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Politique et bonne gouvernance. Une lecture critique des documents du deuxième synode pour l'Afrique

Une lecture critique des documents du deuxième Synode pour l’Afrique

Étienne Chomé
Cet article propose des stratégies pastorales mettant en oeuvre le message du deuxième Synode pour l'Afrique, tenu en 2009, relatives à la politique et à la bonne gouvernance. Il s'inscrit dans la démarche d'une théologie pratique qui s'attache à traduire la pensée synodale en pistes opérationnelles pour les laïcs appelés à s'engager dans la Cité; ce sont eux qui constituent la grande majorité du peuple de Dieu. L'A. prône la mobilisation collective et une organisation efficace des forces vives de l'Église. À partir des nouvelles sciences et expériences de gestion des conflits, il cherche à articuler davantage la théologie spirituelle de la paix développée par le Synode avec le combat nonviolent contre les injustices. Il termine par des propositions concrètes concernant l'engagement solidaire du clergé aux côtés des laïcs qui travaillent concrètement au renforcement de l'État de droit.

Le Message au peuple de Dieu de la IIe assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques a été rendu public le 23 octobre 2009, accompagné de 57 Propositions. Le thème de ce Synode était : « L’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix. “Vous êtes le sel de la terre, […] vous êtes la lumière du monde” (Mt 5,13.14) ». Le Message des évêques a été l’aboutissement d’un important travail préparatoire (Lineamenta et Instrumentum laboris) et fut prolongé par l’exhortation apostolique Africae munus que le pape Benoît XVI promulgua le 19 novembre 2011 au Bénin.

La réception de ce Synode est en train de se réaliser notamment par des propositions complémentaires dans le registre opérationnel. C’est à la traduction de la pensée synodale en stratégies pastorales que je m’intéresse ici, en ne travaillant que le thème de la politique et de la bonne gouvernance. À la limitation thématique de cet article, s’ajoute une limite méthodologique : je fais une lecture des textes synodaux. Or ceux-ci ne sont que les traces écrites du processus en cours. N’ayant pas pris part aux travaux du Synode, je risque de méconnaître la richesse des échanges, la dynamique ecclésiale en-deçà et au-delà des écrits, voire la subtilité des non-dits des textes ! Si certains de mes propos pèchent par « européano-centrisme », j’invite mes collègues africains à me corriger et/ou à me compléter. Je pars de mon expérience de formateur en gestion des conflits, notamment dans une dizaine de pays africains1. Malgré les limites et les risques de l’entreprise, je prie pour que mes interrogations et les pistes que je suggère servent aux changements positifs que les Pères synodaux désirent stimuler. Je procède en trois temps : je commence par les engagements des laïcs et je termine par ceux du clergé ; entre les deux, je clarifie les concepts opératoires.

I Une théologie pratique prioritairement adaptée à la vocation du « peuple de Dieu »

« Ce synode de la Pentecôte est celui de l’empathie et de l’engagement. Empathie avec les situations concrètes de nos peuples, à la manière des prophètes. Engagement que traduit la double métaphore matthéenne du sel et de la lumière (Cf. Mt 5,13-14) »2. Ce deuxième Synode africain a ouvert ses travaux par une écoute profonde de la réalité et des pratiques chrétiennes. Le pape salue cette démarche synodale dès son exorde : l’ensemble des documents produits « invite à transformer la théologie en pastorale, c’est-à-dire en un ministère pastoral très concret, dans lequel les grandes visions de l’Écriture Sainte et de la Tradition sont appliquées à l’œuvre des évêques et des prêtres à un moment et en un lieu déterminés » (Africae munus, 10). Une théologie pratique nomme les problèmes rencontrés, les comprend avec l’aide des sciences humaines (la partie I du Message final s’intitule « Un regard sur l’Afrique d’aujourd’hui »3), puis « considère toute chose à la lumière de la foi » (Message final, 8, dont la partie II s’intitule « À la lumière de la foi »). Enfin, dans l’esprit de l’Évangile et dans le souffle de l’Esprit, elle va jusqu’à proposer des pistes pastorales réellement à la portée des chrétiens pour un agir renouvelé. Certes, le registre des principes généraux est difficilement évitable dans un message synodal qui est le résultat de nombreux ajustements et de compromis, ainsi que dans une exhortation apostolique au genre littéraire particulier du fait que sa visée est universelle. Les principes généraux sont aussi prescrits pour respecter la légitime diversité des opinions politiques et la liberté/responsabilité de chaque chrétien. Néanmoins, « une foi qui ne se traduit pas en action est une foi stérile »4. Et si « l’objectif visé est de susciter une conversion chrétienne profonde des cœurs, des mentalités, des attitudes, des structures ecclésiales et socio-politiques »5, comment transcrire ces principes généreux en programmes d’actions réelles et transformatrices de la réalité ? Le critère de réussite d’un discours poussant à l’action ne réside pas dans sa tournure mais bien dans la réalisation effective de l’action !

L’Afrique a besoin de saints dans les hautes sphères politiques, de saints politiciens qui combattent la corruption, travaillent pour le bien du peuple et savent mobiliser les autres hommes et femmes de bonne volonté pour s’allier contre les maux communs qui affligent nos pays.

