Jean-Paul ii le pape des juifs. D’une rive à l’autre du Tibre, préf. A. Guigui
Samuel GobletBiographies - reviewer : Lutgarde Verbouwe
Le titre lui-même a une haute valeur symbolique : le pape des juifs ! Il donne le sens des multiples gestes et paroles d’un pontificat qui mit en quelques années des liens forts entre deux mondes séparés depuis des siècles. On revoit le pape à la calotte blanche s’approcher du Kotel pour y prier et y introduire une lettre de repentance : un des moments inoubliables de ces multiples rencontres entre Jean-Paul ii et les diverses instances du judaïsme.
Écrit par un juif nouvellement accueilli dans la communauté israélite de Bruxelles après avoir été religieux à l’abbaye des prémontrés de Leffe, le livre montre le nouveau regard chrétien sur le judaïsme et insiste fortement sur ce tournant historique, spirituel, théologique.L’histoire racontée indique un chemin délicat où des ajustements dans les gestes et les paroles demeurent : l’A. en parle régulièrement comme s’il craignait que les fruits tant espérés ne puissent pas être savourés entièrement. L’histoire est déjà un bon témoin de ces retrouvailles entre juifs et chrétiens. Les repères s’égrènent au fils du temps : la rencontre de Mayence (17 nov. 1980) avec cette phrase dense : « Quiconque rencontre Jésus Christ rencontre le judaïsme » (p. 48), ensuite la nomination inattendue de Jean-Marie Lustiger à Paris, les rencontres multiples, les incompréhensions mutuelles particulièrement concernant la Shoah et son mémorial, et surtout la reconnaissance de l’État d’Israël par le Vatican. Il n’est pas simple ni rapide de renouer un contact que les siècles ont blessé et durant lesquels se sont accentuées les divergences (réelles) entre juifs et chrétiens dans une histoire européenne très violente.
Ce livre est une pierre précieuse pour nouer l’amitié et continuer une véritable techouva entre ces deux mondes de croyants. Il suscite des étonnements, des admirations, des questions fondamentales tant pour les croyants que sur la manière dont Dieu conduit l’histoire et s’y rend présent. Pour les chrétiens et pour les juifs, il conviendra de méditer certaines paroles de celui qui fit des relations judéo-chrétiennes une des priorités de son pontificat. Egrenons-en quelques-unes. Parlant de l’élection divine, Jean-Paul ii dira : « ce peuple est convoqué et conduit par Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Son existence n’est donc pas un pur fait de nature ni de culture au sens où, par la culture, l’homme déploie les ressources de sa propre nature. Elle est un fait surnaturel » (p. 94). À travers toute l’histoire humaine, Israël reste le peuple de l’Alliance avec son Seigneur. Concrètement en passant d’une rive à l’autre du Tibre et en franchissant la porte de la synagogue de Rome, Jean-Paul ii a fait entrer le corps universel de l’Église dans une ère nouvelle. Ne fallait-il pas passer de l’enseignement du mépris à un enseignement d’estime ? Le Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme, n’est-il pas au fondement de la reconnaissance du plan du salut ? « La visite à la synagogue de Rome a cependant été pour moi une expérience tout à fait exceptionnelle. (…) Il m’a été donné, pendant cette mémorable visite, de désigner les juifs comme nos “frères ainés dans la foi” » (p. 63). En fait, dit Jean-Paul ii aux juifs de la synagogue : « vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine mesure, on pourrait dire nos frères aînés ».
D’ailleurs, si le Christ ne peut être considéré comme juif et de la lignée de David, comment espérer trouver et accueillir le mystère de son identité ? II nous faut ensemble retrouver le sens de la « pierre d’angle » sur laquelle est établi le plan du salut de Dieu dans l’histoire humaine. « En effet, juifs et chrétiens, fils d’Abraham, sont appelés à “être une bénédiction pour le monde (cf. Gn 12,2s.)” ». Pour terminer, n’oublions pas de souligner combien la bibliographie est intéressante et que la présentation des nombreuses références aux interventions de Jean-Paul ii sur Israël et le judaïsme peut stimuler tout lecteur à des lectures profondes. — A.M.