien — fidèle reflet de cette christologie historique — pour l’élaboration de la confession de foi christologique du Concile de Chalcédoine. Ainsi, notre étude plus globale sur la christologie de S. Léon permet de situer le dogme de Chalcédoine — souvent taxé de trop ontologique ou de trop statique — dans une de ses sources essentielles et, par là, de mieux le comprendre. De manière plus générale, Léon nous apprend que la dimension ontologique de la christologie se fonde sur sa dimension historique77. G. Hudon, reprenant la pensée de P. Galtier, affirme que Chalcédoine «accepte les formules de Léon qui donnent une vision supérieure, unifiante, capable d’assumer le meilleur des christologies en présence»78. Notre travail a montré que la vision supérieure, unifiante et assumante de la christologie léonienne s’origine dans l’attraction et dans l’intégration de tout au Christ, ce Christ créateur de l’histoire, venu en elle pour l’accomplir et la transformer en Lui, dans l’amour, à la gloire du Père.

Notes de bas de page

  • * Cet article reprend en très grande partie ma contribution au colloque sur la christologie patristique, qui s’est tenu à Metz les 17-18 novembre 2010 sous la direction de M.-A. Vannier et Y. Meessen. Le lecteur intéressé par les fondements historiques de la christologie de S. Léon pourra se référer à L. Pidolle, La christologie historique du Pape S. Léon le Grand, coll. Cogitatio Fidei, Paris, Cerf, à paraître en 2012.

  • 1 Ou 96 si l’on pense avec la dernière édition du répertoire général de R. Gryson (2007) que le Tractatus (Tr.) 84 bis n’est pas de Léon mais du vie siècle (cf. R. Gryson, Répertoire général des auteurs ecclésiastiques latins, II, 625). Tr. N renvoie à l’édition critique de l’ensemble des sermons, faite par A. Chavasse dans Corpus ChristianorumSeries Latina (désormais CCL) n. 138 et 138 A, parue en 1973. L’édition française des Sermons de R. Dolle en quatre tomes dans Sources Chrétiennes (SC) est principalement antérieure à l’édition du CCL. Nos traductions s’inspirent de celle-ci et de la traduction italienne faite par la Biblioteca Patristica (BP).

  • 2 Nous n’avons pas encore d’édition critique générale des lettres et l’authenticité de certaines est douteuse (cf. R. Gryson, Répertoire général … [cité supra n. 1], p. 619-625).

  • 3 = Ep. 28 du 13 juin 449.

  • 4 B. Studer, «Écrivains d’Italie jusqu’au Pape Léon le Grand», dans A. di Berardino — J. Quasten, ed., Initiation aux Pères de l’Église, IV, Paris, Cerf, 1986, p. 764-765.

  • 5 «… pour que celui qui est Dieu, consubstantiel au Père, voire d’une seule substance, existe aussi comme vrai homme, consubstantiel à la mère selon la chair» (Tr. 30,6, cité en B. Studer, «Consubstantialis Patri — Consubstantialis Matri. Une antithèse christologique chez Léon le Grand», dans Revue des Études Augustiniennes 18 [1972], p. 91).

  • 6 B. Studer, «Écrivains d’Italie… (cité supra n. 4), p. 766.

  • 7 Cf. M. Ronconi, «A maiestate humilitas». Il rilievo della retorica nella teologia di Leone Magno, Roma, Tesi Gregoriana — Serie Teologia 129, 2005, p. 175-223.

  • 8 Tr. 76,1: CCL 138 A, 472. Cf. SC 74 bis, n. 2, 297.

  • 9 Tr. 25,1: CCL 138, 117.

  • 10 Cf., par ex., J. Maury, Itinéraires romains, Paris, Téqui, 1958, p. 233.245.254 et R. Vielliard, Recherches sur les origines de la Rome chrétienne. Les églises romaines et leur rôle dans l’histoire et la topographie de la ville depuis la fin du monde antique jusqu’à la formation de l’État pontifical. Essai d’urbanisme chrétien, Rome, 1959, p. 103.