(Message final, 23)

Comme « la construction d’un ordre social juste » (Africae munus, 22) commence par la base, on a aussi besoin de saints leaders locaux et régionaux. Et on a surtout besoin de réseaux humains, y compris au niveau des diocèses, car un régime dictatorial peut facilement éliminer une personnalité qui s’est avancée seule, mais il ne peut pas abattre un réseau solide. Pleinement mobilisé, le réseau ecclésial représente un atout très important dans les forces vives de beaucoup de pays subsahariens. Comme le dit le proverbe africain, « une armée de fourmis est capable de maîtriser un éléphant », tout autant que l’éléphant écrasera sans difficultés quelques fourmis ! Voilà pourquoi la stratégie pour faire tomber une injustice est décisive, ainsi que la mobilisation collective, qui passe par l’organisation de groupes engagés. La difficulté est donc de proposer des balises stimulant cette structuration.

« Ce Synode s’adresse avec une profonde affection » (Message final, 22) aux « chers catholiques africains œuvrant dans la vie publique […] (avec) courage » (ibid., 23). En plus de dénoncer les abus de politiciens exerçant de hautes fonctions6 et d’annoncer le Christ, il est possible de proposer une pastorale politique qui effectue la cohésion de toutes les bonnes volontés. Qui peut proposer celle-ci ? Des laïcs en sont capables mais sont-ils autorisés ? Je m’explique : le Magistère se dit appelé à ne pas faire directement de la politique et il appelle chaque laïc, « messager à part entière de l’Évangile » (Instrumentum laboris, 137), à être « un membre à part entière de la res publica, à la construction de laquelle il pourra contribuer » (Africae munus, 76). « Vous êtes l’Église de Dieu dans les lieux publics de notre société. Grâce à vous, la vie et le témoignage de l’Église sont rendus plus visibles au monde. Vous participez donc au mandat que l’Église a reçu d’être “ambassadeur du Christ” travaillant pour la réconciliation entre Dieu et les hommes, et des hommes entre eux » (Message final, 23). Ceci dit, qui a le pouvoir de mobiliser les ressources ecclésiales ? L’Église compte sur les laïcs à qui elle reconnaît ce pouvoir au sens de la capacité et de la compétence d’agir. Mais ceux-ci ont besoin du soutien concret des responsables d’Église qui ont le pouvoir, au sens de l’autorité habilitée à autoriser. Une réelle mobilisation des forces vives nécessite une collaboration entre les deux formes de pouvoir : « yes, we can » et « yes, you may ».

Le synode salue le travail remarquable accompli par les Commissions Justice et Paix, par exemple dans la formation citoyenne pré-électorale7. Plusieurs mènent des actions à la fois mesurées et courageuses dans des contextes sociaux dangereux. Néanmoins, certaines d’entre elles ne souffrent-elles pas d’être des organes diocésains fonctionnant classiquement de haut en bas ? Comment mieux relayer et amplifier les engagements de justice politique et de paix sociale des communautés de base et des mouvements catholiques les plus actifs ? L’apprentissage d’une gestion participative peut aider à « revoir la pédale d’embrayage entre le moteur et les roues ». Il y a aussi lieu d’analyser le décalage avec les acteurs de la société civile engagés sur le terrain et la difficulté à s’impliquer avec eux dans des stratégies réfléchies. Un autre défi est d’optimiser le soutien et la collaboration des Commissions Justice et Paix du Nord et des ONG d’envergure internationale.

L’édification d’un laïcat chrétien compétent et éclairé commence par la création d’instituts de formation et d’universités (Message final, 22) et la création de facultés de sciences politiques dans les universités catholiques (Proposition 25). Certes ! Mais d’autres propositions adéquates me semblent pouvoir être faites. D’abord, dans un esprit réaliste et constructif, pour baliser le chemin encore à parcourir, il me semble utile de reconnaître, en Afrique plus qu’ailleurs, la grande dépendance des laïcs à l’égard du clergé par qui passent les financements du Nord destinés à la formation, à la logistique, à la mise en réseau, etc. Pourtant, de très belles dynamiques naissent là où l’évêque insuffle entre clergé et laïcs un esprit de partage des responsabilités et un pouvoir de décision inclusif. Une piste concrète est de confier la responsabilité à une troïka, comprenant par exemple un prêtre diocésain, un/e religieux-se et un-e laïc-que. À Kinshasa, où des chrétiens sont actifs dans la défense des droits de l’homme et du citoyen, la lutte contre l’impunité, le traitement indigne des prisonniers, le bon fonctionnement de la justice, etc., la Commission Justice et Paix est depuis plusieurs années sans responsable nommé, l’usage voulant que ce soit le vicaire judiciaire qui soit à sa tête. Confier des postes clé à des laïcs, par statut plus indépendants que les clercs, ne manquera pas de créer des difficultés mais celles-ci ne seront-elles pas paradoxalement source de vie et de salut ?

Les propositions opérationnelles du Synode me semblent plus claires pour les clercs que pour les laïcs. En amont des pistes pastorales, le niveau doctrinal lui-même apparaît être une cote mieux taillée pour un clergé invité à ne pas s’engager directement en politique que pour un laïcat clairement appelé à s’engager dans la Cité et à contribuer à une bonne gouvernance. L’exhortation post-synodale se réjouit que le Synode ait « permis de s’interroger sur le rôle public de l’Église et sa place dans l’espace africain d’aujourd’hui » (Africae munus, 17). Le pape pense ici surtout à l’institution ecclésiale. L’ordre de passage pyramidal, allant des évêques aux laïcs, du chapitre 1 d’Africae munus sur les membres de l’Église, pose une question relevant de l’ecclésiologie, bien au-delà de la préséance. En ces temps où catholiques et protestants s’enrichissent mutuellement, nous avons des choses à apprendre de nos frères de la Réforme qui pensent le service du bien commun à partir de l’engagement fondamental de la grande majorité du peuple de Dieu. Ils ont mis au point des pratiques d’assemblée et de co-responsabilité fécondes, qui peuvent être conciliées avec le trésor catholique de l’unité8. Les sciences humaines portant sur la gestion participative sont aussi précieuses : elles enseignent comment un groupe humain peut optimiser ses résultats par l’implication réelle des différents acteurs qui le composent. Cela passe nécessairement par plusieurs mécanismes de partage du pouvoir de discernement et de décision ; cela commence par la manière dont le groupe fixe son cadre de fonctionnement et ses règles de procédure, et même déjà, le lieu de ses rencontres.

