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Considérations canoniques sur le « partage » de la charge pastorale

Alphonse Borras
Through their tentative experiments, trials and errors, “pastoral teams” on the ground in parishes give room for a more participative Church both by virtue of the baptismal co-responsibility of all and the ministerial collaboration of some. The major challenge is to find the right articulation between the ordained ministry of the parish priest and the status of the other members of these teams. Hence the question of the “sharing” of pastoral responsibility between the parish priest and the other members. This question is linked with another : as pastoral responsibility is divided into the tria munera — the threefold function of teaching, sanctifying and governing —, how do the lay members of these teams participate in these three functions ? The author proposes to bring in some theological and canonical clarifications. First it is a matter of specifying this expression “pastoral responsibility”, a prior condition to tackling the two following points : the question of who bears the title of pastoral responsibility and the question of its purpose. This, then, will allow us to see what the “sharing” of pastoral responsibility is about canonically speaking.

En matière de direction pastorale des communautés paroissiales, nous assistons depuis trois décennies à la généralisation progressive d’équipes pastorales de paroisse non seulement dans les diocèses français mais aussi dans d’autres contrées en Europe occidentale, comme par exemple la Belgique ou les Pays-Bas, et en Amérique du Nord, notamment au Québec. Désormais le curé est pour le moins « entouré », « assisté » ou « secondé » dans son ministère. Selon les diocèses, ces équipes reçoivent des appellations différentes : équipes pastorales, équipes pastorales mandatées, équipes d’animation paroissiale ou pastorale, équipes de conduite pastorale, etc.1 Pour la simplicité de mon propos, je choisis de parler d’« équipe d’animation pastorale » — appellation la plus fréquente en France — et d’utiliser l’acronyme EAP dans la suite de ces pages.

La diversité des appellations entre diocèses — parfois au sein d’une même province ecclésiastique — suggère déjà la diversité des mises en œuvre de ce type de leadership partagé. À travers leurs tâtonnements, essais et erreurs, et malgré leurs limites, les pratiques d’EAP engagées depuis des années donnent néanmoins lieu à une Église plus participative, aussi bien en vertu de la coresponsabilité baptismale de tous que de la collaboration ministérielle de quelques-uns.

Le défi majeur est de trouver la juste articulation entre le ministère ordonné du curé et le statut des autres membres de ces équipes. Cela renvoie certes à l’organisation du travail au sein de l’EAP en fonction de l’implication concrète parfois très variable des membres. Cela renvoie tout autant à une théologie du ministère pour penser et mettre en œuvre les contributions des uns et des autres, d’une part les ministres ordonnés, notamment les éventuels diacres concernés, et d’autre part les laïcs, bénévoles ou rémunérés, appelés à faire partie d’une EAP. Cela renvoie aussi au droit canonique pour déterminer les obligations, droits et autres attributions des uns et des autres en fonction de l’office, c’est-à-dire de la fonction ecclésiale au sens du c. 145, ou tout simplement de la charge assignée au sein de l’EAP2.

C’est dans ce contexte que se pose souvent la question du « partage » de la charge pastorale entre le curé et les autres membres de l’EAP. Cette question se double d’une autre : la charge pastorale se déclinant dans les tria munera — la triple fonction d’enseignement, de sanctification et de gouvernement, trilogie désormais utilisée dans les dispositifs canoniques, le Code ou le droit diocésain — les autres membres de l’EAP, en général des laïcs, participent-ils à ces trois fonctions ? Ou bien ces laïcs participent-ils uniquement à la fonction d’enseignement, la sanctification étant rapprochée du pouvoir d’ordre des prêtres et le gouvernement relevant de son office ? Or, par la dynamique même d’un travail d’équipe et surtout par la raison même de l’établissement des EAP, ne sont-ils pas aussi amenés à « gouverner » ? Et s’ils sont parfois mis en situation de conduire une assemblée dominicale non eucharistique ou plus simplement d’animer la prière des fidèles, ne doit-on pas reconnaître que ces laïcs participent à la fonction de sanctification ?

Je me propose ici d’apporter quelques éclaircissements théologiques et canoniques. Ils consisteront à distinguer les jeux de langage, les domaines ou registres de langage respectifs à la théologie et au droit canonique, sachant que le discours théologique reflue nécessairement sur le droit ecclésial mais que ses catégories propres ne sont pas toujours des concepts opératoires en droit3. Mon exposé s’articule en quatre points. Il s’agira d’abord de nous entendre pour savoir de quoi on parle : ce sera l’occasion de préciser cette expression de « charge pastorale », condition préalable pour aborder les deux points suivants : la question du titulaire de la charge pastorale et celle de sa finalité. Nous disposerons alors des éléments suffisants pour savoir ce qu’il en est canoniquement parlant du « partage » de la charge pastorale.

I De quoi parlons-nous ?

Nous parlons de la « charge pastorale au sein de l’EAP », et cette charge a pour objet la paroisse, quelle que soit sa figure (communauté de paroisses, Unité pastorale, « nouvelle paroisse »). Il s’agit donc de la charge pastorale de la paroisse. Or celle-ci a été confiée au curé, nous dit expressément le canon 515 §1, et le canon 519 nous précise la finalité de cette charge, à savoir l’exercice de la triple fonction « d’enseignement, de sanctification et de gouvernement ». Je reviendrai plus loin sur la triple fonction ainsi énoncée au canon 519. Je voudrais d’abord préciser ce qu’on entend, en droit canonique, par l’expression « charge pastorale » (lat. cura pastoralis). Cette expression, dans le langage courant comme dans le Code de 1983, tend à supplanter l’expression plus classique de cura animarum4. Dans ces expressions, le terme latin cura est traduit en français par le terme charge. Dans les langues germaniques, il est plutôt traduit par un terme connotant le soin, le souci5. Il arrive parfois dans la littérature canonique de langue française que l’on traduise l’expression classique cura animarum par « soin des âmes », voire par « cure d’âmes », que je me permets de traduire plus prosaïquement par « prise en charge des gens ». Quoi qu’il en soit, ces expressions disent bien la sollicitude, l’attention et le soin que requièrent les « âmes », c’est-à-dire les personnes.