  • 11 J. Maury, Itinéraires romains … (cité supra n. 10), p. 257.

  • 12 Sur l’histoire mouvementée de Rome au ve siècle, on lira, entre autres, P. Courcelle, Histoire littéraire des grandes invasions germaniques, Paris, Hachette, 1948; E. Cavalcanti, «Leone I, santo», dans Enciclopedia dei Papi, I, p. 423-442.

  • 13 Cf. C. Folsom, «Leone Magno e la liturgia», dans M. Naldini, ed., I sermoni di Leone Magno. Fra storia e teologia, Fiesole, Biblioteca Patristica (BP) 30, 1997, p. 85-86.

  • 14 Cf. le livre de L. Casula, Leone Magno. Il conflitto tra ortodossia ed eresia nel quinto secolo, Roma, Tiellemedia ed., 2002.

  • 15 A. Grillmeier, Le Christ dans la Tradition chrétienne, I, coll. Cogitatio Fidei 230, Paris, Cerf, 20032, p. 980.

  • 16 Le Patriarche de Constantinople (Nestorius) lui-même n’a pas soutenu la thèse de deux sujets, mais la maladresse de ses formules et l’absence de discussion de fond avec Rome ont fait que Nestorius a été déclaré hérétique, dans le sens de l’adoptianisme. Sur toute cette question, cf. Ibid., p. 857-924.

  • 17 Cf. BP 31, p. 370-371.

  • 18 Cf. M. Simon, Verus Israel. Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l’Empire romain (135-425), Paris, éd. E. de Boccard, 1948, 19642, p. 273-274.

  • 19 Les fidèles, «même après le triomphe de l’Église, ont un besoin durable qu’on les aide à réfuter les arguments juifs, […] et à résister à l’attirance du judaïsme» (Ibid. p. 120).

  • 20 Cf. A. Lauras, «Saint Léon le Grand et le Manichéisme Romain», (Papers presented to the Fifth International Conference on Patristic Studies, Oxford, 1967), dans Studia Patristica 11 (1972), p. 204-205; P. Courcelle, Histoire littéraire … (cité supra n. 12), p. 110-111.

  • 21 Notamment celles de Celse, reprises par l’empereur Julien l’Apostat à la fin du ive s.

  • 22 Cf. Contre Celse 7,18 cité par R.L. Wilken, The Christians as the Romans saw them, Yale University Press, New Haven — London, 1984, p. 188.

  • 23 Argument repris par Celse et par Julien (cf. Ibid., p. 115-116.194).

  • 24 Ibid., p. 192.

  • 25 Sur Porphyre, cf. P. Benoît, «Un adversaire du christianisme au iiie siècle: Porphyre», dans Revue Biblique (1947) p. 543-572 (= Exégèse et théologie, II, coll. Cogitatio Fidei 2, Paris, Cerf, 1961, p. 415-447).

  • 26 Cf. L. Vaganay, «Porphyre», DTC XII/2, 2586. À l’époque de S. Léon, l’empereur Valentinien III ordonne la destruction totale du traité de Porphyre Contre les chrétiens (cf. P. Benoît, Exégèse et théologie, II… [cité supra n. 25], p. 427).

  • 27 Cf. P. Benoît, Exégèse… [cité supra n. 25], p. 428.

  • 28 P. Hadot, «Porphyre», Encyclopaedia Universalis, XIII, p. 357.

  • 29 Cf. P. Benoît, Exégèse … [cité supra n. 25], p. 446. Dans le Tr. 23,4, S. Léon parle effectivement de ceux qui «critiquent les plans divins en s’en prenant au retard de la naissance du Seigneur» et quelques lignes plus loin, il affirme que Dieu, «dès la création du monde, a décrété pour tous une seule et même voie de salut» en insistant sur le fait que Dieu n’a pas changé de dessein.

