La sagesse du désir. Essai sur le concept d’écart et la question du mal, préf. G. Puppinck

Pierre Labrousse
Philosophy - reviewer : Pascal Ide

L’ouvrage du philosophe chrétien Pierre Labrousse ne porte pas tant sur la sagesse du désir (inversant la définition pythagoricienne de la philosophie comme amour-désir de la sagesse) que sur son essence intime qu’est l’écart. L’écart se comprend, en plein, comme distance entre notre réalité et notre idéal, et en creux, soit comme négation de cet écart (dans le corps ou l’esprit), soit comme éloignement à l’infini, c.-à-d. par ce que Pierre Labrousse appelle la « rupture » et identifie au mal. Si la première expérience de l’écart est anthropologique, le premier analogué de cette notion éminemment analogue est métaphysique. De prime abord plus augustinienne (l’inquiétude qui caractérise le pèlerin in via), cette intuition est expliquée de manière aristotélicienne (Métaphysique, Z 14), à partir de ce que l’un des maîtres à penser de l’A., Marc Balmès, dit de la différence (« écart ontologique ») entre la première intelligibilité (« essentialiste », celle qu’offre la définition) et la « pleine intelligibilité » (celle que permet d’atteindre la science, à partir du « mathématisable profond », l’ordre quantitatif qui structure les parties matérielles de la substance) (p. 61-66). Voire, l’A. se permettant de remonter jusqu’à la Révélation, l’écart trouve son analogum princeps dans la vie des Personnes divines, en l’occurrence dans la kénose de l’amour trinitaire (p. 82-85), ou du moins dans le hiatus entre nature et grâce (p. 86-88). Descendant de ces hauteurs, notre A. applique la notion d’écart au mal involontaire (chap. 3) et volontaire, en général (chap. 4) et en particulier, dans ce qu’il appelle la structure triadique du bien (sensibilité, intelligence et volonté) et le mal comme sa « désarticulation » (chap. 5), à l’amour (chap. 6) et à la civilisation (« l’écart civilisationnel » : chap. 7).

La contemplation est suggestive, le souci de rejoindre l’expérience constant, la notion d’écart unifiante. Est-elle « si fondamentale » et « cachée » (4e de couv.) que l’A. veut le dire ? Nous avons déjà évoqué l’irrequietum cor augustinien (qui est étrangement absent de ces pages). L’on aurait pu ajouter l’« épectase » de Grégoire de Nysse ou la « diastase » trinitaire de Balthasar. Mais le plus étonnant est ailleurs. L’A. fait d’Aristote le dernier horizon de sa philosophie et n’explore pas les prolongements très suggestifs de son plus grand disciple, Thomas d’Aquin, à partir du transcendantal aliquid (De Veritate, q. 1, a. 1) et surtout à partir de la différence ontico-ontologique entre l’esse et l’essentia (et l’ens) dont tant de thomistes (Finance, Fabro, Ulrich, etc.) ont montré qu’elle fonde l’écart entre la substance et ses accidents dont le premier est l’agir, donc entre la réalité et l’idéal. — Pascal Ide

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