Il est intéressant de voir que, déjà dans la doctrine canonique, l’expression comprend un sens strict dès lors qu’elle est référée au ministère des prêtres et un sens large en lien avec la disposition des fidèles les uns envers les autres. Je prends pour témoin de cette double application, stricte et large, la définition qu’en donnait un canoniste français de renom, Émile Jombart, il y a une soixantaine d’années : « Par charge d’âmes (cura animarum) on entend, en droit canonique, l’obligation de justice pour certains prêtres, en vertu de leurs offices, d’administrer les secours religieux (sacrements, offices divins, catéchisme et prédication, sépulture ecclésiastique…) à des groupes déterminés de fidèles. La charité demande à tout fidèle, a fortiori à tout prêtre, d’aider d’autres âmes à faire leur salut et à se sanctifier ; mais les titulaires de certains offices ecclésiastiques ont des devoirs de justice, beaucoup plus précis et plus rigoureux, à l’égard d’âmes qui leur sont spécialement confiées et au sujet desquelles ils encourent une grave responsabilité »6. L’auteur distingue donc, d’une part, l’obligation de justice pour les ministres en vertu de leur ordination ou de leur mission et, d’autre part, l’obligation de charité pour tous les fidèles en vertu de leur baptême.

Cette définition met en relief que, au sens large, la cura animarum — la sollicitude pour autrui, l’attention aux personnes, le soin des âmes ou la prise en charge des gens — revient à tous les fidèles, les uns à l’égard des autres ainsi qu’envers tout être humain — en vertu de leur baptême et de leurs charismes propres. Au sens strict, elle incombe aux pasteurs, voire aux ministres de l’Église au titre de leur fonction, d’un office au sens du canon 149 (lat. officium) et même plus simplement d’une charge ecclésiale (lat. munus). Les fidèles exercent cette cura « au nom de leur foi » ; les pasteurs et autres ministres « au nom de l’Église »7. On comprend que, dans son application au sens strict, la cura animarum ait trouvé comme synonyme l’expression cura pastoralis, c’est-à-dire la charge pastorale qui s’entend à strictement parler des pasteurs dans l’Église, à savoir les ministres ordonnés à l’épiscopat et au presbytérat et, par extension, les diacres et les laïcs qui se voient confier un ministère dans l’Église. On notera que la tendance, déjà dans le Code, est d’utiliser l’expression « charge pastorale » qui connote forcément la charge qui incombe aux pasteurs, mais concerne, surtout dans le langage courant, d’autres ministres de l’Église.

Au sens strict, la charge d’âmes ou la charge pastorale — en tant que « prise en charge des gens », attention aux gens ou sollicitude pour les fidèles — consiste en une pluralité de tâches, diverses et complémentaires, objectivement déterminées, qui concourent à la sanctification du peuple de Dieu et à sa croissance comme corps ecclésial du Christ dans l’Esprit Saint (cf. Ep 4,11-12.16). En droit canonique, la charge d’âmes au sens strict peut être qualifiée de « pleine » : cette plena cura animarum désigne la prise en charge « globale » des gens, pourrions-nous dire, à savoir l’ensemble de ce dont ils ont besoin ou de ce qui est requis pour leur sanctification personnelle et pour l’édification de l’Église. Autrement dit, ils sont pris en charge pour l’ensemble de leur « devenir chrétien » et de leur « faire Église ». Si la charge d’âmes n’est pas pleine, cela signifie qu’elle ne comprend pas l’ensemble de ce qui est nécessaire pour l’existence chrétienne et la vie ecclésiale. J’exprime volontiers le rapport de proportionnalité entre la prise en charge des fidèles et la communauté qu’ils constituent par l’adage suivant : « telle communauté, telle charge d’âmes » (lat. talis cura animarum qualis congregatio fidelium).

La doctrine canonique classique attribue la plena cura animarum à l’évêque diocésain qui a reçu le pouvoir de juridiction inhérent à son ordination épiscopale à tel siège (ou à sa prise de possession de son diocèse). C’est seulement par analogie avec l’évêque diocésain qu’elle reconnaît au curé une pleine charge pastorale : le premier en rapport au diocèse dont il est le pasteur, le second en rapport avec sa paroisse. C’est dans cette perspective que le canon 150 du Code de 1983 nous apprend qu’un office ou fonction ecclésiale (cf. c. 145) comportant pleine charge d’âmes requiert l’exercice de l’ordre sacerdotal. Il prescrit expressément qu’un tel office « ne peut être validement attribué à qui n’est pas encore revêtu du sacerdoce ». Le canon 521 §1 exige expressément l’ordination sacerdotale pour que quelqu’un soit validement désigné comme curé. Cela nous conduit à la deuxième étape de notre réflexion.

II Qui est titulaire de la charge pastorale de la paroisse ?

