Revenir à la lettre du texte nietzschéen nécessitait un détour. Aussi Didier Rance choisit-il un dispositif narratif : nous sommes en 1888 à Turin, ville où le Saint-Suaire s'expose pendant que Nietzsche, à quelques pas de là, livre frénétiquement ses dernières pensées et sombre définitivement dans la folie.
Y a-t-il un lien entre les deux, entre le Saint-Suaire et la démence de Nietzsche ? La question, esquissée par Philippe Sollers, est ici prise à bras-le-corps. L'écart entre la divine relique et la violence que Nietzsche dirige contre la foi chrétienne agit ici comme un révélateur : peut-on vraiment lire Nietzsche sans prendre au sérieux sa détestation du Christ et de l'Église ? Didier Rance n'aime pas les faux-semblants : quand Nietzsche intitule un livre L'Antéchrist, quand il dit se vendre au diable, quand il évoque sa possession, ne faut-il pas l'entendre ?
Le sous-titre de cet essai dit sobrement : « Turin 1888 ». L'essai de Didier Rance arpente patiemment cet espace-temps, pour en faire la scène de notre propre combat spirituel. L'enquête est à la fois minutieuse et existentielle, factuelle autant que philosophique. On y suit Nietzsche à la trace pour cesser de le suivre aveuglément. La question est finalement posée : au pied de la lettre, peut-on être à la fois chrétien et nietzschéen ? - M. Steffens