II Une théologie spirituelle de la paix mieux articulée à un combat non-violent contre les injustices

Le deuxième Synode pour l’Afrique met en avant l’engagement pour la réconciliation, de sorte que « le concept africain de la justice est synonyme de réconciliation et de paix » (Instrumentum laboris, 55). La justice du Royaume dont parle l’Instrumentum laboris aux n. 44s, n’est pas reprise dans le Message final qui souligne par contre « la justice de la conversion et de la réparation » (8), pensée à l’intérieur du processus de réconciliation. La résolution de conflit apparaît dans la rubrique « paix », toujours en vue de consolider la paix (Proposition 21), jamais pour renforcer la justice et travailler en amont à la consolidation de l’État de droit. Appréhendée en tant que valeur morale et spirituelle, la justice est intégrée dans un processus de réconciliation, comme semble l’indiquer sa place au milieu de la trilogie « réconciliation, justice et paix ».

Cette approche spirituelle s’intéresse très peu à la recherche de la justice comme processus sociopolitique, comme combat politique par la négociation dans le conflit. Or, face aux élites politiques qui se servent plutôt que de servir le bien commun, qui imposent la loi du plus fort au lieu de consolider la force de la loi, les exhortations morales ne suffisent pas, ni « la promotion d’une culture soucieuse de la primauté du droit et du respect des droits humains pour tous et la formation » (Proposition 25). Ces bonnes propositions du synode méritent d’être complétées par la reconnaissance et le soutien de formes d’actions concrètes et engagées par lesquelles se consolident effectivement des contre-pouvoirs d’un autre ordre que les pouvoirs abusifs. À tout le moins, pour relever ce défi, les chrétiens ont besoin d’une pensée politique qui fasse davantage de place au combat contre les injustices et à la dimension conflictuelle, intrinsèque à la vie politique. Ce combat pour la justice requiert des compétences de communication, de stratégie et de négociation, telles qu’on puisse effectivement peser sur les rapports de force politiques, sans tomber soi-même dans l’engrenage de la violence ou dans l’escalade des jeux de pouvoir.

Jusqu’où le Synode à visée pastorale a-t-il à entrer dans ces considérations sociopolitiques ? Le pape nomme bien l’enjeu :

La tâche qu’il nous faut préciser n’est pas aisée, car elle se situe entre l’engagement immédiat en politique — qui ne relève pas de la compétence directe de l’Église — et le repli ou l’évasion possible dans des théories théologiques et spirituelles ; celles-ci risquant de constituer une fuite face à une responsabilité concrète dans l’histoire humaine.

(Africae munus, 17)

De fait, un discours qui ne prend pas assez en compte la réalité du conflit risque de tomber dans un idéalisme désincarné. Un discours qui ne met en avant que la paix, la réconciliation, le pardon, la prière et l’espérance, risque de quitter l’histoire et de fuir dans le registre lénifiant, voire l’illusion. Une pensée politique chrétienne réaliste doit partir du jeu politique tel qu’il est, sans passer à côté des rapports de force, des jeux de pouvoir, qui sont constitutifs de la vie politique. En guise d’analogie, certains ingénieurs en train de mettre au point le moteur à explosion seraient tentés de laisser l’essence dans un coin du garage, tant elle est dangereusement explosive et volatile. Pourtant, on ne fait pas avancer une voiture sans essence. Le défi est de mettre au point l’explosion au sein de la chambre de combustion, de manière telle que l’énergie se communique aux roues. De même au niveau sociopolitique, on ne peut, d’un côté, vouloir davantage de justice et d’État de droit et, de l’autre, ne pas toucher à l’essence du politique, à savoir le combat dans le conflit qui est certes dangereux, mais pas nécessairement violent ni antiévangélique.

