Tu seras un homme. La virilité comme promesse

Martin Steffens
Spiritualiy - reviewer : Alain Mattheeuws s.j.

Martin Steffens nous a habitués à sa parole vive, franche et directe. Il ose aussi affronter des situations complexes et parfois conflictuelles de notre temps. Ce livre stimule, nous aide à réfléchir et à travers ses récits paradoxaux, nous éclaire sur nous-mêmes. Une vision de l’homme nous est offerte. Les réflexions de l’A. ne suivent pas le politiquement et culturellement correct et c’est ce qui fera du bien au lecteur. Dans une culture qui combat à raison le patriarcat, mais sous un mode dialectique pour construire un matriarcat, il décrit par touches impressionnistes ce jeune qui est appelé à devenir un homme : un homme respectueux de lui-même et des relations avec « l’autre moitié de l’humanité ». « Ce n’est pas en détestant les hommes que nous respecterons les femmes. » Parler de complémentarité ou d’enrichissement mutuel pour la relation homme-femme ne suffit pas : il faut affirmer aujourd’hui que la virilité est une promesse et qu’elle est un bien pour tous.

Après une longue mise en situation, la découverte de cette promesse s’énonce dans plusieurs verbes qui sont autant d’étapes de maturation de l’homme masculin : consister, prendre, différer, être père, se déprendre. Ces étapes « voudraient vérifier pleinement que la masculinité est elle aussi un chemin d’humanité » (p. 26). Si l’homme et la femme forment une polarité, cela signifie qu’ils ne peuvent exister et se définir l’un sans l’autre. Une vraie masculinité est nécessaire pour le bien commun de la vie en société. « Pour tout le monde, elle est un beau risque à courir » (p. 26).

Consister, c’est se reconnaître masculin sans honte. Si l’on veut se donner, il faut être tourné vers l’avenir, ouvert à la construction d’un projet, maîtriser sa force, être généreux de soi et disponible à de nobles combats qui expriment un goût de vivre, sortir des addictions et de l’infantilisme, reconnaître et s’identifier en partie au père reçu. Consister dit « une force intérieure et extérieure ». Consister dit un sujet qui parle au masculin.

Prendre : « l’homme prend, grâce à la femme avec qui il s’engage, la consistance qui, sans elle, lui manquerait » (p. 87). Cela suppose une initiative, un désir d’exprimer son attente face à celle qu’il aime. La rencontre amoureuse n’est qu’une étape, mais elle est nécessaire et la femme peut en faire une « épreuve » pour son « Prince Charmant » qui est appelé à devenir son époux. Prendre, c’est prendre par la main de manière ferme, d’un amour libre : toute relation pour tenir et se développer cherche à voir les expressions d’une volonté personnelle. « Entre l’indifférence au sein d’un couple qui, pour rester libre, a omis de désirer, de se posséder, de s’appartenir, et l’indifférenciation où s’abolit, dans la fusion, l’altérité de l’autre, il y a un juste milieu, qui est le lieu, l’espace, le foyer où distance et rencontre s’alternent avec bonheur » (p. 96). Prendre femme, c’est comprendre et être compris d’elle. Prendre c’est affronter la dureté d’une loi : celle de la femme mariée qui n’est plus disponible, celle de l’étudiante qui change de colocation, celle d’une illusion qui apparaît comme telle dans la réalité de l’échange. Prendre c’est affronter le dépassement de l’hédonisme et assumer l’horizon de la mort pour les vivants qui veulent se donner et donner la vie.

Différer, c’est refuser l’abstraction, la généralisation, les idées pures pour entrer dans la réalité du temps, des corps, des libertés incarnées. Ainsi la consistance pour les hommes c’est oser l’identité et la différence : « parce que je suis moi, je ne suis pas toi ». Se mettre face à face, se rencontrer, faire un bout de chemin ensemble, c’est oser se montrer différent. Dans les relations vraies, nul n’est interchangeable. La liberté mûrit en se découvrant issue de « ce qu’elle n’est pas » : elle n’est pas pure intention ni inconditionnée. Elle est différente de la nature, mais elle est en elle : elle ne peut pas marquer sa différence en niant son inscription dans la nature, dans l’espace et le temps, dans le corps. Le « donné » doit être accueilli, interprété pour trouver toute l’amplitude de sens qu’il contient. Ainsi la problématique et la vie sexuelles ne peuvent se dire et se redire sans assumer les différences sexuelles. L’énoncé de cette différence dans diverses circonstances de la vie situe le masculin et le féminin dans leur vérité de fait. Il leur permet de s’engager l’un vis-à-vis de l’autre et de voir cet engagement par la parole être reconnu par autrui : « Je vous déclare mari et femme ». Pour advenir à soi par ce type de consentement, il faut consentir à la différence que l’on est. La différence n’est pas « le différend ». Elle n’est pas qu’une limite négative mais d’abord positive. Pour devenir Un, il faut entendre ces limites et les assumer. La limite sexuelle nous dit que nous ne sommes pas « tout l’homme » : elle nous constitue qualitativement pour nous permettre d’être celui que nous sommes.

Être père est une décision irréversible : ou bien on n’a pas d’enfants dans ce monde impossible, ou bien on en aura « trois, quatre, cinq, six, pressentant que nous ne rendrons ce monde à nouveau possible que s’il y a des enfants pour l’habiter » (p. 164). Cette décision rejoint une génération qui ne peut que faire de la désistance ou de la résistance. Être père, c’est apercevoir « la lueur du bien, vacillante, fragile comme tout ce qui est beau, mais plus éclatante aussi ». Le fils, comme l’indiquent certains films contemporains, est le gardien de l’humanité du père. Le père reste ou redevient un père quand il décide d’offrir à ses enfants un monde vivable. S’il a fondé une famille sur une promesse, ce lieu apparaîtra « comme un foyer : le lieu où le feu brûle encore » (p. 172). Le père transmet, il envoie vers le monde sans garder l’enfant pour lui. « Le patriarcat, c’est l’enfant comme possession du père. La paternité, dont il se pourrait bien que son ère commence à peine, c’est le père qui dé-livre l’enfant » (p. 175). Les figures d’Abraham et d’Isaac nous l’enseignent déjà. Le père est une figure de la force, mais dans la tradition judéo-chrétienne, il est cette force qui renonce parfois à s’exercer pour se tenir au seuil de la liberté du fils. Ainsi fait Dieu le Père pour chacune de ses créatures. La Bible est remplie de ces paradoxes qui nous révèlent qui est Dieu et qui est l’homme. Ces paradoxes nous apparaissent moins rationnels que certaines affirmations des Lumières ou de l’Islam. Le pari pour la liberté humaine passe par le respect de ce monde symbolique : être père, c’est affirmer une lumière qui traverse les générations et qui nous donne la vie.

Se déprendre c’est mettre de la mesure dans les attitudes précédentes : la consistance ne peut pas devenir dureté… L’homme est parfois tenté de « sauver Dieu » lui-même et ainsi il se méprend sur ce qu’il est et doit devenir. Sa grâce semble disparaître. Un homme droit est appelé à s’agenouiller et à mettre le fruit qu’il est dans la terre pour qu’il germe. L’homme masculin est appelé à devenir non pas un héros de guerre et d’aventures, mais un saint. Il est urgent de parler aux jeunes hommes de ce don qui leur est promis dans le monde tel qu’il est. — A.M.

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