La réponse est immédiate : c’est le curé qui en est le titulaire. Le canon 451 du Code de 1917 le disait clairement : la paroisse lui a été confiée « en titre » (lat. in titulum). Le canon 515 du Code actuellement en vigueur l’affirme sans ambages : la charge pastorale de cette « communauté déterminée de fidèles » qu’est la paroisse est confiée au curé. Il précise que celui-ci en est le « pasteur propre »8. Je renvoie volontiers à la description de « l’office curial » c’est-à-dire de l’office ou fonction ecclésiale que l’on trouve dans le Dictionnaire de droit canonique : « L’office curial ou l’office de curé est celui auquel la loi ecclésiastique attribue en propre la cure d’âmes, à exercer sous l’autorité de l’Ordinaire, sur un groupement déterminé de fidèles, lequel est doté d’une église particulière et doit être, sauf exception dûment établie, territorialement délimité »9. Cette description de l’office curial garde tout son intérêt pour souligner ce qui est remis « en propre » au curé, à savoir la charge d’âmes.

À la différence du Code de 1917, le canon 519 du Code de 198310 inclut dans la description du curé la collaboration d’autres fidèles à la charge pastorale. Nous lisons en effet que « d’autres prêtres ou diacres collaborent avec lui et des fidèles laïcs lui apportent leur aide, selon le droit ». Le canon ne précise pas l’aide des laïcs (lat. operam conferre), ni préalablement la coopération des clercs (lat. cooperari). À mon avis, il n’y a pas lieu de conclure hâtivement à une discrimination sur base de verbes différents pour désigner la collaboration des laïcs et des clercs. Le législateur a sans doute voulu distinguer leurs contributions respectives sans se prononcer sur leur nature ou leur qualité. Le canon 519 affirme simplement le principe de collaborations possibles parmi lesquelles la participation à la direction pastorale. Désormais d’autres fidèles peuvent aussi collaborer avec le curé dans le gouvernement de la paroisse. Dans cette perspective, le curé ne gouvernera plus seul ni a fortiori de manière isolée (c. 519 in fine, cf. c. 536). Il s’associera des fidèles ayant les qualités requises pour la conduite de la paroisse11.

Le curé est responsable du tout (et non de tout) : il ne fait pas tout mais il veille à ce que tout se fasse. D’ailleurs, le curé n’a pas nécessairement tous les charismes indispensables à l’accomplissement de toutes les tâches. On mesure combien une prise au sérieux de l’office curial engage et l’exercice de la présidence ecclésiale (et dès lors eucharistique) de la paroisse (et des communautés locales en son sein), et la valorisation de la co-responsabilité baptismale de tous autant que de la collaboration ministérielle de quelques-uns. Le canon 519 ne prévoit pas expressis verbis l’« équipe pastorale de paroisse », mais il ne l’exclut pas du tout dès lors qu’il évoque dans la description du curé la collaboration d’autres baptisés12. Si ceux-ci ont les qualités requises pour collaborer à la direction de la paroisse, ils peuvent se voir confier une participation à l’exercice de la charge pastorale de la paroisse. Leur idonéité est la condition préalable à l’appel de l’Église pour accomplir cette tâche (cf. LG 33c ; c. 228 §1). Leur implication sur le plan de la pastorale a résulté en partie de la nécessité d’entourer, sinon d’assister les prêtres moins nombreux et surchargés dans l’exercice de leur ministère de direction. Mais elle a également résulté d’une prise de conscience approfondie de pouvoir participer « de plus près » à la charge pastorale (cf. AA 24f). Au fur et à mesure de la réception du Code de 1983 et d’une interprétation de celui-ci soucieuse d’en dégager le meilleur dans la foulée de Vatican II, c’est en référence au canon 519 que les pasteurs sur le terrain et les responsables diocésains ont fondé les pratiques ecclésiales de leadership partagé. Le Comité permanent canonique français écrivait sans ambages en 2001 : « la base canonique des équipes d’animation pastorale de paroisse est le canon 519 »13.

Personnellement, je suis très sensible à la distinction, au sein de l’équipe pastorale, entre le curé, titulaire de la charge pastorale, et les autres membres de l’équipe à qui revient une participation à l’exercice de la charge pastorale. La double figure du curé et de son équipe pastorale articule une double modalité d’exercice du ministère pastoral, une modalité personnelle (le curé) et collégiale (au sens large, c’est-à-dire en équipe), sans négliger l’articulation avec l’ensemble de la communauté paroissiale, à savoir la modalité communautaire14. Cette triple articulation entre « un », « quelques-uns » et « tous » est attestée dès les origines15 : le curé, pasteur propre d’une ou de plusieurs paroisses (« un »), les autres fidèles qui collaborent avec lui pour la direction pastorale (« quelques-uns ») en lien et au service des communautés concernées (« tous »).

III Quelle est la finalité de l’exercice de la charge pastorale ?

C’est à ce point de notre réflexion qu’il nous faut parler des tria munera, des « trois charges » — terme que l’on traduit le plus souvent par « fonctions » — d’« enseigner », de « sanctifier » et de « gouverner »16 (ou de « conduire », ou encore de « diriger »). Le canon 519 donne précisément comme finalité de la prise en charge pastorale de la paroisse l’exercice de cette triple fonction également qualifiée de prophétique, sacerdotale et royale. De quoi s’agit-il ? Une brève évocation de l’origine de cette trilogie ainsi que son usage à Vatican II vont sans doute nous aider à en saisir la signification théologique. Sa portée nous permettra d’apprécier sa pertinence dans le domaine canonique.