Le Synode fait des propositions concrètes et judicieuses en matière de formation. L’importance d’un travail sur la culture de justice et de paix est soulignée dans les Propositions 15, 21, 24, 25, 38, 49 et 56 : « Promouvoir la justice pour chacun et le respect des droits humains par l’éducation civique et la construction d’une culture de justice et de paix » (Proposition 15)9. Ce travail de fond est en effet l’investissement fondamental. Mais suffit-il pour répondre aux besoins des chrétiens déjà engagés aux côtés des hommes de bonne volonté dans des actions concrètes ? Se former à la résolution de conflit occupe une place importante dans la Proposition synodale 21, mais il serait possible d’innerver davantage le reste des textes synodaux par les acquis des principes et des méthodes de résolution de conflit. Une piste pour des chercheurs étudiant ce Synode serait de montrer concrètement comment évolue la prise en compte du combat pour la justice et de la dimension conflictuelle de l’engagement politique dans les textes allant des Lineamenta à l’Exhortation post-synodale du pape, en passant par l’Instrumentum laboris, le Message final du Synode et ses Propositions. Par exemple, s’intéresser à ce que les documents officiels retiennent des interventions synodales les plus engagées et engageantes, comme celles du nigérian Obiora Francis Ike, fondateur du Catholic Institute for Development Justice and Peace (CIDJAP). S’intéresser aussi aux décalages entre les interventions orales des Pères synodaux et les documents écrits qui s’ensuivent, à propos de diverses notions : « lutte contre l’impunité »10, « rôle préventif de la loi »11, « injustice comme violence structurelle » reprise comme « structure de péché » par Jean-Paul II à partir de son encyclique Sollicitudo rei socialis, 36 et 37, en 1987. Une autre piste de recherche serait d’analyser quand et dans quel sens sont employés les concepts « pacifique » et « non-violent ». Le premier est préféré au second qui apparaît deux fois dans les Lineamenta (64 et 76) mais ne revient plus du tout dans les autres écrits. Qu’en est-il dans les propos oraux ? Est-il systématiquement attaché à la non-violence évangélique ? Et celle-ci est-elle seulement comprise dans un sens moral et spirituel de respect inconditionnel de la personne et de la vie ? Une telle compréhension méconnaît les principes et les méthodes de la non-violence. Elle est dite stratégique ou active pour souligner l’écueil de la passivité qui est complice de la violence12. La stratégie non-violente a pour défi d’articuler « force, droit et valeur », pour le dire dans les termes de la trilogie du jésuite Gaston Fessard13 : pas seulement le respect des personnes et le témoignage des valeurs évangéliques, mais aussi le combat sociopolitique pour faire effectivement tomber les injustices et construire l’État de droit.

En recourant 37 fois au registre du témoignage14, Africae munus déploie une théologie forte sur le plan spirituel mais qui reste prudente à l’égard du combat réfléchi et organisé contre les injustices, indispensable à une bonne gouvernance démocratique. Les silences des textes synodaux sur les principes et les méthodes non-violentes de résolution des conflits signifient-ils une désapprobation ? Ou la stimulante Proposition 21 insistant sur la nécessité d’investir dans les moyens concrets de résolution de conflit suffira-t-elle pour entraîner de fécondes applications post-synodales ? Prenons l’exemple, en République démocratique du Congo, de la marche non-violente des chrétiens pour la vérité des urnes, le 16 février 2012. « Que faire face à des élections non conformes au respect du droit ? », s’interroge l’abbé Léonard Santedi, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo. Et celui-ci de prolonger son propos15 en parlant de la souveraineté que le peuple de Pologne a su garder grâce à la force de sa culture. Certes, mais cette culture s’est concrétisée dans un mouvement d’opposition structuré qui a mené des actions non-violentes organisées collectivement, avec détermination et intelligence, avec méthode aussi. C’est par la désobéissance civile à l’oppresseur soviétique que le peuple polonais a pu se libérer, avec l’engagement très concret de l’Église jusqu’au pape Jean-Paul II. En janvier 2012, la conférence des évêques du Congo RDC a explicitement dénoncé le résultat des élections mais elle est restée très prudente en ne donnant pas de « label ecclésial » à la marche du 16 février. La dynamique synodale n’a-t-elle pas à aller jusqu’à se donner en Église des repères et des critères pour identifier les formes concrètes d’actions qui rendent opérationnels les principes avec justesse et réalisme ? À tout le moins, pour prendre pleinement la place citoyenne qui est la leur, les laïcs ont besoin d’être éclairés par les politologues chrétiens et les théologiens approfondissant la doctrine dans ses implications concrètes. Il convient aussi de s’échanger les initiatives positives dans la gestion des conflits, comme par exemple les expériences instructives de San Egidio, de l’Église du Mozambique soutenue par le dynamisme de l’AMECEA en Afrique de l’Est16. Elles illustrent l’importance d’organiser un dialogue d’une part réaliste dans l’analyse du rapport des forces et d’autre part idéaliste dans le respect profond des protagonistes. Un tel processus a besoin d’une option claire pour la non-violence. Celle-ci ne peut être réduite à son édulcorant pacifique car un droit humain n’est jamais offert sur un plateau. Il s’arrache par un long et courageux travail en réseau, sur base de solides compétences et d’une bonne connaissance de la législation du pays.

J’ai dialogué avec cinq participants au Synode. Aucun n’a pu répondre aux questions suivantes : Concernant la rédaction des paragraphes des documents magistériels portant sur la politique et la bonne gouvernance, quels experts sociopolitiques le synode a-t-il sollicité en amont de ses travaux ? Il y a eu certes des membres laïcs engagés dans les Commissions Justice et Paix et l’intervention en plénière de Jacques Diouf (FAO) suscitant un débat entre sécurité et souveraineté alimentaires. Mais comment le synode s’est-il enrichi des compétences de laïcs engagés dans la formation (capacité d’analyses sociopolitiques aiguisées et pertinentes dans leurs principes) autant que dans l’action politique (capacité d’actions collectives organisées avec méthode) ? L’absence de certaines expériences militantes engagées dans la non-violence signifie-t-elle un déficit de culture politique ou un choix délibéré ?

