La carrière de Renan est bien connue : elle le mena de Tréguier au grand séminaire, délaissé avant l'engagement définitif, puis - pour faire bref - à la recherche et à l'enseignement universitaires. Nous connaissons aussi l'abondante production littéraire et scientifique d'un homme qui comprit l'importance des médias modernes qu'étaient les journaux et les revues destinées à un public cultivé. Quant à sa réputation, elle n'est plus à faire : de son vivant, il fut honni par les uns, adulé par les autres, et peu de choses ont changé à ce propos de nos jours, même si le temps a permis de nuancer les positions. Si tout cela n'est pas secondaire, l'essentiel est de comprendre qui il était. Et, au terme d'une lecture que l'on peut qualifier de passionnante, il me semble que la meilleure expression de qui il fut vient de l'épouse de Renan lors de sa mort : « Sa fin, sans retour aux idées de sa jeunesse, n'a surpris ni ses amis, ni ses adversaires. En 1845, mon mari a cessé d'être catholique. (…) Mais loin de cesser d'être chrétien, il l'est devenu de plus en plus. Il a aimé la personne de Jésus et aussi la doctrine de l'Évangile, il a rejeté les dogmes des religions révélées. Comment aurait-il appelé un prêtre à son lit de mort ? » (p. 431). Faut-il voir dans ces lignes une contradiction ? Ce n'est pas impossible. Nul doute qu'en plus d'être curieux de tout, d'être un homme qui voulut mobiliser toutes les forces de l'intelligence humaine, en particulier pour comprendre l'histoire du christianisme et du monde d'où ce christianisme venait et celui dans lequel il allait s'implanter, il fut aussi un homme de coeur, empruntant d'ailleurs des chemins qui étonnent, comme ce lien à ce point fort qui le lia à sa soeur, sorte d'égérie intellectuelle dont on comprend difficilement tous les méandres de la manière d'agir. Certes, demeurera sans doute toujours un « mystère Renan ». Car la question qui se pose certainement avec le plus d'acuité est : comment une telle intelligence, qui garda toute sa vie un réel côté religieux, a-t-elle pu ne pas voir que toute forme d'intelligence comporte précisément un acte de foi ? Le coeur - qui l'a entre autres fait aimer Jésus, cet « homme incomparable », et n'avoir aucune sympathie pour Paul de Tarse - l'aurait-il emporté ? Ou Renan a-t-il été par trop fasciné par cette intelligence humaine dont il ne put non plus voir les limites ? À ce sujet d'ailleurs, espérant ne point me tromper, il me semble qu'un élément aurait pu être plus profondément exposé, à savoir la plus que célèbre Prière sur l'Acropole. Ne fut-elle pas l'expérience majeure du « vide » que tout homme peut éprouver durant son existence, mais dont Renan ne put finalement jamais sortir ?
D'autres éléments de ce livre me paraissent devoir être soulignés. La vie de Renan se déroula dans un monde intellectuel en grands bouleversements - particulièrement bien mis en lumière par l'A. -, qui fut comme un prélude, et même plus, à ce qu'on appelle habituellement la crise moderniste. N'a-t-il pas eu un certain Loisy parmi ses auditeurs ? Par ailleurs, l'A. expose avec finesse la fascination de Renan pour la science allemande. Enfin, même en voulant éviter tout anachronisme, on peut se demander si notre époque n'est pas une héritière en ligne directe du moment Renan : bon nombre de nos contemporains n'éprouvent-ils pas de très grandes difficultés à allier foi et intelligence ?
En définitive, qu'on soit ou non admiratif de Renan, voilà un livre à lire. Il apprend beaucoup. - B. Joassart s.j.

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