Cette trilogie renvoie à une présentation systématique des trois aspects ou dimensions du mystère du Christ et, par voie de conséquence, de son Corps ecclésial. La systématisation de cette trilogie est d’origine protestante où elle a d’abord eu une portée christologique, principalement liée aux titres du Christ. C’est dans ce sens que Calvin la met en œuvre et qu’elle devient alors un bien propre de la théologie réformée. La trilogie aura ensuite, toujours dans la théologie protestante, une portée ecclésiologique sur la division des pouvoirs dans l’Église, non sans lien, dans une perspective rationaliste, avec l’idée du Royaume de Dieu17. Elle apparaît au seuil du xixe siècle dans la théologie catholique. Dans le courant du xixe siècle, des théologiens catholiques allemands reprendront l’idée protestante, interprétée rationnellement, du Royaume de Dieu, pour parler de trois aspects, de trois fonctions ou de trois pouvoirs dans l’Église en insistant particulièrement sur la fonction doctrinale18.

C’est ainsi qu’apparaît cette trilogie dans l’ecclésiologie catholique. Elle a certes des appuis chez les Pères, dans la liturgie, au Moyen Âge, et l’Écriture sainte offre aussi bien dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau Testament des indications sur les trois fonctions du Christ ; cependant on ne présente jamais une trilogie systématique de ces trois fonctions. Quoi qu’il en soit, il y avait chez les Juifs trois sortes de médiateurs qui, dans leur fonction, étaient des figures du Christ. La trilogie est totalement absente du Nouveau Testament, même si le Christ apparaît plutôt comme roi chez les synoptiques, comme prophète chez Jean et comme prêtre dans la lettre aux Hébreux. Le peu d’ancrage scripturaire de cette trilogie explique, à bien des égards, qu’elle soit rare chez les Pères de l’Église. La trilogie systématique était encore plus rare au Moyen Âge, même chez Bonaventure qui aime, par ailleurs, parler du Christ-roi, du Christ-prêtre et du Christ-prophète19. Ni l’Antiquité chrétienne, ni le Moyen Âge n’ont donc donné matière aux théologiens de l’époque moderne pour élaborer la théorie du triplex munus Christi et moins encore pour traiter l’œuvre du Christ de ce point de vue20.

Les tria munera sont une trilogie que Vatican II a reprise pour dire le mystère du Christ et de son Corps ecclésial. Cette utilisation christologique et surtout ecclésiologique de la triple fonction prophétique, sacerdotale et royale a l’avantage de suggérer d’abord les trois facettes de l’être unique du Christ autant que de son ministère, puis de dire l’intégralité de la mission de l’Église et des fidèles qui en font partie. Par leur baptême, ceux-ci sont tous devenus membres de Jésus-Christ, prêtre, prophète et roi ; ils participent à sa triple fonction selon leur condition propre, c’est-à-dire à la mission dévolue à son Corps ecclésial (cf. c. 204 §1)21. Le canon 519 a repris cette trilogie pour dire la finalité de la charge pastorale confiée au curé « afin de remplir, au bénéfice de cette communauté, les fonctions d’enseignement, de sanctification et de gouvernement ». La finalité de la charge pastorale consiste à accomplir l’intégralité de la mission de l’Église. Dans son étude sur la triple charge de l’évêque, Joseph Lecuyer avait jadis montré l’unité intrinsèque et l’implication mutuelle des trois aspects de son ministère22. La trilogie revient à plusieurs reprises dans les textes conciliaires à propos du ministère épiscopal (LG 19, 20, 21ab, 25-27, 32) et l’ordre suivi est presque toujours le même : enseignement, sanctification et gouvernement (à l’exception de LG 21). Ces trois fonctions sont rattachées au Christ « maître, pasteur et pontife » (LG 21, cf. n. 13 « maître, roi et prêtre »).

Les trois fonctions s’impliquent mutuellement. La fonction d’enseignement s’accomplit certes par l’annonce de la Parole, mais aussi d’une manière éminente par la liturgie et les sacrements qui manifestent la foi de l’Église. Elle fait des fidèles des disciples, littéralement des personnes qui apprennent (lat. discere), se laissent enseigner, édifier et par là même, sanctifier par la Parole de Dieu ; elle leur donne de prendre corps comme Corps ecclésial du Christ habité par l’Esprit Saint. La fonction de conduite du peuple de Dieu explicite la fonction d’enseignement car elle fait découvrir aux fidèles les implications concrètes de l’Évangile pour le bien de la communauté ecclésiale, à savoir la loi de charité et l’exigence du service à la suite de leur Maître et Seigneur, le bon Pasteur, le vrai berger qui conduit son peuple vers les sources d’eau vive. La fonction de sanctification, inséparable du ministère de la Parole, permet aux fidèles et disciples de prendre corps en participant à l’offrande du Christ qui, comme Fils, se rend en grâce au Père et les entraîne, par son incarnation et par sa croix, à vivre en grâce, dès lors que, par son Esprit, ils ont été rétablis dans leur dignité d’enfants de Dieu et participent de sa vie divine ; en attendant le retour du Christ, ils ont à se laisser sanctifier par l’accueil de son Règne.

La conduite du peuple de Dieu selon la loi de charité se réfère constamment à l’enseignement du Christ et, de ce fait, le sanctifie par son Esprit. Celui-ci fait l’unité de ce peuple appelé à entrer dans l’unique sacrifice du Christ par l’accueil de sa Parole. La sanctification des baptisés — à la fois fidèles et disciples — dans leur sacerdoce commun les ordonne au service de l’humanité à laquelle le Verbe de Dieu est venu prendre part pour lui faire part de sa divinité. La triple fonction trouve déjà sa cohérence interne dans le mystère trinitaire du salut par le Christ dans l’Esprit. L’économie trinitaire en est le déploiement dans notre histoire pour communiquer aux êtres humains la communion de grâce. Celle-ci est annoncée pour nous y introduire ; elle nous sanctifie par le fait qu’elle nous y conduit. La triple fonction prophétique, sacerdotale et royale du Christ se prolonge dans son Corps ecclésial et en particulier dans le ministère ordonné des évêques et des prêtres ainsi qu’à sa façon chez les diacres pour lesquels Vatican II d’abord, puis le magistère successif, leur a préféré une autre trilogie, celle de la Parole, de la liturgie et de la charité23. Soit dit en passant, dans cette triple fonction de toute l’Église et des baptisés, on peut reconnaître ce qu’Isabelle Grellier qualifie de « fondamentaux nécessaires à la vie de l’Église », autrement dit « les activités qu’elle doit développer pour répondre le plus fidèlement possible à sa vocation »24. Dans ces activités se joue non pas l’identité de l’Église, mais sa fidélité à cette identité25.