Assurément, les documents du Synode n’ont pas à être des traités de politologues mais leur pastorale n’a pas non plus à prêter le flanc à leur critique. Voici un exemple de tension entre les deux registres. La prière revient plus de 25 fois dans l’exhortation post-synodale Africae munus 17. L’espérance est aussi évoquée une vingtaine de fois18. Quant au Message final, il parle de prière seulement aux n. 2, 8 et 22 et d’espérance une seule fois au n. 22, à l’intérieur d’une citation de la Première Lettre de Pierre. En outre, les Pères synodaux emploient à trois reprises la formule : « Nous espérons… » (34, 35, 38). Or, face au pouvoir d’un oppresseur, face au non-respect de la loi, face à l’impunité des plus forts, on ne peut se contenter d’« espérer » que les gens respectent la loi. Le bon outil à même de vaincre l’impunité et la corruption réside dans le cadre du droit efficacement contraignant. Dans le champ politique, la prière et l’espérance ne peuvent remplacer la compétence à même d’obtenir l’État de droit ; elles la renforcent et l’enracinent spirituellement. Pour éviter des confusions, le défi de la pensée politique est de distinguer clairement les registres (morale, spiritualité, négociation politique et cadre de droit juridique) et ensuite de les réarticuler. Pour un politicien et un politologue, les appels à la prière et à l’espérance ne sonnent juste que s’ils sont suffisamment articulés à la mise en œuvre des ressources pratiques et des outils techniques nécessaires.

Une autre suggestion est d’approfondir le concept de pouvoir pour enrichir son approche traditionnelle comme service (Instrumentum laboris, 23 ; Message final, 23 ; Proposition 16 ; Africae munus, 81). Car la spiritualité du service mérite d’être concrétisée dans un savoir-faire. Il pourrait s’agir concrètement d’intégrer les acquis des sciences humaines qui précisent toujours plus nettement la ligne de démarcation entre pouvoir illégitime sur l’autre (alimentant la domination et la violence) et pouvoir légitime pour garantir un cadre de droit contraignant et pour obtenir des accords par la négociation en cas de conflits d’intérêts, tout en préservant le pouvoir d’être avec, par les compétences de la psychologie et les ressources de la foi. Pour stimuler le dialogue de l’Église ad extra, avec le monde, je trouve précieux de faire des passerelles entre ces trois formes de pouvoir (pouvoir pour le droit, pouvoir pour l’accord politique, pouvoir relationnel avec) et la trilogie synodale « justice, réconciliation et paix », ainsi que, plus largement, entre les concepts sécularisés employés dans la gestion des conflits et ceux de la réflexion théologique. Une pastorale contextualisée sur la puissance du patriarcat en Afrique me semble aussi opportune.

Une des impulsions du Synode tend, semble-t-il, à rebaptiser les Commissions « Justice et Paix » et leurs actions en « Réconciliation, justice et paix ». Cela était motivé dans les termes suivants, dès l’Instrumentum laboris :

Certaines réponses aux Lineamenta considèrent que la Commission Justice et Paix répondrait davantage et de manière plus efficace à sa mission, si elle était mieux comprise. Car, disent-elles, elle est souvent perçue comme un instrument servant à encourager les laïcs à lutter pour la justice et non comme un véritable outil d’évangélisation, par son action pour la réconciliation, la justice et la paix. Comment aider à une meilleure compréhension des Commissions Justice et Paix ?

(125)

Dès sa convocation, le pape a demandé que le Synode se concentre sur la réconciliation, terme qu’il restait à définir. La paix a été décrite comme une valeur morale à promouvoir avant tout par une conversion du cœur et une démarche sociale de réconciliation. Cette théologie est fidèle à la tradition qui privilégie la transformation intérieure de l’homme. Africae munus nous en offre une page lumineuse :

« La justice des hommes qui ne prend pas sa source dans la réconciliation par la « vérité de l’amour » (Ep 4,15) demeure inachevée ; elle n’est pas authentiquement justice. C’est l’amour de la vérité, — « la vérité tout entière » à laquelle l’Esprit seul peut nous conduire (cf. Jn 16,13) —, qui trace le chemin que toute justice humaine doit emprunter pour aboutir à la restauration des liens de fraternité dans la « famille humaine, communauté de paix », réconciliée avec Dieu par le Christ. La justice n’est pas désincarnée. Elle s’ancre nécessairement dans la cohérence humaine. Une charité qui ne respecte pas la justice et le droit de tous, est erronée. J’encourage donc les chrétiens à devenir exemplaires en matière de justice et de charité (Mt 5,19-20).

(Africae munus, 18)

