L’Écriture, l’Esprit et les saints. L’herméneutique de saint Bonaventure : c’est le titre de la thèse doctorale du père Matthieu Bernard  défendue en 2023 à l’Université pontificale grégorienne, et qui lui vaut aujourd'hui le prestigieux Prix Henri de Lubac. La NRT lui présente toutes ses félicitations !

Membre du comité de rédaction de la NRT, il est enseignant-chercheur à la Faculté de Théologie UCLy. Prêtre du diocèse de Lyon, membre de la communauté de l’Emmanuel, il est en outre formateur au séminaire provincial St Irénée. 

Brève présentation de la thèse de Matthieu Bernard

Dans le Breviloquium, Bonaventure se désole que « les jeunes théologiens prennent en dégoût l’Écriture sainte », dégoût suscité par l’aspect désordonné du texte biblique et par l’absence immédiate de réponses simples et claires. Ce constat ne semble pas sans lien avec la situation contemporaine ! Comme aujourd'hui, le XIII^e siècle est une période de profonds changements pour l’Église et la société. Il vallait donc la peine de s’intéresser à la manière dont saint Bonaventure transcrit dans une forme plus systématique l’expérience du fondateur de son ordre, François d’Assise.

En étudiant le commentaire de Luther sur l'épître aux Galates, Matthieu Bernard avait déjà exploré le lien profond qui existe entre l'expérience spirituelle et le chemin vers les Écritures. Il a pu constater que la place de l’Écriture sainte dans la science sacrée est récurrente chez Bonaventure : or, il n'existait pas de thèse complète dédiée à cette question de l’herméneutique des Écritures chez saint Bonaventure. Dans sa fameuse thèse sur la théologie de l'histoire de saint Bonaventure, Joseph Ratzinger, par exemple, ne traitait pas du tout la notion de Verbum inspiratum. Or Bonaventure établit une séquence triple du Verbe : Verbe incréé, dans sa relation au Père ; Verbe incarné, comme Fils en lui-même ; Verbe inspiré, en lien avec l’Esprit Saint. Bonaventure reprend le motif du Christ exégète et exégèse, que l'on retrouvera bien plus tard dans l'herméneutique de l'accomplissement chez Henri de Lubac. Aussi, pour Bonaventure, celui qui est conformé au Christ par l’action du Verbe inspiré est-il apte à l’exégèse des Écritures.

La thèse s’articule en trois parties :
1. Éloges de l’Écriture : l’auteur parcourt le prologue du Breviloquium et souligne le passage du quid au quomodo. Alors que le XIII^e siècle est souvent perçu comme le triomphe du sens littéral, Bonaventure approfondit l’étude de ce sens mais il contribue aussi à développer le sens spirituel avec trois objectifs : proposer des itinéraires spirituels, manifester la présence du Christ à tout moment de l’histoire, élever les épisodes évangéliques à une portée universelle. Dans sa dernière œuvre, Bonaventure développe cette perspective et développe les quatre sens de l’Écriture, les figures sacramentelles, les théories en nombre infini (il faut noter peut-être le contact avec Joachim de Flore).
2. L’Esprit : comment la notion de Verbe inspiré permet-elle l’intelligence de l’Écriture ? Par l’action de la Trinité révélatrice, l’Esprit imprime le Verbe dans l’intelligence des croyants qui sont rendus aptes à lire l’Écriture. Le cercle herméneutique est reconfiguré en croix herméneutique.
3. Les saints : « la science des (choses) saint(e)s ». Il s'agit de distinguer le lecteur chérubinique (figure emblématique du prédicateur et du docteur) du lecteur séraphique (le saint manifestant l’inouï et la nouveauté de l’Esprit). 

En conclusion, Bonaventure a développé une théologie biblique qui manifeste l’œuvre de l’Esprit. Il opère un passage de la lettre à l’esprit, soulignant l’action horizontale de l’histoire et l’axe vertical comme mouvement orienté vers le service du prochain. La finalité de l’Écriture et de la science théologique convergent vers une même cause finale qui est salvifique (pour que nous devenions bons).

Lisez les articles de Matthieu Bernard dans la NRT :

• « L’Église aux périphéries : le dernier voyage de Paul (Ac 27,1–28,14) », NRT 144/2 (2022), p. 177-194.
• « L’Église en quête d’identité : le deuxième voyage missionnaire de Paul (Ac 15,36-21,14) », NRT 142/1 (2020), p. 5-22.
• « Comment dire l’Évangile ? Quelques réflexions sur le langage paulinien », NRT 142/4 (2020), p. 559-577.
• « La Parole et le Jugement. Lecture d’Isaïe 66 », NRT 133/4 (2011), p. 529-546.