Sous le bénéfice de ce qui précède, dans l’Église — peuple de Dieu convoqué comme Corps ecclésial du Christ habité par son Esprit —, à la suite du Christ Jésus le Bon Pasteur, il y a lieu de dire ceci : « qui dirige sanctifie et annonce à la fois, qui annonce, dirige et sanctifie, qui sanctifie, annonce et dirige ».

IV Peut-on partager la charge pastorale ?

Au terme de notre parcours, nous sommes en mesure de répondre aux questions de départ. La charge pastorale ne se partage pas si on considère que le curé en est le titulaire (cc. 515 et 519). Mais celui-ci n’exerce pas son ministère seul, ni de façon isolée. Des clercs et des laïcs ayant les qualités requises participent en effet à l’exercice de la charge pastorale (c. 519 in fine). Le droit particulier doit préciser les tâches de l’équipe pastorale et l’idonéité requise pour en faire partie. Sous l’angle de la participation à l’exercice de la charge curiale, celle-ci peut être partagée au sens où des fidèles autres que le curé y prennent part légitimement en fonction de leur idonéité et en vertu de l’appel de l’Église à l’exercer, leur participation à l’équipe pastorale (EAP) consistant en une charge (lat. munus) ou éventuellement une fonction ecclésiale (un office au sens du c. 145, lat. officium). On ne partage pas la charge pastorale, mais on participe à son exercice.

Au sein de l’équipe pastorale, ce qui réunit le curé et les autres fidèles, c’est la conduite pastorale à laquelle le premier prend part en vertu de son ordination et les autres participent en fonction de leur idonéité et sur base de l’appel de l’autorité compétente. Cette distinction honore l’originalité presbytérale et valorise à la fois le ministère confié à d’autres baptisés. Par ailleurs, ensemble, curé et équipe pastorale se concertent avec le Conseil pastoral, instance synodale qui reflète la co-responsabilité baptismale de « tous » et lui donne une figure institutionnelle (cf. c. 536). En lien avec le Conseil pastoral, le curé et l’équipe pastorale discernent ce qui est nécessaire pour l’accomplissement de la mission en ce lieu.

La participation à la cura pastoralis paroeciae doit faire l’objet d’une nomination, à savoir d’un acte administratif particulier (c. 49 et c. 35) si c’est l’évêque diocésain qui désigne les membres de l’équipe pastorale. Une lettre de mission accompagnera la nomination de ces clercs ou laïcs qui prennent part avec le curé à la direction pastorale de la paroisse26. La lettre de mission émanera de l’évêque si celui-ci a nommé la personne comme membre de l’EAP ; si en revanche c’est le curé qui a désigné ses collaborateurs, c’est à lui qu’incombe, non sans se concerter avec ceux-ci, la détermination de la mission confiée à chacun d’eux. La lettre de mission stipulera que les membres de l’EAP exerceront leur tâche sous l’autorité du curé qui est responsable, en première et dernière instance, de la charge pastorale de la paroisse. C’est donc à lui qu’ils devront répondre de l’accomplissement de leur tâche. La lettre de mission indiquera la durée du mandat confié à ces collaborateurs de l’EAP, en général trois ans renouvelables27.

Dès lors qu’on a saisi le caractère indissociable des tria munera — catégorie essentiellement théologique, même si elle a investi le champ du droit canonique —, la lettre de mission décrira les tâches assignées à chacun dans le cadre de la direction partagée en évitant de séparer les trois facettes de la finalité de la charge pastorale. Concrètement, elle évitera d’induire tacitement ou d’attribuer explicitement le munus docendi aux laïcs et le munus regendi au curé. Faut-il encore le dire et le répéter : les laïcs participent autant à ce munus qu’aux deux autres. Les trois fonctions sont en effet intrinsèquement liées ; elles désignent conjointement l’intégralité de la mission de l’Église et, en particulier, la finalité de (la participation à l’exercice de) la charge pastorale. Les laïcs de l’EAP prennent part à l’exercice de celle-ci dans le triple aspect de sa finalité.

Tous, curé et autres membres de l’équipe pastorale, sont concernés par la direction pastorale de la paroisse, mais chacun à des titres divers. C’est ainsi que l’équipe pastorale, curé y compris, élabore les décisions qui s’imposent et, en vertu de son ministère presbytéral, le curé les cautionne ou les garantit avec autorité en les inscrivant dans la communion de toute l’Église. L’élaboration de la décision (law making) revient à tous, curé y compris ; la prise de décision (law taking) revient à ce dernier en vertu de son ordination et au titre de son office de curé. Mais il ne décidera jamais sans s’être concerté avec les autres tout en gardant la liberté de se démarquer de leurs avis concordants pour une raison grave (« prévalente », cf. c. 127 §2,2°). C’est au curé et autres membres de l’équipe pastorale qu’il reviendra de mettre en œuvre ces décisions et d’assurer le suivi autant que la cohérence de l’action pastorale. L’équipe pastorale, curé y compris, répartit les tâches que requiert cette action au niveau de la mission, en ce lieu ; elle évalue cette action à la fois selon les critères de toute stratégie, (but[s], moyens, ressources, inscription dans le temps, etc.) et selon sa conformité avec l’Évangile.