Assurément, d’un point de vue spirituel qui connaît et sonde les cœurs, les esprits et les âmes, « la réconciliation est un concept et une réalité pré-politiques qui, précisément pour cette raison, est de la plus grande importance pour la tâche politique elle-même » (Africae munus, 19). Par contre, le pape reconnaît lui-même que, dans le contexte politique, la réconciliation intervient « après un conflit, […] après de longues périodes de guerre » (Africae munus, 21). En effet, d’un point de vue sociopolitique, la réconciliation est un concept employé essentiellement dans le cadre des interventions post-conflit. Et les analyses sociopolitiques du Synode s’appuient essentiellement sur des contextes, des expériences et des concepts de reconstruction de la société, quand se pose la problématique délicate de faire tenir ensemble la double démarche d’amour et de vérité, avec des tiraillements entre pardon et justice. Devant les limites d’une justice pénale instrumentalisée par un esprit de vengeance, on gagne à investir dans une justice réparatrice. « Le vrai pardon promeut la justice de la conversion et de la réparation » (Message final, 8). L’exhortation post-synodale cherche donc à opérer un recentrage spirituel sur fond sociopolitique de réconciliation post-conflit. Or, cette option constitue une restriction du champ de bataille politique et du champ d’intervention pastoral. Car c’est précisément avant que le conflit ne dégénère en affrontement guerrier que la non-violence peut le mieux déjouer la violence à travers sa riche palette d’actions possibles. Le péché des hommes réside essentiellement dans leur passivité avant le conflit armé, dans leur manque de volonté, de courage et d’intelligence à mobiliser les ressources existantes en amont des hostilités. Ainsi, dans la plupart des pays africains qui ne sont pas directement en guerre mais plutôt en perpétuels conflits liés au non-droit, cette optique préventive déplace l’usage des forces dans l’art de la paix véritable : non pas régler le passé mais plutôt organiser dans le présent des actions ciblées avec des objectifs réalistes qui réalisent par étapes un avenir davantage pacifié. Le pompier doit avoir sa juste place, et elle n’est pas centrale. En matière d’incendie, le gros du travail se fait en amont dans la prévention, notamment par les ingénieurs qui enlèvent dans la construction les matériaux inflammables. Même le pompier sait bien, devant un feu qui couve durablement, qu’il ne peut se contenter de viser les flammèches qui apparaissent ci et là mais qu’il doit travailler courageusement pour atteindre le foyer de l’incendie. Il en va de même au niveau social et politique, ce que la théologie politique doit prendre en compte. Pour le dire en termes simplifiés, avec les risques que toute simplification encourt, faut-il que la majorité des laïcs pensent et agissent à la manière d’une Mère Teresa qui ne se mêle pas de politique mais qui panse les blessés avec amour, ou d’un Helder Camara dont la réaction aux critiques est restée célèbre : « Quand je donne à manger aux pauvres, on me dit saint. Quand je demande pourquoi les pauvres ont faim, on me dit communiste » ?

III D’une Église Institution à un clergé plus ouvertement solidaire

Une question délicate concerne l’engagement du clergé dans l’espace public et sa solidarité avec les laïcs engagés dans des actions concrètement prophétiques. Dans plusieurs pays africains, l’Église est un acteur politique qui pèse lourd comme structure sociale, éducative, hospitalière, gestionnaire des fonds de développement, etc. Il est normal qu’elle utilise au mieux tout son pouvoir d’influence au profit de ses valeurs et de ses projets de société conformes à l’Évangile. Il est normal qu’elle demande par exemple à « être présente dans les institutions nationales, régionales et continentales d’Afrique (UA), dans le Mécanisme Africain de l’Évaluation par les Pairs (MAEP) du NEPAD à l’intérieur de l’Union Africaine » (Proposition 24). Par ailleurs, le clergé joue un rôle clé dans la res publica en Afrique du fait que seuls les prêtres et des religieux y ont bénéficié d’une formation poussée. Cela fut ainsi dans les premières générations des catholiques et cela reste encore vrai dans la majorité des diocèses africains. Et comme beaucoup, parmi les jeunes aux meilleurs potentiels, sont rentrés dans les ordres, c’est là que se trouvent les meilleures forces vives engagées de l’Église. Parmi eux, se trouvent des hommes et des femmes qui ont le charisme du leadership. En ce sens, le titre complet de l’exhortation apostolique post-synodale, qui précise l’ordre de priorité de ses destinataires, n’est pas seulement conforme au degré d’engagement institutionnel de chacun/e, il est aussi stratégiquement réaliste : « Africae munus du pape Benoît XVI à l’épiscopat, au clergé, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs sur l’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix ».

Pourtant, l’Église demande aux ministres ordonnés de ne pas avoir d’engagement direct en politique. Les limites restent très floues et ambiguës. Comment le Magistère dans ses textes précise-t-il le champ religieux auquel le clergé est cantonné ? Et jusqu’où va ce cantonnement ? Comment le clergé échappe-t-il à la passivité contraire à « la construction d’un ordre social juste » (Africae munus, 22) que réclame pourtant le Synode ? Quels repères et critères sont-ils donnés aux pasteurs pour que leur impartialité et leur sollicitude universelle ne soient pas une complicité du statu quo qui fait le jeu des oppresseurs ? Sur quelles bases non écrites dans les textes, interdit-on régulièrement à des prêtres de prendre part à des actions concrètes sur le terrain ? Ne serait-il pas juste qu’avant d’être sanctionné à ce titre, un prêtre diocésain puisse bénéficier d’une procédure plus ouverte que le jugement discrétionnaire de son évêque ? N’y a-t-il pas en outre à expliquer davantage dans les catégories contemporaines en quoi la position officielle du Magistère qui déclare ouvertement ne pas s’engager directement en politique est en cohérence avec sa doctrine prophétique appelant à des actions engagées et engageantes ? Comment l’épiscopat africain rend-il compte du décalage entre le principe affiché et ses stratégies d’influence bien réelles ?