  • 30 Tr. 52,1: CCL 138 A, p. 307.

  • 31 Tr. 30,5: CCL 138, 156.

  • 32 Cf. CETEDOC, ed., Instrumenta lexicologica latina 40B, microfiche 2. Les deux termes sont quasiment synonymes (cf. BP 38, n. 1.1, 473).

  • 33 Tr. 64,1: CCL 138 A, 389.

  • 34 Expression utilisée 9 fois (cf. les Tr. 3, 36, 42, 51, 56, 66, 69, 77, 96).

  • 35 E. Cavalcanti, «La predicazione di Leone Magno a Roma», dans L. Pani Ermini — P. Siniscalco, ed., La Comunità cristiana di Roma. La sua vita e la sua cultura dalle origini all’alto Medio Evo, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2000, p. 262-264. Les deux autres piliers sont, selon elle, le comprendere et le sentire. Nuançons: pour Léon, ces deux aspects vont ensemble et constituent un seul deuxième pilier. Ces deux piliers ont pour objectif de conduire à l’adorare, l’honorare, le diligere et l’imitare (cf. chap. V, 3 du livre à paraître*). Chez Augustin, qui s’inspire ici de Cicéron, l’orateur doit parler de manière à enseigner (docere), à plaire (delectare) et à émouvoir ou fléchir (flectere) afin de susciter le passage à l’acte (cf. doctr. chr., IV, 12,27-17,34: CCL 32, 135-141; BA 11/2, 361-373).

  • 36 Tr. 70,1: CCL 138 A, 426. La traduction est ici plus littérale que celle de SC.

  • 37 Pour plus de précisions sur le respect dont Léon entoure la lecture sacrée et sur sa puissance, cf. G. Hudon, La perfection chrétienne d’après les sermons de saint Léon, coll. Lex orandi 26, Paris, Cerf, 1959, p. 175-177.

  • 38 Cf. chap. V, 3 du livre à paraître*.

  • 39 Tr. 51,1: CCL 138 A, 296.

  • 40 Cf. BP 33, n. 1.1, 348.

  • 41 Tr. 66,1: CCL 138 A, 400.

  • 42 Tr. 67,1: CCL 138 A, 407.

  • 43 Dans la mouvance d’Augustin et d’Hilaire de Potiers: cf. J. Pelikan, La Tradition chrétienne, I, Paris, PUF, 1994, p. 268-269.

  • 44 Cf. chap. III et IV du livre à paraître*.

  • 45 Tr. 66,2: CCL 138 A, 401-402.

  • 46 Tr. 60,1: CCL 138 A, 363.

  • 47 H. de Lubac, Histoire et Esprit. L’intelligence de l’Écriture d’après Origène (1950), Œuvres complètes XVI, Paris, Cerf, 2002, p. 404.

  • 48 En effet, Léon dit dans le même sermon: «il convenait, en effet, que ces peuples [de l’Ancien Testament] fussent instruits de telle manière que ce qu’ils ne pouvaient saisir comme révélé, ils le reçussent ombré» (Tr. 66,2: CCL 138 A, 401). S’ils l’ont reçu de manière ombrée, c’est qu’il y avait déjà eu don du Mystère du Christ.

  • 49 Tr. 66,2: CCL 138 A, 402.

  • 50 On en devine toutes les implications positives dans le dialogue actuel entre juifs et chrétiens.

  • 51 Tr. 59,7: CCL 138 A, 358. À la différence de SC, nous avons traduit plus littéralement.

  • 52 De manière très heureuse, la traduction italienne a ainsi choisi le verbe volgersi qui signifie dans un premier temps «se tourner» et, dans un deuxième, «changer» (cf. BP 38, 215). Cela précise que le changement de la figure, de la prophétie et de la Loi n’est pas leur abolition.