Le fonctionnement de l’équipe pastorale autant que les activités qu’elle met en œuvre requièrent une claire répartition des rôles dès la désignation des membres, une nette définition des tâches dont ils conviennent ensemble et une harmonieuse coordination des actions entreprises. Cette articulation est une compétence spécifique, bien que non exclusive, du curé. Elle pourra cependant être exercée par un membre de l’équipe pastorale qui animera le fonctionnement technique du groupe et de ses tâches28. La coordination répondra à des critères d’efficacité en vue d’un correct fonctionnement du groupe du point de vue psychosociologique. Elle s’exercera dans le respect de la symbolique du ministère presbytéral de présidence qui, en vertu de l’ordination, « met en Église », inscrit dans la communion ecclésiale.

***

On en revient ainsi à cette réalité même de l’Église dans son ensemble entendue comme un Corps ecclésial, c’est-à-dire un tout à la fois organique et différencié. Cela s’applique et a fortiori se vérifie dans toute communauté chrétienne « où tout ensemble fait corps » (cf. Ps 121,3). Par analogie, cela s’applique et se vérifie dans une EAP qui est non seulement une « cellule d’Église » par la diversité de ses composantes selon les charismes et les ministères, mais aussi un « laboratoire d’Église ».

Les membres de l’équipe pastorale, curé y compris, en font partie non pas purement et simplement en vertu de leur baptême, mais au titre de l’appel de l’Église et de la mission reçue (ex mandato Ecclesiae) et, dans le chef du curé, en vertu de son ordination. En tant que membres de l’EAP, ils exercent tous la charge pastorale dont la finalité n’est autre que l’accomplissement de la mission de l’Église. Celle-ci est exprimée théologiquement par la trilogie des fonctions, les tria munera, mais elle consiste canoniquement en une prise en charge des gens, cura animarum. Pour que tout se passe dans un bel ordre, respectueux des charismes et des ministères et conforme à la nature d’une équipe pastorale, la nomination des membres (par l’évêque diocésain ou le curé, selon les cas) doit être explicitée dans une lettre de mission. Le soin apporté à son élaboration garantira non seulement la répartition des tâches, mais surtout une participation organique et différenciée à la charge pastorale de la paroisse.

Bien loin d’un juridisme de mauvais aloi, la formalisation qu’implique le droit canonique sera un gage de réussite : que peut-on souhaiter de mieux qu’une participation heureuse des fidèles à la charge pastorale, au bénéfice de la communauté paroissiale ?

Notes de bas de page

  • 1 Cf. A. Borras, « Les équipes pastorales de paroisse. Le défi du travail en équipe et l’enjeu d’une nouvelle gouvernance », dans Transversalité 101 (2007), p. 187-212.

  • 2 Le fondement théologique des ministères laïcs réside dans la participation baptismale à la mission ecclésiale (cf. l’initiation chrétienne). L’attribution d’un ministère ne dépend cependant pas uniquement de cela, à savoir de la grâce du baptême et des charismes propres à chacun. Il faut en outre compter sur un appel de l’Église, quelles que soient sa modalité (ex mandato Ecclesiae) et l’idonéité pour ce faire (à savoir les qualités requises). Les ministères — ou services — sont des fonctions « publiques », c’est-à-dire exercées au service de la collectivité (cf. la distinction « au nom de la foi » / « au nom de l’Église »). Cf. A. Borras, « Petite grammaire canonique des nouveaux ministères », dans NRT 117 (1995) 240-261.

  • 3 Je me suis jadis livré à ce genre d’exercice sur un autre sujet, dans mon premier article paru dans cette revue : A. Borras, « Appartenance à l’Église, communion ecclésiale et excommunication. Réflexions d’un canoniste », dans NRT 110 (1988) 801-824.

  • 4 Le c. 526 §1, comme le c. 524, parle de cura paroecialis, charge paroissiale. Le même c. 526 §1 utilise une autre expression « charge de(s) paroisse(s) » que l’on retrouve avec le complément déterminatif au pluriel ou tout simplement au singulier dans les cc. 533 §3, 534 §2, 544 et 545 §1. Il n’en demeure pas moins que dans les canons du chapitre VI (cc. 515-552) c’est l’expression « charge pastorale (de la paroisse) » qui est la plus fréquente (cf. cc. 515 §1 ; 516 §2 ; 517 ; 519 ; 527 §1 ; 542 ; 543 §1 ; 545 §1 et 548 §3. Le c. 529 §2 contient en revanche l’expression « charge de la communion paroissiale » qui ne revient nulle part ailleurs dans le Code. Soit dit en passant, l’expression cura pastoralis est employée seize fois sur vingt-sept pour désigner la charge pastorale du curé (ou du moderator, c. 517 §1). L’expression est synonyme d’une expression plus classique, cura animarum, charge d’âmes, qui revient aussi dans le Code à dix reprises dont une fois expressément rattachée au curé.

  • 5 L’allemand dit (Seel) sorge, le néerlandais (ziel) zorg, et l’anglais care of souls / pastoral care.

  • 6 É. Jombart, « Charge d’âmes », dans Catholicisme 2, col. 953-954.

  • 7 Par cette distinction, je suggère la vocation de tous les baptisés, d’une part, et la mission de quelques-uns d’entre eux, les ministres ordonnés ainsi que les laïcs qui se voient confier un ministère au bénéfice de la communauté ecclésiale. Cf. A. Borras, « Petite grammaire des nouveaux ministères », dans NRT 117 (1995) 240-261 ou, plus récemment, « Les ministères de laïcs dans la mission de l’Église », Esprit et Vie hors-série n° 2, novembre 2010, p. 37-53.