Un religieux congolais me disait dernièrement : « Les beaux messages des évêques, aussi percutants soient-ils, n’inquiètent plus les politiciens, qui se sont habitués car les paroles fortes ont peu d’impact sur les chrétiens de la base et n’entraînent pas de mobilisation populaire efficace. C’est la stratégie qu’il faut changer maintenant ! » L’ambigüité de la formule « l’Église ne fait pas de politique » est utile aux évêques dès qu’ils ont besoin de champ et de liberté. Comment leur laisser cet avantage stratégique à l’égard de la classe politique, tout en diminuant au sein de l’institution ecclésiale les mauvaises utilisations de ce slogan trop court ? Le dialogue entre épiscopats africains et européens est certainement précieux à cet égard. En Occident, l’évolution de la société sécularisée et de la place de l’Église dans celle-ci a amené les évêques à aiguiser leur regard, leur pensée et leur action quant à « la mission prophétique de l’Église »19. Une théologie éclairant l’intervention du clergé dans le champ social et politique aura à repenser la distinction traditionnelle entre le sacré et le profane dans le contexte de l’incarnation aujourd’hui. En outre, les sciences praxéologiques, les sciences de gestion et de management fournissent des acquis intéressants, que des recherches théologiques actuelles sont en train d’intégrer. Il y a, me semble-t-il, matière à repenser à nouveaux frais l’articulation entre les catégories augustiniennes de « cité terrestre » et « cité céleste » ainsi que celles du « spirituel » et du « temporel » dont l’évêque assume la double charge, « en tant que chef de l’Église locale » (Message final, 19)20.

« Nos diocèses doivent se présenter comme des modèles de bonne gouvernance, de transparence et de bonne gestion financière » (Message final, 19). Avant même de servir la société, le Synode souligne l’importance que l’Église montre l’exemple, en réduisant les décalages entre les valeurs proposées et son fonctionnement interne. D’après mon expérience, cela commence par surmonter la difficulté d’accueillir le conflit interne à l’Église pour le reconnaître comme source féconde de transformation. Animant des formations en gestion des conflits, notamment au clergé, dans diverses régions d’Afrique, je puis témoigner des fruits que porte le choix d’investir dans des outils concrets d’une meilleure communication. Gérer nos petits conflits du quotidien s’apprend. Ils sont inévitables et ce sont des appels à plus de vérité et à une relation plus authentique. Le défi est qu’à travers un cheminement personnel et communautaire, chacun quitte la culpabilisation des autres et assume toujours plus la responsabilité de ce qui dépend de lui. On devient alors capable de canaliser le débat de manière non-violente, au lieu de tout faire pour l’éviter, par crainte des dérapages.

Comme l’ont bien compris plusieurs des derniers papes, les gestes parlent au monde bien plus que les paroles. En fait, la parole parle d’autant mieux qu’elle accompagne le geste. Au risque de dire moins à propos de ce qu’il serait théoriquement ou idéalement bien de faire, le but devient alors de dire ce que l’on a déjà fait et ce que l’on va faire, la Bonne Nouvelle étant dans le chemin de fraternité autant que dans la destination. « Nous allons de commencements en commencements, par des commencements qui n’auront pas de fin » disait Grégoire de Nysse, dans la joie de marcher ensemble, à la suite de Celui qui nous a mis en route, qui nous fait vivre et qui nous unit en frères et sœurs.

Notes de bas de page

  • 1 De parents belges, je suis né et j’ai grandi dans la Région des Grands Lacs. J’ai passé près de la moitié de ma vie en Afrique et l’autre en Europe.

  • 2 Association des Conférences Épiscopales de la Région d’Afrique Centrale, Pour un Plan Pastoral, juillet 2011, n. 2.

  • 3 Dans ce texte, la formule Message final abrège la référence : Synode des Évêques, Deuxième Assemblée Spéciale pour l’Afrique. Message au peuple de Dieu, Rome, 2009.

  • 4 Intervention de Mgr Nicolas Djomo, président de la Conférence épiscopale de RDC, au cours d’un atelier du Synode, cité par Axelle Fischer, Secrétaire Générale de la Commission Justice et Paix de Belgique, à la Journée d’études sur L’Église et l’avenir de l’Afrique autour du 2ème Synode africain, Université catholique de Louvain, 8 juin 2012.

  • 5 Association des Conférences Épiscopales de la Région d’Afrique Centrale, Pour un Plan Pastoral, 5.

  • 6 Le Synode dénonce sans ambages les hommes politiques corrompus ou accrochés au pouvoir (Message final, 36). Quant aux « catholiques exerçant des hautes fonctions mais qui n’ont pas malheureusement été performants », il « les invite à se convertir ou à quitter la scène publique » (ibid., 23). Il dénonce également les structures injustes de l’ordre mondial (ibid., 32 et 33) en terminant par un cri du cœur : « N’y aurait-il personne qui soit capable et désireux d’arrêter ces crimes contre l’humanité ? »

  • 7 « À tous les niveaux de l’organisation de nos Églises particulières, les Commissions Justice et Paix ont travaillé à éveiller et former les consciences des fidèles pour que ceux-ci deviennent sel du monde et lumière de la terre. Elles ont formé au respect des droits du citoyen et à la lutte contre l’impunité, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le traitement indigne des prisonniers, etc. En période électorale, des Commissions Justice et Paix ont proposé des programmes d’éducation civique et électorale. Certaines déficiences dans la société comme dans l’Église ont été rectifiées grâce à leurs interventions » (Instrumentum laboris, 123). « Contribuer à travers les Commissions Justice et Paix à l’observation des élections de telle sorte qu’elles soient libres, transparentes, équitables et rassurantes pour tous » (Proposition 26).

