On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l’Église de la Révolution à nos jours

Claude Langlois
History - reviewer : Bernard Joassart s.j.

Nul besoin de s’étendre longuement : la mise au grand jour d’actes pédophiles de la part de clercs catholiques, et dans son sillage celle d’abus à caractère sexuels ou d’autorité sur des personnes vulnérables ou en position d’infériorité, a été plus qu’un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Et il est de nombreux ouvrages qui analysent cette crise, quant aux nombres des auteurs et des victimes, quant aux raisons qui poussent des clercs à commettre de tels actes, quant aux réactions – ou absence de réactions de la part des autorités compétentes.

Dans cet ouvrage, Claude Langlois a adopté une approche historique sur le long terme, en se focalisant principalement sur le cas français, sans pour autant gommer, loin de là, la « mondialisation » du phénomène. Et pour ce faire, il est remonté jusqu’à la Révolution française qui, quelle que soit l’appréciation que l’on en a, a bien sûr largement conditionné la réorganisation de la société dans sa globalité, tout en refaçonnant la place du clerc, prêtre et/ou religieux. Et tout ce qui touche à la sexualité du clergé s’en est aussi trouvée revisitée, étant entendu en outre que la société elle-même a considéré la sexualité de manière bien différente. Autrement dit, l’approche de ce phénomène est connexe avec bien d’autres réalités : le célibat imposé aux clercs (encore faut-il bien distinguer le clergé régulier du clergé séculier pour lequel cette obligation est d’ordre disciplinaire), l’adultère, le divorce, le mariage, la contraception, l’avortement, l’homosexualité, et j’en passe ; ce sont autant de sujets sur lesquels l’Église a une appréciation qui ne correspond pas nécessairement à celle de la société en général, qui défend parfois (voire souvent ?) des positions radicalement autres et qui, soyons réalistes, peuvent aussi influencer – et sans doute parfois grandement – la manière dont les clercs assument leur sexualité. Ajoutons à cela que la découverte du continent psychologique a eu une influence importante sur l’approche de la vie cléricale.

Il est évidemment toujours périlleux de résumer en quelques mots le contenu d’un ouvrage. Je me risque à m’inspirer de la 4e page de couverture : les responsables ecclésiastiques savaient, et se sont avant tout préoccupés des délinquants, sans grande considération pour les victimes et les séquelles dramatiques qu’elles endurent. Dans une large mesure, on est porté à accorder son crédit à pareille conclusions.

Un tel ouvrage – éclairant sans aucun doute sur bien des éléments du dossier – ne manquera pas de soulever des réactions et des questions. La première est qu’on serait évidemment grandement intéressé par une étude du même genre, englobant tous les secteurs de la vie en société : la pédophilie n’est pas un phénomène propre au monde clérical catholique (qu’en est-il d’ailleurs dans les autres Églises chrétiennes ?) ; bien d’autres types d’activités sont touchés (ce qui n’excuse en rien l’attitude des clercs), ce que l’on perçoit lorsqu’éclatent, p. ex., des affaires dans le monde du sport. Le célibat ecclésiastique est-il une cause (parmi bien d’autres) ou à tout le moins un facteur majeur ? Des personnes mariées peuvent être autant prédatrices que des clercs. Y a-t-il un lien intrinsèque entre pédophilie et homosexualité ?

Revenons au livre. Il me semble qu’on peut en tirer les enseignements suivants. Dans le chef des responsables ecclésiastiques, on fut certainement plus soucieux de s’occuper des auteurs que des victimes. Les raisons ne sont sans doute pas uniquement à rechercher dans le souci de préserver la réputation de l’institution. Indépendamment du fait que l’Église n’a pas les moyens de répression dont dispose la société civile (chaque diocèse n’a pas son Château Saint-Ange où emprisonner ses contrevenants aux lois), on peut se demander si l’abus contre enfants n’a pas été par trop considéré comme un délit parmi tant d’autres, et le clerc coupable, une fois sa peine canonique purgée, était remis en liberté comme n’importe quel autre coupable qui, après s’être acquitté de sa peine, est tenu pour quitte. Les ressorts psychologiques des abuseurs étaient sans aucun doute nettement moins bien connus que de nos jours, tout autant d’ailleurs que l’impact sur les victimes. La quantité de délits était certainement très mal connue, voire pas du tout. N’a-t-on pas traité cette réalité en la considérant comme étant « exceptionnelle » en nombre ?

Voilà donc un « dossier » de plus sur cette situation lamentable. Espérons qu’il aidera à y voir plus clair et qu’on puisse trouver les solutions adéquates. — B.J.

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