  • 8 L’adjectif « propre » a un sens juridique bien précis ; il s’oppose à « vicarial » (cf. c. 131 §2). L’office ecclésial de curé n’est pas de nature vicariale : le curé n’est pas le « lieutenant » de l’évêque ; il n’est pas pasteur « au nom de l’évêque diocésain ». Dans l’exercice de sa charge, le curé est néanmoins hiérarchiquement subordonné à l’évêque diocésain : il exerce son ministère « sous l’autorité de l’évêque diocésain », dans une certaine dépendance à l’égard de ce dernier, mais pas au nom de celui-ci.

  • 9 F. Claeys-Bouuaert, art. « Cure », dans DDC 4, col. 889-900.

  • 10 L’édition française du Code de 1983 contient la traduction suivante : « Le curé est le pasteur propre de la paroisse qui lui est remise en exerçant sous l’autorité de l’Évêque diocésain dont il a été appelé à partager le ministère du Christ, la charge pastorale de la communauté qui lui est confiée, afin d’accomplir pour cette communauté les fonctions d’enseigner, de sanctifier et de gouverner avec la collaboration éventuelle d’autres prêtres ou de diacres, et avec l’aide apportée par des laïcs, selon le droit ».

  • 11 D’aucuns parleront de direction « collégiale ». Les anglo-saxons parlent de collaborative ministry. Personnellement, je préfère parler de leadership partagé. Il convient d’éviter l’adjectif collégial qui, canoniquement, a un sens technique bien précis : les membres d’un collège « en déterminent l’action en prenant part en commun aux décisions prises à égalité de droit ou non, selon le droit et les statuts » (c. 115 §2). La paroisse n’est pas une réalité collégiale : en son sein les décisions ne sont pas prises par accord des volontés des paroissiens. Traditionnellement, la direction collégiale à strictement parler n’a jamais été le principe de direction des paroisses (catholiques). C’est pourquoi je préfère parler de direction partagée.

  • 12 Comme le signalait en 2011 une note officielle du Comité canonique de l’épiscopat français, la participation de fidèles laïcs à la direction pastorale était déjà préparée par la recherche pastorale de l’Église en France depuis la fin des années quarante (cf. Comité permanent canonique, Responsabilité curiale et équipe d’animation pastorale de paroisse, note dactylographiée datée du 20 juin 2001, 6 p.). Elle a été reconnue par Vatican II, par le magistère romain et le nouveau Code et, singulièrement, par la réception de l’exhortation apostolique postsynodale de Jean-Paul II, Christifideles laici. Celle-ci est soucieuse de reconnaître les charismes de chacun (ChL 24), d’encourager chacun à trouver sa place dans la communauté, à y prendre la parole et à y jouer son rôle (ChL 26d), de confier des tâches et des charges indispensables à la vie et au témoignage de la communauté paroissiale (ChL 27ab), de favoriser « la mise en valeur la plus sincère, la plus large et la plus ferme des Conseils pastoraux paroissiaux » (ChL 27c) (cf. Jean-Paul II, « Exhortation apostolique postsynodale Christifideles laici [=ChL] sur la vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le monde », dans Doc. Cath. 86 [1989], p. 152-196).

  • 13 Comité permanent canonique, Responsabilité curiale et équipe d’animation pastorale de paroisse, p. 2.

  • 14 Cela nous renvoie aux recommandations adressées aux Églises par Foi et Constitution, Baptême, eucharistie et ministère [=BEM], Presses de Taizé-Centurion, 1982, 3e partie, n. 26.

  • 15 Cf. H. Legrand, « Le rôle des communautés locales dans l’appel, l’envoi, la réception et le soutien des laïcs recevant une charge ecclésiale », dans LMD 215 (1998), p. 9-32, en l’occurrence p. 13-22.

  • 16 Cette trilogie est soit exprimée avec les verbes, en latin au gérondif : tria munera docendi, sanctificandi et regendi, soit par les adjectifs qui qualifient cette triple fonction respectivement de prophétique, sacerdotale et royale. Une remarque terminologique s’impose : le verbe regere est en général traduit par « gouverner ». Cela n’est pas sans poser des problèmes conceptuels du fait qu’une telle traduction induit par l’homonymie un rapprochement, voire une assimilation à l’expression « pouvoir (et non plus charge ou fonction) de gouvernement » qui est désormais synonyme de « pouvoir de juridiction » (lat. potestas iurisdictionis seu regiminis, le seu indiquant l’équivalence). Ce rapprochement est regrettable car il confond deux conceptualités et surtout les réalités qu’elles désignent. Le pouvoir de juridiction ou de gouvernement ne se réduit pas au munus regendi, à la fonction de gouvernement. Il désigne l’habilitation inhérente au pouvoir d’ordre et, éventuellement, sa délégation à des laïcs, par exemple en qualité de juges ecclésiastiques.

  • 17 Cf. J. Fuchs, « Origine d’une trilogie ecclésiologique à l’époque rationaliste de la théologie », dans RSPT 53 (1969), p. 185-211 ainsi que l’étude de A. Fernández, « Munera Christi et munera Ecclesiae ». Historia de una teoría, Pampelune, Eunsa, 1982.