  • 8 Cf. les expériences positives et stimulantes de catholiques qui travaillent main dans la main avec des protestants, par exemple dans le fonctionnement concret du Conseil Œcuménique des Églises, composé aussi de femmes pasteurs et évêques. À leur niveau, les Pères synodaux approuvent « une plus grande intégration des femmes dans les structures de l’Église et dans les processus de prise de décision » (Proposition 47). Cette Proposition du Synode est étayée par le Message final, 25 et la Proposition 4 promouvant la création d’« un Conseil continental pour les femmes catholiques », mais elle n’est pas du tout reprise dans Africae munus, qui conclut ainsi les n. 55 à 59 consacrés aux femmes : « Dieu vous a constituées réceptacles de la vie. L’Église sera toujours votre soutien. (…) L’Église compte sur vous pour créer une “écologie humaine” par l’amour et la tendresse, l’accueil et la délicatesse, et enfin la miséricorde, valeurs que vous savez inculquer aux enfants et dont le monde a tant besoin. Ainsi, par la richesse de vos dons proprement féminins, vous favoriserez la réconciliation des hommes et des communautés ».

  • 9 « Que des modules de formation et des programmes adaptés à chaque niveau (élémentaire, secondaire, supérieur et universitaire) soient conçus pour une véritable formation à une culture de la paix » (Proposition 21). « En vue de jouer pleinement son rôle et d’apporter sa contribution pour la culture de la paix et des droits humains, l’Église en Afrique… » (Proposition 24). « Face à cela, la mission de l’Église est de promouvoir une culture soucieuse de la primauté du droit et du respect des droits humains pour tous » (Proposition 25). « La famille a une origine divine. C’est le “sanctuaire de la vie” et la cellule fondamentale de la société et de l’Église. C’est le lieu propice pour l’apprentissage et la pratique de la culture du pardon, de la paix, de la réconciliation et de l’harmonie » (Proposition 38). « Que les enfants reçoivent une aide psychologique, une culture de justice et de paix » (Proposition 49). « La formation éthique des journalistes pour la promotion d’une culture de dialogue qui évite la division, le sensationnel et la désinformation » (Proposition 56).

  • 10 Dans tous les textes synodaux, la « lutte contre l’impunité » n’apparaît qu’une seule fois, dans l’Instrumentum laboris, 123, pauvrement reprise dans la Proposition 25 : « le Synode note aussi le triste fait que dans de nombreux pays d’Afrique, il y a une violation massive des droits humains, l’injustice, la corruption et l’impunité… » (cf. aussi Instrumentum laboris, 56, 57). Comment expliquer le décalage entre ce silence et l’importance stratégique de cette lutte politique, plusieurs fois mise en avant dans les débats du Synode ?

  • 11 La proposition 23 mérite d’être soulignée, qui milite pour la promulgation de « standards universels contraignants pour le commerce global des armes conventionnelles, qui respectent les droits humains et les lois internationales humanitaires ». En outre, dans la proposition 29, l’Église s’engage concrètement « à mettre sur pied, dans divers pays du continent, un observatoire sur la gestion des ressources naturelles ».

  • 12 Soucieux d’éviter toute confusion avec le pacifisme, les militants non-violents se méfient du terme ambigu « pacifique ». Or celui-ci est employé dans tous les textes synodaux (lesquels évitent le terme de non-violence !) Par exemple, « gérer pacifiquement les conflits » (Lineamenta, 68) ; « le témoignage de vie pacifique » des prêtres (Message final, 20 repris dans Africae munus, 108) ; « préparer pour demain une société saine, pacifique et responsable » (Instrumentum laboris, 133 et 143) ; « la sainteté se présente comme le moyen le plus efficace de bâtir une société réconciliée, juste et pacifique (Proposition 45) ; « Pour bâtir une société réconciliée, juste et pacifique, le moyen le plus efficace est une vie d’intime communion avec Dieu et avec les autres » (Africae munus, 152). Concernant le choix du Magistère d’employer « pacifique » plutôt que « non-violent », au-delà du Synode pour l’Afrique, cf. ma thèse de doctorat en cours à l’UCL sur l’articulation entre non-violence évangélique et doctrine traditionnelle dite autrefois de « guerre juste » et aujourd’hui de « paix juste ». Cf. la déclaration des évêques allemands sur Une paix juste, 27 septembre 2000. Document disponible sur , consulté le 21/06/2012.

  • 13 Cf. son livre Autorité et bien commun, Paris, Aubier, 1944.

  • 14 Le terme « témoignage » est utilisé 18 fois, « témoins » 14 fois et « témoigner » 5 fois.

  • 15 Intervention à la Journée d’études le 8 juin 2012 à l’Université catholique de Louvain sur L’Église et l’avenir de l’Afrique autour du 2ème Synode africain.

  • 16 Cf. <http://www.amecea.org/index.php/departments/pastoral-justiceand-peace> consulté le 21/06/2012. Notamment les formations en Conflict Management et Peace Building de l’AMECEA Pastoral Institute.

  • 17 Africae munus, 45, 48, 50, 54, 58, 63, 89, 96, 100, 101, 103, 106, 108, 109, 119, 121, 124, 127, 129, 133, 157, 174, 175.

  • 18 Africae munus, 2, 3, 5, 9, 11, 12, 13, 30, 32, 63, 65, 158, 172, 175.

  • 19 Dans sa présentation du « bilan du Synode des évêques pour l’Afrique » faite le 1er novembre 2009, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, emploie 16 fois (sur 6 pages) le mot prophétique pour qualifier l’Église, sa mission et son témoignage. Cf. <http://www.notredamedeparis.fr/spip.php?article903>, consulté le 2/6/2012.

  • 20 Africae munus reprend cette notion d’« évêque chef » au n. 101.

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