  • 53 Cette interprétation est confirmée par le Tr. 66,2 dans lequel Léon affirme que, dans le Christ, brillent les témoignages de la Loi, les oracles des prophéties et les offrandes des victimes, c’est-à-dire l’Ancien Testament. De plus, Léon y rattache, aussitôt après, l’accomplissement des Écritures (Mt 5,17) à Jn 12,32 pour dire que tout ce qu’il y a dans l’Ancien Testament est passé dans les sacrements du Christ et se trouve avec les chrétiens.

  • 54 Cf. l’ensemble du chapitre IV du livre à paraître*.

  • 55 Tr. 60,3: CCL 138 A, 365.

  • 56 Tr. 66,2: CCL 138 A, 402.

  • 57 Dei Verbum, la Constitution dogmatique du concile Vatican II sur la Révélation divine, condense cette doctrine: les livres de l’Ancien Testament qui «atteignent et montrent leur complète signification dans le Nouveau Testament, [lui] apportent en retour lumière et explication» (DV 16).

  • 58 Cette attention à l’histoire et aux faits qui la constituent se retrouve beaucoup chez Hilaire d’abord (cf. M.-Y. Perrin, «Hilaire de Poitiers», dans Dictionnaire critique de théologie, p. 536), puis chez Augustin. L’exégèse d’Augustin porte en grande partie sur les faits. Pour lui, les faits sont quasiment des paroles visibles, verba visibilia: ces faits appartiennent au discours de Dieu et ont besoin d’être interprétés (cf. B. Studer, «“Sacramentum et exemplum” chez saint Augustin», dans Recherches Augustiniennes 10 [1975] p. 87-141 = Dominus Salvator. Studien zur Christologie und Exegese der Kirchenväter, Roma, Studia Anselmiana 107, 1992, p. 141-212, ici p. 171-172).

  • 59 B. de Margerie utilise l’expression «typologie de contraste» pour désigner chez tous les Pères, à l’exception d’Augustin dit-il, la supériorité de l’antitype qui est la réalité du Christ, sur toutes ses figures dans l’ancienne Alliance. À propos d’Augustin, il parle alors d’«une typologie d’intégration, montrant comment le Sacrifice du Christ total inclut en quelque manière tous ceux de ses types dans l’ancienne alliance» (B. de Margerie, Introduction à l’histoire de l’exégèse, I, coll. Initiations aux Pères de l’Église, Paris, Cerf, 1980, p. 159-160). Suite à notre étude, nous pouvons ajouter que cette typologie d’intégration n’est pas le propre d’Augustin: Léon l’a faite sienne et l’a approfondie en la fondant théologiquement. Grâce à l’accomplissement de tout l’Ancien Testament par son attraction au Christ crucifié, les figures ne sont ni supprimées ni sous-estimées, au contraire, elles proclament le Christ d’une voix égale à celle du Nouveau Testament.

  • 60 Comme le dit A. Lauras, «c’est parce que le texte [des Écritures] est familier à saint Léon qu’il lui vient spontanément aux lèvres et que c’est par les mots mêmes de l’Écriture que s’exprimera sa pensée personnelle» (A. Lauras, «Saint Léon le Grand et l’Écriture sainte», — Papers presented to the Third International Conference on Patristic Studies, Oxford, 1959 —, dans Studia Patristica 6 [1962], 134). Un exemple marquant en est que Léon préfère, dans ses sermons, l’emploi du mot forma, issu de l’Écriture, plutôt que natura pour désigner la double nature du Christ.