  • 18 « Autant il nous est naturel aujourd’hui de considérer l’œuvre du Christ du triple point de vue du sacerdoce, de la prophétie et de la royauté, autant une telle trilogie était inhabituelle chez les théologiens catholiques avant la fin du xviiie s. Non qu’on ait ignoré ces trois fonctions, mais on ne voyait pas son œuvre de ce point de vue, comme c’est le cas aujourd’hui et comme G. Phillips en voit la continuation dans l’Église, Royaume de Dieu. » (J. Fuchs, « Origine d’une trilogie ecclésiologique… [cité supra n. 17], p. 194).

  • 19 Ibid., p. 196.

  • 20 Ibid., p. 197.

  • 21 En vertu de leur fonction prophétique, tous les fidèles ont, selon leurs charismes propres, à annoncer la Bonne Nouvelle de l’Alliance de Dieu avec les êtres humains. En vertu de la fonction sacerdotale, ils ont tous à faire de leur vie une existence agréable à Dieu, à la fois filiale et fraternelle — un sacrifice spirituel — et à lui rendre grâce inlassablement. En vertu de la fonction royale, ils ont tous à diriger leur existence et à conduire l’histoire selon la dynamique du Royaume en œuvrant à un monde plus fraternel tel que Dieu le désire.

  • 22 J. Lecuyer, « La triple charge de l’évêque » dans G. Barauna (dir.), L’Église de Vatican II. Études autour de la constitution conciliaire sur l’Église, t. 3, coll. Unam Sanctam 51c, Paris, Cerf, 1966, p. 891-914.

  • 23 Notre collègue théologien Didier Gonneaud reconnaît que le diaconat est lui aussi lié aux tria munera « mais sans avoir à en réaliser l’unité objective ». Il met un bémol au caractère indivisible des tria munera exercées par les diacres : ceux-ci les exercent non pas ensemble ou conjointement comme les pasteurs — évêques ou prêtres — mais à partir de l’un ou de l’autre » (D. Gonneaud, « Diaconat et ministère », dans B. Dumons et D. Moulinet [dir.], Le diaconat permanent. Relecture et perspectives, coll. Théologies, Paris, Cerf, 2007, p. 223-235, ici p. 232). D. Gonneaud fonde l’unité indissociable dans le sacerdoce ministériel respectivement du corps épiscopal et du presbyterium. Pour les diacres, il y a plutôt exercice prioritaire d’une des trois munera. C’est ce qui lui donne sa souplesse ; c’est surtout ce qui explique que « du point de vue de l’unité de la charge pastorale, l’ordre des diacres est en situation de collaboration non seulement à l’égard de l’évêque, mais aussi à l’égard du presbyterium » (p. 232).

  • 24 I. Grellier, « La diaconie, du pain, du soin, de la fraternité, pour les pauvres et l’Église », dans Cahiers de l’Atelier n. 530 (2011), p. 25-31.

  • 25 I. Grellier se situe sur le plan de la théologie pratique, sous l’ordre de l’émergence de l’Église, et elle n’hésite pas à élargir les trois fonctions aux quatre domaines que, selon elle, distingue plutôt la tradition grecque : les fonctions cultuelles (gr. leitourgia), d’annonce de l’Évangile (gr. kerygma), de service (gr. diakonia) et communautaire (gr. koinonia). Le dédoublement grec de la fonction royale suggère qu’il revient au roi de favoriser le vivre-ensemble de son peuple, notamment en veillant à ce que chacun ait de quoi vivre (Ibid. p. 27). Remarquons que le Précis de théologie pratique parle lui aussi de (quatre) actes fondateurs : proclamer, célébrer, développer et soutenir (cf. en particulier l’article de M. Viau, « Les actes fondateurs de la théologie pratique », dans G. Routhier ; M. Viau [dir.], Précis de théologie pratique, Bruxelles, Lumen Vitae, 2004, p. 237 à 249, en l’occurrence p. 246).

  • 26 Une note récente de la Commission épiscopale française pour les ministères ordonnés et les laïcs en mission ecclésiale, en date du 6 janvier 2011 (cf. Doc. Cath. 108 [2011], p. 202), évoque la nécessité d’approfondir cette question de la « lettre de mission » : cette expression doit certes s’appliquer aux laïcs en mission ecclésiale, en rigueur titulaires d’un office (c. 145) et, à ce titre, nommés par l’évêque diocésain (c. 157). Doit-elle pour autant s’appliquer aux laïcs membres d’une EAP ? À mon avis, dans l’état actuel de ma réflexion, je maintiens qu’elle doit s’appliquer aux membres d’une EAP s’ils sont nommés par l’évêque diocésain. Dans le cas d’une désignation, par le curé par exemple, on pourrait trouver une autre expression pour marquer la différence. Pour ma part, je ne vois pas de problème majeur de parler de « lettre de mission » même quand il n’y a pas de nomination par l’évêque, ni a fortiori d’office, à condition qu’il soit clairement spécifié en l’occurrence qu’il s’agit d’une lettre de mission du curé.

  • 27 L’idéal serait une durée minimale de cinq ans renouvelables mais la pratique des EAP nous apprend que, pour beaucoup de laïcs, un mandat de cinq ans serait trop lourd, d’autant plus s’il est conçu comme renouvelable.

  • 28 Cette personne assurera ainsi la coordination du travail de chacun(e) et de l’équipe, elle veillera à son suivi et aux relations entre les membres. En vertu du principe de subsidiarité cette personne ne coordonne pas toutes les activités paroissiales dans la mesure où cela relève des groupes ou comités concernés. À certains égards — notamment si le curé n’a pas cette compétence de coordinateur — le bon fonctionnement du groupe et la coordination de ce qu’il entreprend recommandent que le curé ne se surcharge pas de cette tâche technique de la coordination du travail pastoral et de l’animation de l’équipe, un peu à l’instar de l’évêque qui a un modérateur de la curie diocésaine (cf. c. 473 §2).

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