  • 61 Léon semble prudent vis-à-vis de la démarche philosophique. Il sait que celle-ci a déjà servi à expliciter le sens de l’Écriture au Concile de Nicée (emploi du mot consubstantialis). La tournure d’esprit de Léon et certainement aussi sa formation antérieure sont peu philosophiques. Mais c’est surtout la conscience de son ministère pétrinien qui le pousse à ne pas tomber dans le débat d’idées philosophiques. H. Rahner cite une de ses lettres: «Pierre était un pécheur, pas un philosophe ni un rhéteur de la loquacitas mundanae sapientiae: ainsi écrit-il […] à l’empereur grec (cf. Ep. 164,2)» (H. Rahner, «Leo der Grosse, der Papst des Konzils», dans A. Grillmeier — H. Bacht, ed., Das Konzil von Chalkedon, I, Würzburg, Echter-Verlag, 1951, p. 337). Par conséquent, sa pensée historico-scripturaire lui permettra d’avoir le recul et la hauteur nécessaires pour ne pas se situer au niveau philosophique du débat des écoles d’Antioche et d’Alexandrie, mais, en l’élevant au niveau de la foi scripturaire et ecclésiale dans le Christ, de le résoudre (cf. sa contribution au Concile de Chalcédoine).

  • 62 Tr. 60,1: CCL 138 A, 363.

  • 63 H. de Lubac, L’Écriture dans la Tradition, Aubier-Montaigne, Paris, 1966, p. 249.

  • 64 Confirmé par A. Lauras, «Saint Léon le Grand et l’Écriture sainte… (cité supra n. 60), p. 137.

  • 65 Origène cité par H. de Lubac, Histoire et Esprit… (cité supra n. 47), p. 401.

  • 66 Le mot sacramentum est un des plus employés par Léon. Il revient 155 fois dans l’ensemble des sermons. Mysterium est cité 64 fois.

  • 67 Cf. L.F. Ladaria, La cristología de Hilario de Poitiers, dans Analecta Gregoriana 255, Roma, 1989, p. 61.210.239.

  • 68 Cf. le chap. I du livre à paraître*.

  • 69 Il a été montré que pietas appliqué à Dieu chez S. Léon désigne «l’Amour miséricordieux qui se penche sur ses enfants» et que Dieu voudra voir imité par eux (A. Guillaume, Jeûne et charité, Paris, Laboureur, 1954, p. 67).

  • 70 Tr. 47,2: CCL 138 A, 276-277.

  • 71 Première apparition systématique des mystères de la vie du Christ dans la tradition patristique latine.

  • 72 «Voici, en effet, que le cycle de l’année met de nouveau à notre disposition le sacrement de notre salut, promis dès le commencement des temps, accordé à la fin, fait pour durer sans fin» (Tr. 22,1: CCL 138, 90).

  • 73 Tr. 66,1: CCL 138 A, 400. En cherchant cette ratio derrière l’ordre des faits, Léon se situe dans le droit fil de l’exégèse latine des textes historiques (cf. B. Studer, «“Sacramentum et exemplum” chez saint Augustin»… [cité supra n. 58], p. 170-171).

  • 74 Dans la catéchèse à donner aux catéchumènes débutants, il faut «faire apparaître, pour chacun des faits et gestes que nous racontons, leurs causes et leurs raisons, les rapportant ainsi à cette fin qu’est l’amour, dont ne doit pas se détourner le regard de qui agit ou de qui parle» (Augustin, cat. rud., 6,10: CCL 46, 131; BA 11/1, p. 77).

  • 75 Tr. 37,1: CCL 138, 200. Cette traduction respecte davantage le rythme de la phrase.

  • 76 «Forma autem servi, per quam impassibilis Deitas sacramentum magnae pietatis implevit, humana humilitas est, quae in gloriam divinae potestatis erecta est» (Ep. 165,8: PL 54, p. 1167). Cette même lettre d’ailleurs présente 1 Tm 3,16 comme un résumé de la doctrine évangélico-apostolique et du Symbole (cf. Ep. 165,10: PL 54, 1171).

  • 77 Cf. par ex. J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, coll. Croire et savoir, Paris– München, Téqui, 1982, p. 206.

  • 78 G. Hudon, «S. Léon le Grand», dans Dictionnaire de Spiritualité, IX, p. 608.

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